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Opinion
Déclin de sens ou déclin de puissance :
Le dilemme de l'Occident
Chems Eddine Chitour
Hugo Chavez
Lundi 30 mai 2011
«Dieu et la nature sont
sagesse, le monde a de l’eau en quantité suffisante pour que
chacun ait de l’eau, le monde a suffisamment de richesses et de
terres pour produire de la nourriture pour la population
mondiale, le monde a suffisamment de pierres pour construire
afin que personne ne soit laissé sans habitat, mais dans les
faits une minorité s’est appropriée les richesses du monde,
moins de 10% de la population du monde est propriétaire de la
moitié de la richesse du monde entier.»
Président Hugo Chavez
On peut se demander si le discours de Chavez n’est pas utopique
face à un Occident sûr de lui et dominateur qui arrache ce qui
n’est pas à lui pour entretenir une civilisation moribonde de la
croissance infinie dans un monde fini. Justement, l’Occident
est-il une civilisation ou la civilisation étalon sur tous les
aspects, matériels de puissance et en termes d’éthique? Est-ce
un Empire avec des vassaux ou un ensemble disjoint
d’Etats-nations uni par une seule cause, la suprématie de
l’homme blanc, vieux mythe du XIXe mais toujours vivace au XXIe
siècle? Quel est le moteur de son idéologie? La preuve externe
le néolibéralisme, la mondialisation qui permet de laminer les
identités et les spiritualités pour créer de l’errance propice
au développement sans fin du marché, l’autre convoque un conflit
de civilisation, voire de spiritualités qu’Huntington a martelé
comme inéluctable.
Qu’est-ce qu’une civilisation?
La civilisation est le fait de porter une société à un niveau
considéré comme plus élevé et plus évolué que l’était son état
antérieur. Cette acception inclut une notion de progrès qui
s’oppose à la barbarie et à la sauvagerie. La civilisation est
l’ensemble des traits qui caractérisent l’état d’évolution d’une
société donnée sur le plan technique, intellectuel, politique ou
moral, sans porter de jugement de valeur. Une société définit un
type d’homme idéal comme l’«homme de bien» selon Confucius,
l’«honnête homme» du XVIIe siècle européen ou le «gentleman» de
l’Angleterre victorienne. Le comportement civilisé permet aux
hommes de vivre ensemble. Prométhée a apporté aux hommes les
arts et les sciences, mais, malgré ce don, les hommes ne
parviennent pas s’entendre. Zeus leur fournit alors la pudeur et
la justice, c’est-à-dire, la capacité de tenir compte des autres
membres de la société et de régler les différends de manière
pacifique et ordonnée. Les hommes peuvent alors construire leur
vie dans la cité.
Ce qui distingue le pays «civilisé», c’est la manière dont la
violence est utilisée dans un État moderne où toute force armée
doit relever de l’État, puisque ce dernier a le monopole de la
violence légitime. Le progrès technique et celui de la
civilisation sont intimement associés. Dès lors, l’Europe, qui a
bénéficié d’une avance technique et militaire, s’est sentie
investie d’une mission civilisatrice - dont on a connu l’oeuvre
positive- ce qui l’a auto-autorisé à lancer une colonisation
abjecte..
Beaucoup d’auteurs et non des moindres se seront penchés sur le
déclin de la civilisation occidentale. On prête à Kissinger
l’interrogation sur ce qui a fait disparaître l’empire romain.
Le Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler traduit par le
philosophe algérien, Mohand Tazerout (1893 à Azazga en Algérie
1973 à Tanger au Maroc) -superbement ignoré chez lui- est l’un
des essais historiques les plus débattus. Pour expliquer la mort
des civilisations, Spengler conçoit ainsi une histoire
universelle: une collection ordonnée des événements, passés,
présents ou à venir.
