Opinion
La guerre au Mali
: Une tragédie à huis clos
Chems
Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mercredi 30 janvier 2013
«Malgré la durée
de la nuit, le jour finit toujours par
apparaître...»
Proverbe
africain
Ça y est! François Hollande a eu, à
l'instar de George Bush Junior, sa
guerre, et sa « victoire » en moins de
temps qu'il n'a fallu pour démolir
l'Irak et le faire retourner à l'âge de
pierre. Mutatis mutandis la France s'est
offert le Mali, les mêmes causes
produisant les mêmes effets, il est
certain qu'il y aura une suite. Parlons
d'abord de la «promenade française en
terre malienne» avec les potentats
vassaux africains qui font assaut
d'allégeance vis-à-vis de Paris pour
garder leurs trônes imposés à leurs
peuples.
D'une façon faussement naïve, un
journaliste du journal le Pays se
demande où sont ces combattants dont on
avait surestimé la capacité de nuisance:
«Depuis la chute de la ville de Diabaly,
au centre du pays, les troupes
françaises avancent sans grande
résistance. La ville symbolique de
Tombouctou a été reprise le 28 janvier,
sans combats. Défaite des djihadistes?
Sans doute pas. Les villes maliennes
sous contrôle des islamistes tombent
l'une après l'autre dans les mains des
armées française et malienne sans la
moindre résistance. Depuis la prise de
Konna (Centre) par les armées malienne
et alliées, les djihadistes ne font que
fuir les villes qu'ils occupaient. Même
dans les grandes villes comme Gao où ils
avaient une importante base, ils n'y ont
pas opposé une résistance aux soldats
français et maliens. Les libérateurs,
comme les appellent les populations,
avancent la fleur au fusil. Faut-il en
rire ou en pleurer? »(1)
« Pourquoi, poursuit le journaliste avec
une rare délectation, des djihadistes
qui fanfaronnaient à bord de pick-up
ont-ils choisi de prendre leurs jambes à
leur cou à la moindre frappe aérienne?
Et où se cache-t-elle cette vermine? A
dire vrai, l'attitude des islamistes
suscite mille et une interrogations.
Quelle est finalement leur destination?
Vont-ils se fondre dans la population
nordique ou vont-ils se réfugier dans
des grottes? Il faut, à tout prix,
arriver à déloger ces islamistes dans
leur cachette et les capturer si
possible. C'est à ce seul prix que l'on
pourra crier victoire. Car la conquête
rapide et sans grands sacrifices des
villes, jadis occupées par les
islamistes est, disons- le, trop belle,
sinon trop facile pour être vraie. On a
certes réussi à couper la chique à ces
fous d'Allah, mais cela ne saurait être
considéré comme une victoire totale, un
retour absolu de la paix.» (1)
La
reconquête de l'Afrique
On peut s'interroger à juste titre sur
la finalité de ces expéditions dont les
motifs réels sont toujours les mêmes
depuis la Conférence de Berlin de la fin
du XIXe siècle; mettre en coupe réglée
les pays faibles africains. Ce cap est
plus que jamais d'actualité avec la
raréfaction des matières premières dont
l'énergie. Si on regarde finement les
choses, on s'aperçoit que selon la
sentence de Franklin Delano Roosevelt,
ancien président des Etats-Unis dans les
années trente du siècle dernier «si un
événement arrive par hasard, vous pouvez
être sûr qu'il a été programmé pour se
dérouler ainsi», tout devient clair!
Manlio Dinucci décode pour sa part à
travers l'exemple malien de la
reconquête pure et simple de l'Afrique,
il en explique le scénario simple
reconquête de l'Afrique: «Au moment même
où le président démocrate Obama
réaffirmait dans son discours inaugural
que les Etats-Unis, ´´source d'espoir
pour les pauvres, soutiennent la
démocratie en Afrique´´, de gigantesques
avions étatsuniens les C-17
transportaient des troupes françaises au
Mali, où Washington a installé au
pouvoir l'an dernier le capitaine Sanogo,
entraîné aux USA par le Pentagone et par
la CIA, en aiguisant les conflits
internes ».(2)
La rapidité avec laquelle a été lancée
l'opération, officiellement pour
protéger le Mali de l'avancée des
rebelles islamistes, démontre que
celle-ci avait été planifiée depuis
longtemps par le socialiste Hollande.
