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Ha'aretz
Un
type adulte et responsable
Gideon Lévy
Haaretz, 2
octobre 2007
www.haaretz.co.il/hasite/spages/909050.html
On commente le Président syrien sur toutes les chaînes
de télévision.
Bachar
El-Assad qui a accordé hier une interview à la BBC dans un
anglais plus riche que celui de Tzipi Livni – qui a justement récité,
elle, encore un discours devant l’Assemblée générale des
Nations Unies – s’est révélé au téléspectateur israélien
comme un président mesuré, intelligent, au langage posé. Peut-être
une façade, peut-être une réalité. Mais nous, téléspectateurs
israéliens incultes, avons immédiatement besoin des paroles
pleines de sagesse des « commentateurs sur les questions
arabes » pour nous expliquer ce que nous avons entendu.
Pourquoi faut-il des commentaires sur des paroles claires ?
Parce que c’est un dirigeant arabe qui les a prononcées. Pour
le discours de Livni aux Nations Unies – collection de clichés
d’une parfaite vacuité, du genre : « Un Etat
palestinien prospère et stable est dans l’intérêt d’Israël »
– nous n’avons pas besoin de commentaires.
Premier
d’entre tous ces bienfaiteurs, il y avait comme d’habitude
Ehoud Yaari : « Son comportement est plus mûr et plus
responsable… Assad est un type adulte et responsable », a
dit Yaari parlant d’un président en fonction depuis sept ans.
Le « mentor » d’Assad est malade, le beau-frère
d’Assad est « un voyou dépravé », tout comme le frère
du Président, « un voyou dépravé comme lui, tous trois
sont des généraux ». A-t-on jamais parlé ainsi, chez
nous, de nos généraux ? Peut-être avons-nous, nous aussi,
des « voyous dépravés » ? Quelqu'un osera-t-il
le dire à la télévision ? Notre Premier ministre débutant
dispose-t-il de quelqu'un qui ait jamais mérité le titre de
« mentor », comme s’il était un adolescent en
pleine période de maturation ? Dit-on d’Ehoud Olmert
qu’il est « quelqu'un de mûr et de responsable »,
comme dirait un enseignant lors d’une réunion de parents ?
Une
partie des titres ont aussi annoncé qu’ « Assad ne se
rendra pas à la Conférence sur la paix ». Assad n’a pas
dit cela. Il a explicitement dit que si la Conférence était
« essentielle et concrète » il y participerait mais
qu’il n’en comprenait pas la visée. Qui la comprend, au juste ?
Chico Menashe : « D’une façon presque surprenante,
une interview très modérée, à l’encontre des déclarations
belliqueuses des derniers mois ». Mais justement, Assad
manifeste de l’esprit de suite : cela fait longtemps
qu’il dit que ce n’est qu’au cas où les efforts de paix
n’aboutiraient pas, qu’il se tournerait vers la guerre. Est-ce
là une « déclaration belliqueuse » ?
Alon
Ben David sait, lui, qu’Assad est « modéré jusqu’à la
faiblesse ». C’est bien sûr ce que lui ont dit les
experts de l’armée israélienne. Il suffit, pour trahir de la
faiblesse, de ne pas se comporter comme eux qui tuent une dizaine
de Palestiniens pour chaque roquette Qassam. Israël est fort.
Peut-être y a-t-il de la force dans la retenue ? Mais pas
dans nos standards à nous. Haïm Yavin : « Les méandres
d’Assad ». Quels méandres ? La réponse israélienne
à ses propositions de paix était infiniment plus tortueuse. Seul
à se montrer modeste et réfléchi parmi les commentateurs, Oded
Granot a osé, selon son habitude, énoncer la vérité simple :
Assad a parlé avec bon sens. « Je suis d’accord avec les
paroles d’Assad », a-t-il dit.
Au
lieu de toute cette propagande, pourquoi les commentateurs ne nous
exposeraient-ils pas quelques faits concernant la Syrie, dont nous
savons si peu. Qu’on y trouve de meilleures routes que notre
route de l’Arabah, comme l’a rapporté Ron Ben Yishai de
retour de là-bas, ou qu’il y a 26 champs d’aviation, un
million et demi d’internautes en 2006, cinq millions de téléphones
portables, une moyenne de 3,3 enfants par famille et une espérance
de vie de 70 ans. C’est plus intéressant que tous les
commentaires sur ce qu’Assad a dit et n’a pas dit.
(Traduction
de l'hébreu : Michel Ghys)
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