Pour sa part, l’oeuvre de réflexion de l’historien Toynbee -
Toynbee qui s’est inspiré de la Muqaddima, préface de l’histoire
universelle de Ibn Khaldoun. - sur la genèse des civilisations
est inclassable. À des fins de classification, Toynbee distingue
vingt-six civilisations avec leurs montées et leurs déclins
L’historien britannique Arnold Joseph Toynbee, admirateur de
Spengler, au point de l’admirer toute sa vie. Son approche peut
être comparée à celle de Oswald Spengler dans Le Déclin de
l’Occident. Il n’adhère pas cependant à la théorie déterministe
de Spengler selon laquelle les civilisations croissent et
meurent selon un cycle naturel. Toynbee présente l’histoire
comme l’essor et la chute des civilisations plutôt que comme
l’histoire d’État-nations ou de groupes ethniques. Ainsi, la
«civilisation occidentale», qui comprend toutes les nations qui
ont existé en Europe occidentale depuis la chute de l’Empire
romain, est traitée comme un tout, et distinguée à la fois de la
«civilisation orthodoxe» de Russie et des Balkans comme de la
civilisation gréco-romaine qui a précédé.
La classification de Toynbee, très historique et faisant une
large place aux grandes religions; les idées de Toynbee ont
connu une certaine mode. Avec raison ou pas, certains critiques
reprochent à Toynbee l’importance qu’il attribue à la religion
par rapport aux autres aspects de la vie lorsqu’il brosse le
portrait des grandes civilisations. À cet égard, le débat
rejoint celui, plus actuel, sur la théorie de sur le «choc des
civilisations».
Justement dans Le Choc des civilisations publié à l’été 1993 par
la revue Foreign Affairs, Samuel Huntington pense que les
relations internationales vont désormais s’inscrire dans un
nouveau contexte. (...) Cette vision des relations
internationales trouve son point d’aboutissement dans la Guerre
froide, celle-ci ayant institué l’affrontement de deux modèles
de société. Huntington nous dit qu’il faut désormais penser les
conflits en termes non plus idéologiques mais culturels: «Dans
ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit
ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au
sein de l’humanité et la source principale de conflit sont
culturelles. Les conflits centraux de la politique globale
opposeront des nations et des groupes relevant de civilisations
différentes. Le choc des civilisations dominera la politique à
l’échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations
seront les lignes de front des batailles du futur.
Comment les empires meurent?
D’où vient cette hégémonie qui fait que l’Occident se veut le
seul dépositaire de sens? Pour l’expliquer, il est courant
d’admettre que l’Occident est parti à la conquête du Monde après
la première révolution industrielle. En fait, il serait plus
indiqué de remonter dans le temps pour s’apercevoir que
l’hégémonie occidentale a débuté après ce qu’on appelle dans la
doxa occidentale «Les Grandes découvertes». Prenant la relève
d’un Orient et d’une civilisation islamique sur le déclin, et au
nom de la Règle des trois C - Christianisation, Commerce,
Colonisation, il mit des peuples en esclavage. Il procéda à un
dépeçage des territoires au gré de ses humeurs sans tenir compte
des équilibres sociologiques que les sociétés subjuguées ont mis
des siècles à sédimenter. Pendant cinq siècles, au nom de ses
«Droits de l’Homme» qui «ne sont pas valables dans les colonies»
si l’on en croit Jules Ferry, l’Occident dicte la norme, série,
punit, récompense, met au ban des territoires qui ne rentrent
pas dans la norme. Ainsi, par le fer et par le feu, plus de 75%
des richesses des Sud épuisés avec 80% des habitants de la
planète furent spoliés et détenus par 20% des pays du Nord.(1)
Après l’implosion de l’empire soviétique, ce fut «la fin de
l’histoire» selon le mot de Fukuyama avec une pax americana qui
paraissait durer mille ans. Le peuple américain se voulant lui
aussi, « peuple élu » comme le martèle «la destinée manifeste»,
c’est à lui d’éclairer le monde au besoin par le napalm. Ce
n’est pas l’avis de la CIA qui, dans un rapport intitulé: Le
monde en 2025, constate une prise de conscience d’une nouvelle
donne à la fois démographique, économique, financière et même
dans une certaine mesure, militaire. Pour la première fois, les
Américains reconnaissent qu’ils ne seront plus les maîtres du
monde. Pour garder la direction du monde, avec 600 bases
américaines et 700...hommes, en dehors des Etats-Unis, Les
Etats-Unis sont constamment en alerte surtout depuis la perte de
leur suprématie économique. L’arrivée du 11 septembre fut du
pain bénit. Le Satan de rechange tombait du ciel, l’Islam et
terrorisme. Ainsi, furent organisées les expéditions punitives
que l’on sait un peu partout semant le chaos, la destruction et
la mort. (1)
Des craquements se font entendre, l’Empire est puissant mais il
est exsangue sur le plan économique. Pour Ignacio Ramonet,
«l’Empire n’a pas d’alliés, il n’a que des vassaux». Ce
basculement inexorable concernant l’avenir du Monde, est rendu
nécessaire. L’analyse lumineuse de l’ambassadeur singapourien,
Kishore Mahbubani, décrit le déclin occidental: recul
démographique, récession économique, et perte de ses propres
valeurs. Il observe les signes d’un basculement du centre du
monde de l’Occident vers l’Orient. Il cite l’ouvrage de
l’historien britannique Victor Kiernan «The Lords of Humankind,
European Attitudes to the Outside World in the Imperial Age» qui
avait été publié en 1969, lorsque la décolonisation européenne
touchait à sa fin.