(...) Les puissances occidentales, dont
les groupes multinationaux rivalisent
entre eux pour accaparer les marchés et
les sources de matières premières, se
compactent quand leurs intérêts communs
sont en jeu. (...) Ce n'est pas un
hasard si Paris, en même temps que
l'opération au Mali, a envoyé des forces
spéciales au Niger. Situation analogue
au Tchad, dont les riches gisements
pétrolifères sont exploités par
l'étatsunienne Exxon Mobil et d'autres
multinationales.» (2)
Un cas d'école assumé concerne la
mainmise d'Areva sur les mines du Niger
Emmanuel Grégoire directeur de recherche
spécialiste du Niger déclare, sûr du bon
droit de la France: «Au vu des tensions
dans la région, les forces françaises
seront envoyées au Niger protéger les
mines d'Areva. 30% de
l'approvisionnement français en uranium
proviennent de ce pays. (...). Elle
aurait même dû intervenir depuis
longtemps au Niger (...)Quand la
nouvelle mine d'Imouraren sera en
activité, le Niger couvrira 50% de
l'approvisionnement. Je ne pense pas que
la France se retirerait définitivement
de la région, notamment du Niger. Si la
France perdait les gisements du Niger ce
serait très embêtant pour elle. (3)
Dans une contribution intéressante,
Barbara Spinelli s'interroge sur le
suivisme européen des Américains,
suivisme stérile en regard de
l'efficacité de la démarche chinoise
vis-à-vis de l'Afrique. Nous l'écoutons:
«Prix Nobel de la paix, l'Europe est en
guerre depuis près de quinze ans - des
Balkans à la Libye, en passant par
l'Afghanistan et aujourd'hui, au Sahel.
Un interventionnisme pourtant marqué par
l'absence de vision à long terme. Voilà
près de 14 ans que les Européens
participent périodiquement à des
interventions armées. La guerre -
souvent sanglante, rarement fructueuse -
n'est jamais appelée par son nom. Elle
avance masquée: elle permettra de
stabiliser les pays en faillite, de les
démocratiser et, surtout, sera brève et
peu coûteuse. Celle qui a débuté le 11
janvier au Mali est conduite par la
France de François Hollande, avec le
maigre appui de soldats africains et
l'approbation - rétroactive - de ses
alliés européens. Aucune concertation ne
l'a précédée, en violation du traité de
Lisbonne (art. 32, 347).(...)
L'interventionnisme est en train de
devenir un habitus européen, copié sur
l'américain. (...) Qui compare notre
vision à celle des autres pays. Qui
examine la politique chinoise en
Afrique, si volontaire et si différente
de la nôtre: elle est axée sur
l'investissement, quand la nôtre se
focalise sur l'aspect militaire. (...)
La dégradation de la situation malienne
était évitable si les Européens avaient
étudié le pays: considéré pendant des
années comme un phare de la démocratie,
le Mali a sombré dans la pauvreté,
ravivant les problèmes posés par des
frontières coloniales artificielles.
(...) C'est un échec, pour l'Europe et
pour l'Occident. Pendant ce temps, la
Chine regarde et se frotte les mains.
Elle assoit sa présence sur le
continent. A l'heure qu'il est, son
interventionnisme consiste à construire
des routes, et non à faire la guerre.»
(4)
Même les Britanniques sentant le vent
tourner veulent participer à la curée
´´Des troupes britanniques rejoindront
les Français dans la mission malienne.
Les forces militaires épauleront les
opérations contre les rebelles´´, assure
David Cameron.
La guerre est-elle terminée au Mali
après la victoire véritable promenade de
santé contre les damnés de la terre ?
