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Opinion
Répression et arrestations en Palestine
48: que craint « Israël » ?
Fadwa Nassar
Le sheikh Raed Salah - Photo: CPI
Lundi 13 septembre 2010
Au cours des semaines passées, la député Hanine Zo’by, du
Rassemblement national démocratique, a été menacée de se voir
retirer sa « carte de citoyenneté » pour avoir participé, en
tant que député, à la Flotille de la liberté, au mois de mai
dernier, contre le blocus meurtrier de Gaza. Peu de temps après,
sheikh Raed Salah a été emprisonné, pour avoir défendu la porte
al-Maghariba de la mosquée al-Aqsa contre sa destruction par les
forces sionistes. Au mois de mai, Ameer Makhoul, directeur
général d’Ittijah (union des associations civiles à Haïfa) et au
mois d’avril, dr. Omar Sa’ïd, dirigeant dans le Rassemblement
national démocratique, sont arrêtés, accusés de fournir des
renseignements à l’ennemi (comprendre ici le Hezbollah). Le
point commun entre toutes ces récentes arrestations est le fait
que toutes ces personnalités font partie de la direction
politique et associative des Palestiniens de 48.
Pour les dirigeants sionistes, le maintien de Palestiniens à
l’intérieur de la colonie qu’ils ont fondée en 1948 sur le pays
de la Palestine et nommée « Israël », reste un cauchemar dont
ils ont du mal à se débarrasser. Depuis cette date, ils essaient
de les disloquer, chasser, ou maintenir en situation
d’infériorité, par tous les moyens tout en leur trouvant des
voies « légales », mais en vain. Depuis 1948, le nombre des
Palestiniens de 48 a accru, pour devenir près d’un million et
demi (soit 20% de la population de l’Etat sioniste), ils ont
développé leur situation économique, leur état culturel et
éducatif et ils ont surtout acquis et développé une conscience
et une pratique politiques qui les placent, depuis 2000, dans
une situation critique: l’Etat sioniste les considère désormais
comme une « menace stratégique » !
Si l’institution sioniste continue à arrêter et emprisonner les
militants palestiniens qui protestent contre les guerres qu’elle
mène en Palestine ou au Liban, contre les expropriations de
leurs terres, l’installation des colons dans leurs villes et les
provocations des colons comme lors de la révolte de Akka
(octobre 2008), ou des manifestations à Umm al-Fahem (février
2009 et après), contre les destructions des villages comme la
toute récente destruction d’al-Araqib dans al-Naqab, où des
dizaines de Palestiniens ont été arrêtés, les arrestations et
détentions témoignent de plus en plus d’une vision qui
s’enracine dans l’institution sioniste, celle de Palestiniens
devenus « incontrôlables » qui refusent l’allégeance à
l’Etat juif qui leur aurait «offert l’hospitalité ».
Démanteler la direction palestinienne
La répression des Palestiniens de 48 a pris en effet une
nouvelle tournure depuis 2000, non pas que leur résistance a
commencé dès ce moment, loin de là (la journée du 30 mars 1976
ou « journée de la terre » témoigne de leur combativité
historique) mais parce que depuis le soulèvement d’octobre 2000,
qui a accompagné l’intifada, les Palestiniens ont montré leur
maturité et autonomie politiques par rapport à tout ce qui
touche de près ou de loin aux institutions sionistes, de gauche
ou de droite. Ils ont développé leurs propres structures de
lutte et de revendications, installé leur nouvelle direction
politique, aussi éloignée que possible des anciens cercles liés
aux institutions sionistes ou même au courant défaitiste dans
l’OLP, pris en charge leurs propres revendications internes mais
aussi celles du peuple palestinien dans son ensemble : fin de
l’occupation, retour des réfugiés, une seule représentativité
palestinienne. Sans vouloir cependant présenter une image
idyllique de cette direction, il faut cependant remarquer
qu’elle a de plus en plus tendance à affronter dans l’unité les
mesures sionistes, dirigées contre les Palestiniens de 48 ou les
Palestiniens dans leur ensemble.