Victor Kiernan écrivait notamment : «(...) Même si la politique
coloniale européenne touchait à sa fin, l’attitude colonialiste
des Européens subsisterait probablement encore longtemps. En
fait, poursuit Kishore Mahbubani, celle-ci reste très vive en ce
début de XXIe siècle. Souvent, on est étonné et outré lors de
rencontres internationales, quand un représentant européen
entonne, plein de superbe, à peu près le refrain suivant: «Ce
que les Chinois [ou les Indiens, les Indonésiens ou qui que ce
soit] doivent comprendre est que...», suivent les platitudes
habituelles et l’énonciation hypocrite de principes que les
Européens eux-mêmes n’appliquent jamais. Le complexe de
supériorité subsiste. Le fonctionnaire européen contesterait
certainement être un colonialiste atavique.»(2)
Jean-Pierre Lehmann analysant l’ouvrage de Mahbubani
écrit:«Quand Mahbubani écrit que «le moment est venu de
restructurer l’ordre mondial», que «nous devrions le faire
maintenant». Pour lui l’Occident est dans l’incapacité à
maintenir, à respecter et encore plus à renforcer les
institutions qu’il a créées. Et l’amoralité avec laquelle il se
comporte trop souvent sape davantage les structures et l’esprit
de la gouvernance mondiale. Selon Mahbubani, il «est légalement
vivant mais spirituellement(souligné par nous Ndlr) mort» «Le
monde, écrit-il, a perdu pour l’essentiel sa confiance dans les
cinq États nucléaires. C’est cette incapacité à exercer
convenablement un leadership qui fait que l’Occident est
aujourd’hui davantage le problème que la solution. En même
temps, comme le reconnaît Mahbubani, «les pays d’Asie ne sont
pas encore prêts à intervenir. Il en va de même des institutions
financières internationales. Bien qu’on ait de bonnes raisons de
douter qu’aucune des trois plus importantes - la Banque
mondiale, le FMI et l’OMC - ne subsistera jusqu’à la prochaine
décennie, Mahbubani estime qu’il est d’une importance capitale
de les conserver. Mais, bien entendu, il faut les transformer et
les désoccidentaliser. Il ne faut plus que les postes de
directeur de la Banque mondiale et du FMI soient attribués
automatiquement à des États-uniens ou à des Européens, comme si
c’était écrit dans l’Évangile; ils doivent être globalement
ouverts à des talents du monde entier. Il est également
important que la Banque mondiale n’ait plus son siège à
Washington DC et dissémine ses employés dans les pays où elle
opère. L’esprit internationaliste tel qu’il s’incarne dans la
Charte des Nations unies doit donc être maintenu, voire
revivifié».(3)
«Les civilisations, disait Arnold Toynbee, ne sont pas
assassinées, elles se suicident» L’empire américain subit-il le
même déclin que son prédécesseur britannique? s’interroge
l’historien Eric Hobsbawm. La suprématie navale fit la puissance
de la Grande-Bretagne, la capacité de destruction par
bombardement assure celle des Etats-Unis. Cependant, les
victoires militaires n’ont jamais suffi à assurer la pérennité
des empires (...) La Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont
bénéficié d’un atout supplémentaire qui ne pouvait exister que
dans le cadre d’une économie globalisée: tous deux ont dominé
l’industrie mondiale.(...) Quand l’ère des empires maritimes
arriva à sa fin, au milieu du XXe siècle, la Grande-Bretagne
sentit le vent tourner avant les autres puissances coloniales.
