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du droit
Journalistes de
RFI :
Beaucoup de questions, peu de réponses
Gilles Devers
Mercredi 6 novembre 2013
Quatre jours après les faits, nous
n’avons que peu d’informations fiables
sur l’exécution de deux journalistes de
RFI. Emotion, considérations générales,
témoignages de sympathie… oui, mais pour
le reste, c’est en dessous du service
minimum.
C’est une affaire criminelle
particulièrement complexe, dans un
contexte de guerre larvée et de contrôle
lourd de l’information par les
politiques. Alors, je ne vais pas me
livrer à des analyses sur des faits que
je ne connais pas, mais j’ai quelques
questions à poser. Je cherche à
comprendre.
1/ Kidal
Tout peut arriver à Kidal, et des
journalistes présents même une heure
sont vite repérés.
Par l’accord politique de
Ouagadougou du 18 juin dernier,
la ville de Kidal, bastion des
indépendantistes du Nord-Mali, a été
laissée au contrôle du Mouvement
national de libération de l'Azawad
(MNLA). Là, commencent les problèmes.
Le MNLA avait dealé
avec les services français pendant
l’offensive militaire, apportant une
aide décisive pour débusquer les ennemis
communs, les groupes djihadistes, avec
en retour l’attente d’une contrepartie
politique… qui ne vient pas. Le
mouvement s’en trouve affaibli et
divisé, et le pouvoir malien en rajoute
pour déstabiliser le mouvement, et
espérer remettre la main politique sur
Kidal. C’est loin d’être gagné, mais une
chose est sûre : on est dans le genre de
situation où les coups peuvent venir de
tout côté.
A Kidal, on trouve
les contingents français de la force
Serval, maliens et onusiens, avec la
Minusma. Vu de loin, c’est bien, vu de
près, rien ne va, et les faits l'ont
démontré de manière dramatique.
Pour la région de
Kidal, soit 260 000 km², la sécurité est
assurée par une force hétéroclite,
insuffisante et peu formée, regroupant
les contingents sénégalais, béninois et
guinéen de la Minusma. Au total de 550
Casques bleus, dont 114 policiers, ce
qui est très peu.
Dans la ville de
Kidal, on compte 200 soldats maliens,
représentants de l’Etat et connaissant
bien le terrain,… mais aux termes de
l’accord de Ouagadougou, ces soldats
sont contingentés à l'intérieur du camp
militaire de la ville et n'ont pas le
droit de patrouiller dans les rues au
motif d'éviter des tensions avec les
populations touarègues.
Les troupes
françaises, quant à elles, ne sont pas
stationnées à Kidal, mais à l’extérieur
de la ville, pour des raisons de
sécurité. Elles interviennent dans la
surveillance et pour des missions
d’assistance. Deux cents hommes pour un
détachement de liaison et d'appuis (DLA)
et des éléments de protection. C’est peu
et le ministère des affaires étrangères
a annoncé depuis le renfort de 150
militaires.
La sécurité à Kidal
revient donc de facto au MNLA,
mais sans contrôle possible. Les
barrages aux entrées de la ville sont
factices, tant on les contourne
facilement, et la ville n’a pas été
fouillée maison par maison, de telle
sorte que les armes circulent
tranquillement. Kidal a été marquée par
plusieurs attentats, avec des pertes
parmi les soldats tchadiens de la
Minusma, présents dans la ville.
2/ Le récit qui
ressort des dépêches
Pour des raisons de
sécurité et pour être tranquilles, les
troupes françaises avaient reçu ordre de
ne pas prendre en charge le déplacement
des deux journalistes de RFI à Kidal,
d’où le voyage effectué avec un convoi
de la Minusma, avec une arrivée le
vendredi soir. On n’imagine pas que la
visite de ces deux journalistes ait pu
être clandestine, alors que l’armée
française est d’abord là-bas pour le
renseignement. Elle savait donc que les
deux journalistes de RFI étaient à
Kidal, un fait rare. Leur dernière
visite datait de juillet.