Un des objectifs de la répression sioniste contre le mouvement
national palestinien de l’intérieur vise à démanteler sa
direction. Même si les accusations s’avèrent fausses, même s’il
faut inventer des documents, l’institution sioniste espère que
l’accentuation de la répression intimidera le mouvement national
et l’empêchera de se construire d’une manière solide. Avant même
l’exil forcé en 2008 de dr. Azmi Bshara, un des fondateurs du
Rassemblement National Démocratique et penseur arabe de
renommée, nombreux sont les dirigeants des partis et mouvements
de 48 qui avaient été réprimés ou détenus, dont sheikh Raed
Salah qui avait été détenu en 2003 et Muhammad Kanaané
(secrétaire général du mouvement Abnaa al-Balad) en 2004.
D’autres responsables palestiniens avaient été attaqués et
menacés, comme l’ancien député du parti communiste Issam Makhoul,
dont la voiture avait été piégée ou Mounir Mansour, directeur de
l’association interdite « Ansar el-sageen », victime de
plusieurs tentatives d’écrasement. Dans les universités, les
dirigeants étudiants arabes sont poursuivis et détenus : après
les manifestations ayant rassemblé plus d’un million et demi de
personnes contre la guerre menée à Gaza, des dizaines
d’étudiants avaient été arrêtés et jugés.
Criminaliser la liaison avec le monde arabo-musulman
Mais c’est surtout la volonté d’empêcher la liaison entre les
Palestiniens de 48 et le reste du monde, notamment
arabo-musulman, qui fait agir les sionistes. En effet, depuis le
début de l’intifada al-Aqsa, les dirigeants sionistes craignent
l’élan des Palestiniens de 48 vers le monde extérieur, d’autant
plus que cet élan non seulement échappe à leur contrôle mais
menace leurs intérêts. La sonnette d’alarme avait été tirée lors
de la conférence de Durban, en Afrique du Sud (2001), lorsque la
délégation des Palestiniens de 48 y avait dénoncé l’apartheid
colonial de l’Etat sioniste. Pour la première fois et dans une
tribune internationale aussi importante, ils faisaient entendre
leur voix dénonciatrice du fondement même de l’Etat sioniste.
Depuis cette date, ils se sont adressés à toutes les tribunes :
aux peuples arabes en 2002, à la conférence des associations
civiles du Caire, leur demandant de boycotter et de refuser la
normalisation avec l’Etat sioniste, tout en s’ouvrant au peuple
palestinien. Ils activent les rencontres avec les diverses
catégories du peuple palestinien : les réfugiés dans les camps,
réfugiés en exil mais aussi les Palestiniens de Cisjordanie et
de Gaza, pour former des structures de luttes communes. Ils
activent également leurs relations dans les structures arabes et
internationales, réclamant leur place, non en tant «
qu’Israéliens » mais en tant que Palestiniens. Ils revendiquent
le droit d’avoir des liens avec les pays arabes et les
Palestiniens, sans passer par les canaux de l’Etat sioniste,
pour échapper à la normalisation et éviter de servir les
sionistes qui ne seraient pas contre ces liaisons si celles-ci
favorisaient la normalisation entre les peuples ou régimes
arabes et l’Etat sioniste !
Ces liaisons multiples et offensives de la part des Palestiniens
de 48 ont suscité la crainte de l’Etat sioniste et de ses
dirigeants qui n’ont pas hésité à les accuser de représenter un
« danger stratégique » pour Israël et d’être une « cinquième
colonne ! ». L’association dalah (association juridique de
défense des Palestiniens de 48) n’hésite pas à parler de «
politique de criminalisation de la liaison avec « l’ennemi »
faisant remarquer que les ennemis de l’Etat sioniste ne sont
sûrement pas ceux du peuple palestinien. Adalah explique d’autre
part que dans le cadre d’un Etat où existe une forte minorité
nationale, comme c’est le cas pour les Palestiniens de 48, même
sans tenir compte de la nature coloniale de cet Etat, toute
minorité a des droits garantis par le droit international pour
établir des liens avec son peuple et son environnement national
que sont les peuples arabes. Dans son article paru en 2009,
Hanine Naamné (Adalah) écrit : « la minorité arabe en
Israël est une minorité nationale à l’intérieur d’Israël, mais
elle fait partie d’une large communauté nationale arabe et
constitue une part intrinsèque de cette communauté.. » Donc,
juridiquement, toute répression de cette liaison bafoue le droit
international, là encore. Et H. Naamné ajoute : « Israël
utilise la doctrine des « Etats ennemis » comme outil
supplémentaire pour réprimer la minorité arabe en Israël et
accentuer la discrimination envers elle ».
