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Ha'aretz
«
Rasez ce village »
(Représailles)
Gideon Lévy et Miki Kratsman
Gideon Lévy
Haaretz,
7 décembre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=932022
« Rasez ce village », cria la femme
colon, donnant le signal de l’assaut contre le village d’Al-Foundouq,
représailles des colons des environs pour l’assassinat d’Idan
Zouldan. Des témoins visuels affirment que non seulement les
soldats ne se sont pas interposés, mais qu’ils ont aidé les
colons.
Les plaques de
marbre brisées, de l’entreprise « Ha-Shalom »
[la paix], dont une
partie était destinée aux cuisines des colons, sont autant de témoins
des événements de la soirée de la vengeance. « Ha-Shalom »
a volé en éclat. Les pleurs de Na’ama Masalha, qui est restée
cachée une heure durant dans la salle de bain avec ses petits
enfants, pendant que les colons brisaient les fenêtres de sa
maison, racontent eux aussi l’histoire de cette soirée de
terreur. A Al-Foundouq, petit village sur la route de Kalkiliya à
Naplouse, un des derniers villages palestiniens où des Israéliens,
essentiellement des colons des alentours, font réparer des
voitures et font des achats, on lèche maintenant ses plaies et on
évalue les dégâts.
Le secrétaire du
conseil, Omar Jaber, fait son rapport : dégâts au marbre
– 111.000 livres israéliennes [19.000 €] ; dégâts aux
voitures – 76.000 livres israéliennes [13.000 €] ; aux
maisons – 6.000 livres israéliennes [1.035 €] ; aux
magasins – dix mille livres israéliennes [1.726 €]. 16
voitures, 15 maisons, 15 magasins et deux marbreries ont, d’après
lui, été endommagées ce soir-là. Il est à peu près évident
que pour ces violences, nul ne les dédommagera. Il ne restera que
la terreur et les sentiments de colère et de frustration dans ce
paisible village qui a payé le prix de l’assassinat du colon
Idan Zouldan, un habitant de Shavei Shomron, abattu le soir du 19
novembre, sur la route qui traverse le village.
Cinq jours plus
tard, à la fin de shabbat, des centaines de colons ont pris
d’assaut Al-Foundouq – sous la protection de soldats de
l’armée israélienne qui, selon les témoignages, auraient aidé
à l’œuvre de destruction – et se sont déchaînés dans le
village qui était placé sous couvre-feu. Lundi passé,
l’information a été publiée que les forces de sécurité
avaient attrapé la bande : trois membres de la « sécurité
nationale », de Kadoum. Cette semaine, les colons sont allés
à Kadoum aussi.
Le temps est au
rose. Un groupe de jeunes colons a récemment pris le contrôle
d’une maison palestinienne abandonnée qui domine la route
conduisant à Al-Foundouq et l’ont peinte en rose. Mais la vue
sur la route qui passe au bas de l’avant-poste sauvage « Shevout
Ami » n’est vraiment pas rose : la route est jonchée
des pierres que les colons lancent sur les voitures palestiniennes
qui y passent. Le terrifiant bulldozer de l’armée israélienne
qui passe lentement sur la route porte dans sa pelle excavatrice
d’énormes pierres destinés à bloquer les villages des
alentours, mais pas l’avant-poste évidemment. Telle est la
justice israélienne.
Environ 500
personnes vivent à Al-Foundouq. C’est un village sans martyrs,
presque sans prisonniers – seulement des tailleurs de pierre,
des marchands de légumes, des épiciers et des mécaniciens qui
servent les colons des environs. Cinq jours après l’assassinat
d’Idan Zouldan, le village a été placé sous couvre-feu total.
Ensuite, couvre-feu nocturne pendant huit jours. Il faut apaiser
les colons, non ?
Dans le bâtiment
du conseil, les esprits sont remontés. Le secrétaire, Omar Jaber,
dit qu’environ 400 colons ont envahi le village en cette sombre
fin de shabbat. Zakaria Sada, qui habite le village voisin de Jit
et qui est le coordinateur des opérations de terrain de
l’organisation des « Rabbins pour les droits de l’homme »,
raconte que les soldats faisaient avec leurs torches de la lumière
pour les colons, afin qu’ils y voient mieux dans leur entreprise
de démolition. « Ils leur montraient où casser »,
dit Zakaria Sada.
« Il y a
une chose aussi vraie que le soleil se lève à l’est : les
colons ne seraient pas entrés dans le village sans la protection
de l’armée », dit Omar Shari, un habitant du village
voisin de Sir, qui effectue à Al-Foudouq des travaux
d’infrastructures et dont deux des engins de terrassement ont été
endommagés. Selon lui, « là où des voitures étaient dans
l’obscurité ou derrière un mur, l’armée a montré le chemin
aux colons et les a éclairés ».