Son pouvoir économique ne dépendant pas de sa puissance
militaire, mais du commerce, elle s’adapta plus facilement à la
perte de son empire, comme elle l’avait fait face au plus grave
revers de son histoire, la perte de ses colonies américaines.
Les Etats-Unis comprendront-ils cette leçon? Ou chercheront-ils
à maintenir une domination globale par la seule puissance
politique et militaire, engendrant ainsi toujours plus de
désordre, de conflits et de barbarie?»(4)
Au monde unipolaire et dominé par l’Occident, écrit Alain Gresh,
succède une nouvelle géopolitique marquée par la multiplication
des acteurs influents. L’affaissement actuel du système
financier ne peut qu’accélérer ce mouvement de repli occidental.
«La fin de l’arrogance», titrait l’hebdomadaire allemand Der
Spiegel, le 30 septembre, avec ce sous-titre: «L’Amérique perd
son rôle économique dominant». Quinze ans plus tard, un autre
consensus se fait jour, plus proche, semble-t-il, de la réalité:
nous entrons dans un «monde post-américain».(5)
L’Occident vit une crise de l’avenir: les nouvelles générations
ne croient plus qu’elles vivront mieux que celles qui les ont
précédées. Une crise de sens, d’orientation et de signification.
L’Occident sait à peu près d’où il vient, mais peine à savoir où
il va. Certes, comme disait René Char, «notre héritage n’est
précédé d’aucun testament» et il appartient à chaque génération
de dessiner son horizon. Mais nos tourments ne sont pas sans
fondement. Le sens du commun s’est étiolé. A l’heure du «chacun
pour soi», le sentiment d’appartenance à un projet qui
transcende les individualités s’est évaporé. L’effondrement du
collectivisme - nationaliste ou communiste - et du progressisme
économique a laissé place à l’empire du «moi je». Le sens du
«nous» s’est dispersé.(6)
Le déclin de la civilisation occidentale est à des degrés
divers, aussi celui des valeurs face à un Islam qualifié
d’obscurantiste parce qu’il tient à des valeurs universelles
consubstantielles de la dignité humaine . Cette façon de faire
de l’Occident est condamnée. A terme, on s’apercevra que les
slogans creux des droits qui sont ceux exclusifs de l’homme
blanc en Occident –encore qu’il faille noter que même dans ces
sociétés la fracture est totale entre les nantis et les pauvres-
vont s’effriter au fur et à mesure de la disparition de la
puissance matérielle, malgré tous les combats d’arrière-garde
symbolisés notamment par les nouvelles armes terribles tels que
les drones, les lasers, les bombes thermonucléaires les aurores
boréales sur commande allant plus loin que le XXe siècle « A
Beastly Century », « un siècle bestial » terme , utilisé par
Margaret Drabble, pour décrire le XXe siècle. Il y eu en effet,
environ 231 millions de morts en 100 ans de guerres et conflits.
Tout ceci pour tenter de garder, en vain, la suprématie sur des
hommes qui aspirent quelles que soient leurs latitudes à une
égale dignité. Ce siècle sera assurément aussi celui de la
guerre de tous contre tous C’est en définitive, un déclin du
sens et du non-respect des valeurs éthiques que ce même Occident
veut appliquer aux autres et non pas à soi-même. « La paix
universelle écrit Anatole France se réalisera un jour non parce
que les hommes deviendront meilleurs mais parce qu'un nouvel
ordre, une science nouvelle, de nouvelles nécessités économiques
leur imposeront l'état pacifique » Amen.
1.Chems Eddine Chitour: Doxa occidentale
Est-ce la fin d’une époque ?
http://www.lexpression.dz/categorie/8/2011-04-07.html
2.K.Mahbubani: The Irresistible Shift of Global Power to the
East, Septembre 2008
3.Jean-Pierre Lehmann: Déclin de l’Occident et montée de
l’Orient. Reseau Voltaire 2 09 2008
4.Eric Hobsbawm: Du déclin des Empires: Le Monde Diplomatique
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/11/Hobswawm/16469
5.Alain Gresh
http://www.monde-diplomatique.fr/2008/11/GRESH/16455
6.Nicolas Truong (Débat) Peter Sloterdijk Philosophe Slavoj
Zizek La crise d’’avenir de l’Occident Le Monde 27.05.2011
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz
Publié le 30 mai 2011 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Les textes du Pr Chems Eddine Chitour
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