A cause du renforcement de ces liens naturels, un document
interne du service de renseignements, la Shabak , explique en
2007 que les Palestiniens de 48 représentent «à long terme, une
menace stratégique pour Israël, pour le caractère juif de l’Etat
et la présence d’Israël en tant qu’Etat juif ». Lors d’une
réunion à huis-clos entre Ehud Olmert, Yoval Deskin, directeur
de la Shabak en présence des responsables des appareils
sécuritaires sionistes, « la minorité arabe en Israël, le déclin
de son soutien à l’Etat, la montée des forces radicales et les
dangers qui en sont issus » sont à l’ordre du jour, d’autant
plus qu’ils « soutiennent l’Iran et le Hezbollah et toutes les
parties qui ne reconnaissent pas la légitimité de l’Etat
d’Israël en tant qu’Etat juif. »
Déjà, lors de son arrestation, sheikh Raed Salah avait été
accusé en 2003 d’avoir accepté le financement de la république
islamique d’Iran. Mais malgré un lourd dossier d’accusation de
milliers de pages, le dirigeant du mouvement islamique a été
relaxé, faute de preuves suffisantes pour son maintien en
prison. Cependant, les récentes arrestations de militants ou
dirigeants palestiniens portent cette marque « accusatrice »,
qui est celle d’agir en connivence ou au bénéfice de forces «
ennemies ». Dr. Azmi Bishara avait été accusé d’avoir fourni des
renseignements « sensibles » au Hezbollah, pendant la guerre de
juillet-août 2006. Rawi Sultani, étudiant militant au
Rassemblement National démocratique, arrêté en 2009, aurait
rencontré au Maroc des membres du Hezbollah qui lui auraient
confié la mission de surveiller le général Ashkenazi. En 2008,
Anis Saffouri (Abnaa al Balad,20 ans) et Hussam Khalil (RND, 19
ans) sont accusés d’avoir des liens avec le Jihad islamique.
Plus tôt, En février 2004, Hussam et Muhammad Kanaane sont
accusés d’être en liaison avec des organisations palestiniennes
de la résistance. Et en 2010, dr. Omar Sa’îd et Ameer Makhoul
sont accusés d’être en contact ou de fournir des «
renseignements sensibles » au Hezbollah, pendant que Mrad Nimr
(25 ans) est arrêté 2010 à Beer Saba’, pour appartenance au
mouvement Hamas. En 2008 , trois militants du mouvement
islamique de Lid sont arrêtés, soupçonnés d’être relation avec
la résistance palestinienne, mais ils sont aussitôt relâchés, ce
qui a fait dire à la Commission des libertés issue du Haut
comité de liaison des masses arabes, que la « montagne de la
Shabak a accouché d’une souris » !
En fait, ce que craingnent surtout l’institution sioniste et ses
appareils sécuritaires, ce ne sont pas les « informations
sensibles » fournis qui, comme le disent des journalistes
israéliens, existent sur tous les sites internet bien informés,
à la disposition de nombreux experts, mais plutôt « la
connivence politique entre les mouvements de la résistance et
les Palestiniens de 48. C’est ce qu’elle considère comme étant
de l’espionnage. Et ceci représente une grave menace contre eux.
» (Haaretz, Amos Harel et Avi Issacharoff).
La répression de cette liaison prend d’autres aspects :
l’interdiction de se déplacer, vers les territoires occupés en
1967, al-Qods notamment, émise par l’armée sioniste en accord
avec la Shabak ou le Shin Beth. La récente interdiction de
sheikh Abu Sharkha, conseiller juridique du mouvement islamique,
en est le dernier exemple. Mais il y a, depuis l’intifada al-Aqsa,
une interdiction collective de se rendre à Gaza. Il y a
également les ordres émanant du ministère de l’intérieur en
collaboration avec les appareils de surveillance, d’interdiction
de voyager. De nombreux dirigeants politiques, associatifs ou
tout simplement militants ont été interdits de se rendre à
l’étranger. Le dernier exemple est la prolongation de six mois
le 9 septembre 2010 de l’interdiction faite au cadre politique
Ghassan Athamla, ancien prisonnier, de voyager. Ces
interdictions s’appuient sur la loi d’urgence de 1948 et
prétendent assurer la sécurité de l’Etat sioniste !
