Justice ?
Adlène Hicheur -
Verdict !
Dominique Boutigny
Samedi 5 mai 2012 Vendredi 4 mai un peu avant 13h30,
pas mal de monde se groupait devant
l'entrée de la 14ème chambre
correctionnelle du palais de justice
de Paris pour écouter l'énoncé du
verdict du procès d'Adlène Hicheur.
Beaucoup de journalistes étaient
présents, un peu moins de monde
toutefois du côté des comités de
soutien que lors des audiences des
29 et 30 mars. On notait aussi la
présence des "gars de Tarnac" qui,
quelques jours avant, avaient
justement cosignés une tribune libre
dans Le Monde intitulée "Non
au délit de pré-terrorisme". L'énoncé du verdict n'a duré que
quelques minutes, la Présidente Rebeyrotte ne s'est pas donné la
peine de parler dans le micro et a
très rapidement marmonné qu'Adlène
Hicheur était coupable du délit de
"participation à une association de
malfaiteurs en vue de la préparation
d'un acte de terrorisme" et qu'en
conséquence il était condamné à cinq
ans d'emprisonnement dont un an avec
sursis, qu'il était maintenu en
détention et que l'ensemble des
scellés seraient saisis (comprendre:
confiscation du matériel
informatique et des 15 000 €
d'argent liquide trouvés au moment
de l'arrestation). Après avoir
expliqué en trente seconde ce que
signifiait l'année de sursis sur le
plan pénal, la Présidente a quitté
très rapidement la salle d'audience.
L'assistance s'est alors figée un
instant, attendant que quelque chose
se passe... certains ont demandé à
leur voisin de répéter ce que la
Présidente avait dit car ils
n'avaient pas réussi à entendre son
marmonage. L'un des membres du
comité de soutien viennois s'est
offusqué à haute voix de cette façon
de faire, de cette manière de
balancer un verdict implacable qui
va sceller l'avenir d'un homme, puis
de repartir en rasant les murs… Tout
le monde était debout, sonné et
incrédule.
L'avocat a dû courir après la
Présidente pour lui demander une
autorisation pour qu'Adlène Hicheur
puisse embrasser son père et ses
frères, ce qui fut fait avant que
les gendarmes ne reconduisent Adlène
en cellule. Nous sommes restés de
longues minutes à attendre que
quelque chose se passe, à espérer au
fond de nous-même que la Présidente
allait revenir et dire que non,
finalement il était acquitté… mais
non bien sûr... le jugement était
là, implacable, irrévocable (sauf
appel) et incompréhensible.
Curieusement l'énoncé de ce verdict
tranchait singulièrement avec celui
de l'affaire précédente : 5 jeunes
comparaissant pour une affaire de
violence, le verdict fut énoncé de
manière forte et claire, le
Président s'assurant que
l'interprète avait pu traduire et
que les jeunes avaient bien compris.
C'était un peu comme si le verdict
de l'affaire Hicheur était tellement
honteux, qu'il fallait juste le
chuchoter et vite prendre la
fuite...
Comme je l'ai dit dans
l'article concernant les audiences
des 29 et 30 mars, je n'ai rien
entendu de convaincant dans l'énoncé
des charges reprochées à Adlène
Hicheur, en tout cas rien de prouvé,
pas même l'identité de son
interlocuteur sur les forums. Moi
qui croyait que justement la justice
ne s'appuyait que sur des faits, que
le travail des enquêteurs consistait
à amener des preuves et que toutes
les assertions ne reposant pas sur
des éléments établis étaient nulles
et non avenues et enfin que le doute
devait bénéficier à l'accusé. Je
pense que si je n'avais pas assisté
à ce procès, si je n'avais pas
entendu de mes oreilles les
élucubrations scabreuses basées sur
une série d'hypothèses non vérifiées
afin de tailler un costume de
coupable à Adlène Hicheur, j'aurais
eu au fond de moi un doute en me
disant que la justice française ne
pouvait pas condamner sans preuve ou
sans au minimum quelques éléments
solides permettant de se forger une
intime conviction.
Aujourd'hui, je sais qu'il est
possible d'arrêter quelqu'un en
France, de lui faire subir 96 heures
d'interrogatoire sans sommeil, alors
que cette personne souffre
physiquement et que le médecin lui
prescrit des médicaments de plus en
plus forts pour le faire tenir... Je
sais aussi qu'il est possible de
détenir quelqu'un pendant 30 mois
sans qu'aucun élément sérieux ne
justifie cette détention. Enfin, je
sais qu'il est possible de
construire un dossier uniquement à
charge, de bourrer celui-ci
d'éléments non prouvés, d'erreurs
grossières, d'hypothèses scabreuses
et finalement de faire condamner
quelqu'un à des années de prisons. Ce
jugement je ne le comprends pas,
je le comprends encore moins quand
je lis le paragraphe suivant :
"Au cours des débats d'audience,
Adlène HICHEUR a employé plusieurs
fois le terme d'"humiliation" et
l’on sent, à travers les messages de
cet homme intelligent et fier, la
douleur d’appartenir à un peuple qui
a effectivement été colonisé pendant
deux siècles par des représentants
de son pays d’accueil et d’adoption
ainsi que la difficulté à surmonter
cette antinomie. Le Tribunal ne peut
de même ignorer qu’Adlène Hicheur
est né à Séfif, ville de triste
mémoire, ce qui n’a pu que renforcer
son sentiment d’injustice,
d’humiliation devant le sort réservé
à ses pères"
Cet argument qui sort de nulle part
est présenté comme un élément à
décharge valant l'année de sursis,
alors qu'au contraire il accable en
tentant de donner une explication à
un délit qui n'a jamais été démontré
au cours du procès. Les juges se
donnent ainsi probablement bonne
conscience… Grand bien leur fasse !
Vous qui me lisez, prenez garde à
vos écrits, prenez garde à vos
courriels, et finalement prenez
garde à vos pensées. Une justice
d'exception a été instaurée en
France et elle a tout pouvoir.
Publié sur le
blog de l'auteur
Le dossier Adlène Hicheur
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