Les deux
journalistes sont venus le samedi vers
midi rencontrer un cadre du MNLA à
Kidal, Ambéry Ag Rissa. L’entretien a
duré une demi-heure, puis… Ambéry Ag
Rissa explique : « Je les ai
raccompagnés, eux et leur chauffeur.
J'ai refermé la porte mais, peu après,
j'ai entendu un bruit suspect. Quand
j'ai rouvert, il y avait un homme qui,
en tamachek, la langue touareg, m'a
demandé de rentrer chez moi. Il avait
une kalachnikov, était vêtu d'un boubou
traditionnel, avait un chèche noir sur
la tête et des lunettes de soleil ». Le
chauffeur a précisé que les deux
journalistes ont été entravés par leurs
ravisseurs. Ambéry Ag Rissa est
rentré chez lui, et appelé la sécurité.
L’alerte a donc été immédiate.
Ainsi, quand le 4X4
des ravisseurs part, l’armée française
est avisée. Il est 13 h 10. De ce que je
lis, il n’y a pas trop de doute sur la
direction que prend le 4X4, vers des
terres les plus sûres pour les groupes
armés, soit le Nord-Est (route de Tin-Essako).
Ainsi, les militaires sont
immédiatement avisés, et avec des bonnes
infos, car Ambéry Ag Rissa a pu donner
tous les détails. Dès cet instant,
chacun mesure le risque, et le scénario
est celui d’un enlèvement pour obtenir
une rançon. Un risque vital et une
affaire d’ampleur nationale. Toutes les
alertes sont allumées.
L’armée française
dépêche des équipes au sol, une
patrouille d'une trentaine d'hommes sur
la piste qui sort à l'Est de la ville,
et deux hélicoptères. D’après le Figaro, il
s’agit de deux hélicoptères français
stationnés à Kidal. Le ministère de la
défense reconnait le départ des deux
hélicoptères, mais indique qu’ils ont
décollé de Tessalit, la base aérienne de
la région, située plus au Nord.
Dans un communiqué
publié le samedi soir à 22h, le
ministère de la Défense a expliqué : «Un
dispositif de surveillance a été mis en
place pour tenter de localiser le
véhicule dans lequel pouvait se trouver
nos ressortissants. Ce dispositif
constituait dans la mise en place de
deux points de surveillance au nord et
au nord-est de Kidal, et de l'envoi
d'une patrouille d'une trentaine
d'hommes sur la piste qui sort à l'Est
de Kidal. En même temps, deux
hélicoptères ont décollé de Tessalit
pour tenter de repérer le véhicule. Les
corps des deux journalistes ont été
retrouvés par la patrouille au sol vers
14H55 locales à une douzaine de kms à
l'Est de Kidal à proximité d'un véhicule
à l'arrêt. Nos forces n'ont eu aucun
contact visuel ou physique avec un
véhicule en fuite».
On apprendra mardi
que dans le véhicule, on a trouvé les
numéros de téléphones de plusieurs
personnes, aussitôt présentées comme des
membres du commando.
Résumé ce que nous
disent les dépêches : 13 h 10,
l’alerte ; à 14 h 55, la patrouille au
sol découvre, vers Essi Dien, à environ
12 kilomètres au Nord-Est de Kidal, les
cadavres des deux journalistes et la
voiture abandonnée.
Là, commencent
les questions
1/ L’annonce
publique de la mort des journalistes
C’est la patrouille
au sol qui a retrouvé les corps, à 14 h
55. Pourtant le ministère des affaires
étrangères ne publie son premier
communiqué qu’à 18 h 30.
Or, l’annonce de la
mort des journalistes été publiée deux
heures plus tôt par l’agence Reuters,
qui citait le préfet de la région de la
localité de Tinzawaten, Paul-Marie
Sidibé, et évoquait une exécution.
Ensuite, les forces de sécurité
maliennes et des sources touarègues
du Mouvement national de libération de
l'Azawad (MNLA) ont confirmé
l'information, et c’est seulement dans
un troisième temps que le Quai d'Orsay a
publié l’info.
Pourquoi ces
délais, alors qu’il avait été le premier
avisé, et ce depuis 14 h 55 ? Dans ce
genre de circonstances, quatre heures,
c’est très long. Que s’est-il passé ?