En réalité, c’est pour empêcher l’expression publique des
dirigeants palestiniens dans les tribunes internationales que
l’Etat sioniste sévit contre eux. Pour les sionistes qui
considèrent que le monde occidental (Europe et Etats-Unis
notamment) est leur base politique et idéologique, il n’est pas
permis aux Palestiniens, et surtout de 48, de la déstabiliser.
Pour l’écrivain britannique Jonathan Cook, qui vit à Nasra, « (Ameer)
Makhoul est représentatif d’un mouvement palestinien qui émerge
à la recherche de nouvelles stratégies ; il n’a pas caché ses
relations avec les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, ni
avec les réfugiés, ni avec les institutions arabes, ni sa
solidarité avec Gaza (il avait été arrêté après les
manifestations par le Shin Beth) ni sa direction du mouvement de
Boycott et de Désinvestissement lancé en Europe, grâce aux
nombreux contacts avec les délégations européennes. ». Quelques
semaines avant son arrestation, il recevait d’ailleurs une
délégation basque.
Donc, c’est bien pour des motifs politiques et non sécuritaires
comme elle le prétend, que l’institution sioniste considère que
le moyen le plus efficace pour briser cet élan palestinien vers
son environnement arabe et vers l’étranger serait de le
réprimer, de criminaliser ses liaisons, de l’enfermer dans l’israélisation
pour ensuite l’exploiter en direction de l’environnement
arabo-musulman et étranger, uniquement pour servir ses intérêts,
bref, en faire des Palestiniens soumis qui seraient les
intermédiaires entre les sionistes et les Arabes.
Une nouvelle tendance de cette répression est récemment apparue,
qui ne se contente plus de réprimer, exiler ou arrêter les
dirigeants politiques, mais bien les acteurs de la vie
associative et civile. Muhammad Zaydan, dirigeant de
l’association arabe pour les droits de l’homme (Arab HRA) à
Nasra déclare, suite à l’arrestation de Ameer Makhoul: « nous
sommes habitués à la poursuite et la répression politiques de
nos dirigeants politiques, mais ce qui est nouveau, c’est la
poursuite et la répression des responsables de la société civile
et associative » qui a réussi à élargir le champ de la liaison
inter-arabe. D’ailleurs, si les années post-Oslo (années 90)
avaient assisté à une certaine libéralisation de la vie
politique et associative des Palestiniens de 48, les appareils
de renseignements sionistes sont assez rapidement revenus à la
surveillance de toute leur activité comme dans les années 50,
lorsqu’ils étaient à la merci du pouvoir militaire. Le masque
libéral est tombé et c’est bien d’une répression coloniale qu’il
s’agit au fur et à mesure que l’institution sioniste plonge dans
sa crise structurelle.
Si l’Etat et ses appareils sécuritaires exercent la répression
et la poursuite politiques, les colons provoquent et tuent (Shefa
Amr en 2005), les médias assurent, quant à eux, non seulement la
couverture médiatique des arrestations, mais amplifient le
climat de la haine et de la suspicion du public « israélien »
envers les Palestiniens de 48. Lors de l’arrestation de sheikh
Raed Salah en 2004, les médias sionistes avaient longuement
insisté pour présenter le leader du mouvement islamique comme un
« criminel de droit commun » et présenté l’islam en tant que tel
comme « dangereux », ne prenant aucun recul par rapport au
pouvoir sécuritaire ou judiciaire. Il en est de même pour toutes
les arrestations et notamment celle de dr. ‘Omar Saïd et Ameer
Makhoul, en jetant pêle-mêle à leur public de quoi alimenter sa
phobie et son racisme, à se demander souvent si les journalistes
israéliens étaient des sécuritaires déguisés ou des nullités se
prenant pour des « James Bond ». Quoiqu’il en soit, hormis
certains journalistes travaillant dans les éditions anglaises
(l’image libérale devant toujours être mise en avant pour
ll’étranger), les médias israéliens participent entièrement à
cette campagne de terreur envers les Palestiniens de 48 dans le
but de les maintenir dans un état d’infériorité et de soumission
et de déstabiliser leur vie quotidienne.
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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