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Le
second putsch de Moucharraf
Dominique Bari
Le général Pervez Musharraf
Lundi 5 novembre 2007 Pakistan
. Redoutant que son élection à la présidence ne soit invalidée,
le général Pervez Moucharraf a décrété samedi l’état
d’urgence et suspendu la Constitution.
Le général Moucharraf, au pouvoir depuis son coup d’État
d’octobre 1999, est de nouveau passé à l’action
anticonstitutionnelle en décrétant samedi soir l’état
d’urgence au Pakistan. Cette décision n’est pas une surprise,
la rumeur d’un putsch s’intensifiait ces derniers jours,
tandis que l’imbroglio politique dans lequel se débat le chef
de l’État depuis sa réélection controversée du 6 octobre ne
tournait pas en sa faveur. La Cour suprême, la plus haute
juridiction du pays, qui contrariait depuis des mois ses desseins,
devait se prononcer dans les prochains jours sur la légalité de
sa réélection. Dans un discours télévisé à la nation, Pervez
Moucharraf s’est justifié en invoquant le terrorisme islamiste
qui sévit au Pakistan. Ce que personne ne lui conteste : une
vague sans précédent d’attentats suicide a fait 420 morts
depuis juillet, parmi lesquels 139 tués à Karachi le 18 octobre
et, dans les zones tribales frontalières avec l’Afghanistan,
l’armée fait aussi face à une insurrection intégriste, proche
des taliban et d’al Qaeda, qui s’étend maintenant au
nord-ouest du pays.
La cause du décret
Mais en fait la cause réelle du décret est ailleurs. Visant
la Cour suprême, Moucharraf s’en est longuement pris au
« militantisme judiciaire ». Il s’est fait élire il
y a deux semaines par un Parlement dont la majorité lui était
acquise. Or sa candidature était contestée par l’opposition
parce que la Constitution interdit au président d’occuper
simultanément d’autres fonctions officielles de l’État (chef
des armées, en l’occurrence). Même si Moucharraf abandonne
l’uniforme, comme il a promis de le faire, il contreviendra à
un autre article de la Constitution, qui impose à tout
ex-fonctionnaire un délai de deux ans avant de se lancer en
politique. La Cour suprême avait juridiction de statuer avant le
12 novembre. Pour couper court à toute contestation judiciaire,
le texte fondamental a été suspendu et la bête noire de
Moucharraf, le juge Chaudhry, président de la Cour suprême, a été
immédiatement remplacé par Hameed Dogar. L’état d’urgence
permet de repousser au maximum d’un an la tenue des élections,
législatives initialement prévues en janvier 2008. Une série de
restrictions ont été imposées aux médias. Toute publication
diffamant le président, son gouvernement ou les forces armées
est désormais proscrite. Les forces de sécurité étaient déployées
dimanche autour des principaux bâtiments officiels à Islamabad
et au moins 500 personnes de l’opposition ont été interpellées
parmi lesquelles des avocats proches du juge Chaudhry.
L’ex-premier ministre pakistanais Benazir Bhutto, qui négociait
sous la houlette américaine avec Moucharraf pour un partage du
pouvoir, a dénoncé une régression vers un régime « dictatorial »,
et reconnu que le Pakistan était « au bord de la déstabilisation ».
Toute la question est maintenant de savoir si elle va choisir
d’appeler à des manifestations ou tenter de convaincre le président
de revenir sur sa décision. Ce qui remettrait en selle le projet
de Washington de mettre en place le ticket Moucharraf-Bhutto. Le
premier restant l’homme clé dans l’alliance antiterroriste américaine,
la seconde contrant l’impopularité croissante du premier en se
faisant l’égérie d’un retour à la « démocratisation ».
Un plan qui, pour avoir l’aval des pays occidentaux, est un
sujet de crispation au sein de l’armée et d’une partie de la
population pakistanaise, excédée par les ingérences américaines
dans le pays sous couvert de lutte contre l’extrémisme
islamique.
La décision de Moucharraf risque de se retourner contre lui,
d’attiser l’insurrection islamiste et d’aboutir à une
multiplication des attentats d’extrémistes, redoutent des
analystes, alors que l’armée jusque-là derrière son chef d’état-major,
commence à traîner des pieds. Toutes puissantes dans le pays,
les forces militaires, qui comptent 500 000 hommes, sont démoralisées
par les attentats suicide dont elles sont souvent la cible. Dans
les zones tribales, des soldats sont kidnappés par des
islamistes, quand ils ne font pas tout simplement reddition. Pour
certains observateurs, l’état d’urgence pourrait accentuer
les contradictions entre Moucharraf et l’armée.
Tolérance zéro
À Karachi, la plus grande ville du pays, le chef de la police
Azhar Ali Farooqi a prévenu qu’aucun débordement ne serait toléré.
« Notre politique clémente est désormais révolue. Nous
appliquons la tolérance zéro. Nous prendrons des mesures, nous
procéderons à des interpellations et nous aurons recours à la
force si nécessaire. » Des avocats ont hier appelé pour
aujourd’hui à une grève nationale et à des manifestations.
© Journal l'Humanité
Publié le 6 novembre avec l'aimable autorisation de l'Humanité.
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