2/ Pourquoi
est-ce Fabius qui communique ?
Le crime s’inscrit
dans un contexte militaire, et toutes
les informations de ce premier jour
viennent des militaires, arrivés sur
place sans doute moins d’une heure après
le crime. La diplomatie ne gère rien de
ce qui se passe ce jour-là sur place, et
c’est pourtant le ministère des affaires
étrangères qui communique. Pourquoi ?
Pourquoi le choix de cette lecture
diplomatique des évènements ?
Le communiqué du
ministère de la défense, pure langue de
bois, n’interviendra qu’à 22 heures, et
depuis, on ne voit que Fabius.
Je rappelle que
pour la fameuse attaque au gaz de Damas,
le même ministère des affaires
étrangères avait annoncé 1 500 morts,
alors qu’aucune enquête n’a été
effectuée sur ce point, et qu’à ce jour
il n’existe toujours aucune liste de
l’identité des victimes. Alors, les
belles déclarations de Fabius… à
d’autres !
3/ Qui a fait
les premières constatations ? Qui fait
les autopsies ?
C’est essentiel, et
on n’en sait rien.
Dans une affaire
criminelle, les constatations
matérielles effectuées par les
enquêteurs sur la scène du crime sont de
première importance, surtout quand on
peut intervenir juste après les faits.
Tout compte, à commencer par
l’emplacement des corps, qui peut
permettre de comprendre la scène. Mais
l’élément décisif est la balistique.
Fabius a parlé de deux balles pour l’un,
trois balles pour l’autre, et dit que
les victimes ont été tuées
« froidement ». Pour le nombre de balles
d’accord, mais pour le reste, attention.
Rien de crédible ne
peut être dit sans un rapport d’autopsie
pratiqué par un expert ayant une bonne
connaissance de la balistique. On peut
alors savoir à quelle distance les tirs
ont eu lieu, et quelle ont été les
trajectoires, ce qui est une aide
considérable pour comprendre comment les
circonstances du crime.
« Froidement »,
c’est à ce stade de l’intox, et jusqu’à
maintenant, je n’ai pas entendu un mot
sur l’intervention des médecins
légistes.
De même, il faudra
une enquête matérielle incontestable
pour nous convaincre du pourquoi de ce
4X4 en panne (quelle panne ?).
Objectivement curieux ce 4X4 fermé à
clé, intact, et avec des numéros de
téléphone à l’intérieur. Tout est
possible, mais il faut un travail
d'enquête.
4/ Quel scénario
crédible ?
Dans quel
environnement était-on ? Y avait-il des
risques tels pour les agresseurs que la
seule solution était d’abattre les
otages, lesquels étaient pourtant
entravés et sous la menace des armes ?
Pourquoi cette exécution alors que la
prise d’otage est guidée par la rançon ?
Comment expliquer cette panique d'hommes
aguerris ? Pourquoi une panique au point
d’exécuter les otages, alors que les
soldats français ne sont pas visibles,
et que les hélicoptères n’ont pas repéré
les ravisseurs…
Questions aussi sur
ces deux hélicoptères. Le communiqué du
ministère de la défense de 22 heures dit
« Nos forces n'ont eu aucun contact
visuel ou physique avec un véhicule en
fuite». Il a fallu dix heures pour
trouver cette belle formule… Mais où
étaient-ils ces hélicoptères, alors
qu’il n’y avait pas de doute sur la
direction des ravisseurs, et que les
troupes au sol étaient sur leur trace,
pour être arrivées sur les lieux du
crime à 14 H 55 ? Et pourquoi avoir une
base à Kidal sans hélicoptères
disponibles ?
Est-ce si difficile
de reconnaître que toutes ses troupes,
bien avisés, n'ont rien pu faire alors
qu'elles sont là pour ça ? Et
qu'ont-elles fait exactement ? Pourquoi
cette mainmise diplomatique ?
Attendons la suite,
et faisons confiance. Mais la
communication officielle – tout sur
l’émotion, rien sur les faits – est un
bien mauvais présage.
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