Il évalue les dégâts
occasionnés à ses tracteurs à 15.000 livres israéliennes
[2.590 €]. « Je respecte vos morts comme je vous demande
de respecter les nôtres », dit-il. « Un soldat russe
est venu ici il y a deux mois et m’a demandé "d’où
sors-tu ?". J’ai dû lui demander : "Toi qui
es russe, qu’est-ce que tu fais ici ?". Al-Foundouq
existe ici depuis 500 ans. Kedoumim est ici depuis 20 ans et prétend
contrôler tout le territoire. C’est l’armée qui permet aux
colons d’avoir ce contrôle ».
Le secrétaire déclare
qu’une « punition collective n’est pas juste. Nous avons
des enfants, des femmes, des bébés, des malades et des
vieillards. S’ils veulent arrêter quelqu'un, qu’ils l’arrêtent.
Qui a tué le colon, nous n’en avons aucune idée, mais une
punition collective contre tout le village : pourquoi ?
Boucler Al-Foundouq, c’est boucler un tiers de la Cisjordanie.
Tout le trafic entre le nord et le centre de la Cisjordanie passe
sur notre route. C’est la seule route. Jusque hier, elle était
fermée. Nous entendons tous les jours parler du processus de
paix, mais sur le terrain on n’en voit rien. Quand je suis chez
moi et qu’on vient démolir ma maison et ma voiture, qu’est-ce
que je dois faire ? » Et Omar Shari, le propriétaire
des pelleteuses, ajoute cet avertissement : « A
Al-Foundouq, il n’y a pas de martyrs, mais ce qu’on fait
maintenant ici aux enfants, d’ici 10 ou 15 ans, quand ils auront
grandi, vous entendrez ce qui se passera ici ».
Dans la rue
principale du village, un camion décharge des caisses de
volailles de l’abattoir « La belle volaille », de
Hadera. Dans l’épicerie de Saker Bari, se tient un colon
portant une large kippa blanche, occupé à choisir des légumes.
Saker Bari évalue le préjudice qu’il a subi du fait du
couvre-feu à 3.000 livres israéliennes [518 €]. Il possède un
cahier dans lequel il note toutes les dettes des colons qui achètent
chez lui à crédit : un total d’exactement 17.503 livres
israéliennes [3.000 €], fin novembre.
Ils paient généralement
tous les mois, tous les deux mois, mais il en a pour 34.000 livres
[5.870 €] de dettes perdues depuis le début de la seconde
Intifada. Saker Bari fait venir des conserves de maïs et de
jeunes carottes parfaitement casher
pour ses clients juifs. Plusieurs d’entre eux ont bien sûr pris
part à la soirée de pogrom. Depuis lors, seule une partie de ses
clients juifs sont revenus. Ils viennent de toutes les colonies
des environs, qu’il énumère : Kedoumim, Shavei Shomron,
Alon Moreh, Ariel, Imannuel, Karnei Shomron et Einav. La carte
d’un nouveau pays.
Au bout d’un
chemin boueux, au seuil d’une maison relativement isolée, se
tient Na’ama Masalha, vêtue de noir, le regard baissé. Quand
les colons ont assailli la maison, son mari, Aqram, 31 ans, était
encore à son travail, à charger des caisses de légumes pour
Israël. Vers neuf heures et demie du soir, il a essayé de
rentrer chez lui, en dépit du couvre-feu, jusqu’à ce qu’il découvre
que le chemin était barré par des centaines de colons et de
soldats. Un moment plus tard, la nouvelle lui est parvenue que les
colons encerclaient sa maison et y causaient des dégâts, alors
que son épouse et ses trois petits enfants y étaient piégés.
Il était désemparé.
Son petit garçon, Rima, un élève de première année occupé en
ce moment à préparer ses devoirs, apporte les preuves :
deux étuis de grenades de l’armée israélienne, sur lesquels
est écrit en hébreu : « Grenade détonante
aveuglante. Délai : 1,5 seconde. 0,3-0,6 ch. » Aqram
montre les dégâts, dont une partie a été réparée : huit
fenêtres qui ont été brisées, trois lampes sur le balcon,
grillages arrachés, le tuyau d’arrivée d’eau saboté et,
dans la boue, les traces du colon venu à cheval pour casser et démolir.
Na’ama :
« Nous dormions dans les chambres. Mon mari n’était pas
à la maison. Tout à coup, j’ai entendu les colons qui
brisaient les fenêtres et qui essayaient d’entrer dans la
maison. La porte était verrouillée. » Na’ama s’est
empressée de rassembler ses enfants et tous ensemble, ils sont
entrés dans la salle de bain, une petite pièce à l’autre bout
de la maison, où ils se sont cachés en attendant que l’orage
passe. Ils sont restés là plus d’une heure. Le téléphone
portable de Na’ama était en panne et elle n’avait aucun moyen
d’appeler à l’aide, jusqu’à ce que son frère parvienne à
rejoindre la maison et à la secourir. « Aujourd’hui
encore, elle pleure quand elle y repense », dit Aqram,
« Hier, je lui ai dit : "Prépare à manger et
asseyons-nous comme avant", et elle m’a dit qu’elle
n’en était pas capable ».
Quand son frère
Mohamed est arrivé, la maison était encerclée de nombreux
colons avec, parmi eux, des soldats et des policiers. Afin de
conserver une trace de l’incident, il a mis en route
l’enregistreur de son téléphone portable puisque l’obscurité
l’empêchait de prendre des photos. Maintenant, il nous fait
entendre les enregistrements. « Rasez ce village… Rasez
cette maison », entend-on crier d’une voix sèche, en hébreu,
par une femme. Et alors on entend un bruit de coups violents.
Mohamed dit qu’ils frappaient avec leurs armes dans les fenêtres,
qu’ils y lançaient des pierres, qu’ils avaient aussi en main
des bâtons et des barres de fer. Les soldats et policiers étaient
en face. La femme continue de laisser ses cris sur
l’enregistrement : « Habitants de Foundouq, écoutez
bien. Ce village sera rayé. Dans le sang et le feu, ce village
sera effacé. Sortez, sortez des maisons ».
L’enregistrement
est long. Toutes les paroles prononcées ne sont pas claires. De
temps à autre, on entend un coup de klaxon, de temps à autre, le
bruit d’une grenade détonante. Pendant tout ce temps, Na’ama
et ses trois enfants sont dans la salle de bain, terrorisés.
Avant de fuir dans la salle de bain, la fille aînée, Ishra, 14
ans, a vu par la fenêtre grillagée de sa chambre le colon à
cheval frapper dans les fenêtres. « Prenez garde, policiers
et soldats », de nouveau la voix de la femme colon, « si
vous ne donnez pas une réponse adéquate et n’abattez pas cette
maison, vous serez responsables des morts à venir ». Alors,
et seulement alors, on entend la voix des policiers appelant tous
les Israéliens à s’en aller dans les cinq minutes. Na’ama et
ses trois enfants s’en sont sortis indemnes et ils ont passé
les jours qui ont suivi chez les parents de Na’ama, dans un
village voisin.
Un colon souhaite
acheter une bonbonne de gaz dans l’épicerie de Saker. Il n’y
a plus de gaz et le colon demande : « Comment
vais-je cuisiner ? ». Dans la marbrerie « Ha-Shalom »,
les plaques de marbres brisées sont dressées en rang. Il y a des
éclats de marbre répandus partout. Majad Diab, le propriétaire,
estime les dégâts pour son entreprise à 50.000 livres israéliennes
[8.627 €]. Il habite dans la maison de pierre qui a été élevée
au-dessus de l’entreprise et dont les vitres sont encore
toujours cassées. Il est resté tout ce temps-là sur la terrasse
et a vu les colons, cassant et brisant.
Majad Diab
raconte qu’une adolescente, parmi les colons, a essayé de faire
tomber une plaque de marbre sans y parvenir et que les soldats
l’ont alors aidée. Il l’a vu de ses yeux. Qu’a-t-il fait ?
« Rien », répond-il, embarrassé, le visage couvert
d’une poussière blanche, le crayon coincé derrière
l’oreille. Il dit que cela a duré jusqu’à onze heures et
demie du soir. Lui sur le toit, les colons et les soldats dans
l’espace qui est devant l’entreprise.
Le porte-parole
de l’armée israélienne, répondant cette semaine à notre
interpellation, a esquivé la question de savoir si réellement
les soldats avaient aidé les colons. « Au cours de la
manifestation, les pierres ont volé, réciproquement, entre
colons et Palestiniens, habitants du village. Les forces de
l’armée israélienne, en collaboration avec les garde-frontières
et la police, ont dispersé la manifestation. En outre, au moment
de la manifestation, les forces ont arrêté deux colons et deux
Palestiniens qui étaient déchaînés et lançaient des pierres.
Les personnes arrêtées ont été confiées aux soins de la
police israélienne. Il est bon de souligner que l’armée israélienne
considère avec gravité les troubles de l’ordre et aussi le
fait que la manifestation n’avait pas été autorisée par une
autorité militaire ».
Escorté de trois
jeeps, le bulldozer de l’armée israélienne est entré en tempête
dans Al-Foundouq, portant encore une pierre dans sa pelle. Il doit
déposer la pierre sur une des routes du village, au bout d’une
oliveraie, pour y étrangler le trafic. Au dernier moment, le
conducteur se ravise et sort du village, prend soin de ne pas
toucher encore aux oliviers et s’empresse de trotter vers le
village voisin, Jinsafout. Là, sur la route d’accès au
marchand de pneus du village, il laisse tomber la pierre et bloque
ainsi le passage. A l’intérieur d’un véhicule Transporter
jaune, une famille observe en silence ce qui se passe. Les enfants
ont le nez collé aux vitres. Que leur raconte leurs parents, en
ce moment ? A côté de ce nouveau barrage qui vient d’être
placé, se trouve encore, par une diablerie, le vieux panneau
annonçant, au nom du gouvernement allemand : projet de rénovation
des routes du village. Le conducteur du bulldozer tasse le
monticule de terre et ajoute encore une pierre. Pour plus de sécurité.
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
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