François Hollande a affirmé que la
France et ses partenaires africains
étaient en train de ´´gagner la bataille
au Mali´´, mais qu'il appartiendrait aux
forces africaines de poursuivre ´´les
terroristes´´ dans le nord du pays. Nous
sommes en train de gagner cette
bataille. Quand je dis nous, c'est
l'armée malienne, ce sont les Africains
soutenus par les Français. Interrogé sur
Europe 1 le lundi 28 janvier, Jean-Luc
Mélenchon a estimé que les buts de la
guerre de la France au Mali avaient
changé depuis le début de l'opération,
et mis en garde contre des problèmes
politiques prévisibles dans le pays.
´´Les buts de guerre de la France ont
évolué à mesure de la bataille. Au
début, il s'agissait de stopper une
colonne, puis il a été question de
traquer les islamistes et nous voici
partis pour reconquérir tout le nord du
Mali. Si nous reprenons le Nord-Mali -ce
que je souhaite, puisque je souhaite la
victoire de nos armées, pas leur
défaite, évidemment- nous aurons le
problème suivant: à qui allons-nous
remettre le nord Mali? »
Pourtant , malgré les communiqués
triomphateurs «on commence à
relativiser». Cette non-résistance fait
que les «islamistes se sont sauvés. Où
sont-ils: «La France ira-t-elle seule
déloger Aqmi de ses sanctuaires
montagneux de l'Adrar des Ifhogas, à
l'extrême nord du Mali, où se sont
repliés les terroristes islamistes?
Peut-être que la France va lever le pied
et qu'elle va confier «la patate chaude»
aux Africains, pendant qu'elle prendra
«ses quartiers» car on ne mobilise pas
3500 hommes pour repartir au bout d'un
mois. Pourtant, le président Hollande
répète: «C'est aux Africains de
permettre au Mali de ´´retrouver son
intégrité territoriale´´, en particulier
dans le nord du pays, toujours contrôlé
par les ´´groupes terroristes´´. ´´La
France n'a pas vocation à rester au
Mali. En revanche, notre devoir c'est de
faire en sorte que nous puissions
permettre aux forces africaines de
donner au Mali une stabilité durable´´,
´´Les Africains peuvent prendre le
relais et ce sont eux qui iront dans la
partie du nord´´. Le président a par
ailleurs, rappelé qu'´´une fois
l'intégrité du Mali restaurée, les
forces françaises ont vocation à
rejoindre leurs bases´´ Lesquelles?(5)
Est-ce que pour autant la crise malienne
est résolue? Christophe Châtelot du
Monde pense que le volet développement
est incontournable: «L'Afrique serait
donc une priorité de François Hollande?
Certaines apparences sont pourtant
trompeuses. (...) Pour autant, cette
intervention n'a rien à voir avec celles
du passé. (...) Mais, à supposer que
cette mobilisation internationale
entraînée dans le sillage de la France
chasse les djihadistes du nord du Mali,
une autre partie, aussi difficile, se
jouera: reconstruire un pays failli,
plongé dans un chaos institutionnel
depuis le coup d'Etat du 22 mars 2012.
...) Ces dernières années, l'inclusion
des annulations de dettes massives dans
les chiffres de l'aide publique au
développement (APD) a permis de gonfler
artificiellement des statistiques qui,
malgré cela, restaient en deçà des 0,7%
du PIB que la France s'est engagée à y
consacrer. Pour Romano Prodi: «Le
gouvernement malien doit commencer dès
maintenant à préparer les élections.»
(6)
Les
exactions silencieuses
Au lendemain de la libération de
Tombouctou, la population s'en prend aux
biens des Arabes, accusés d'être des
islamistes. On rapporte que des Arabes
ont été jetés dans les puits. Human
Rights Watch (HRW) avait demandé lundi
aux autorités maliennes de prendre ´´des
mesures immédiates´´ pour ´´protéger
tous les Maliens de représailles´´,
évoquant ´´des risques élevés de
tensions inter-ethniques´´ dans le Nord,
où la rivalité est forte entre les
minorités arabes et touarègues la
plupart du temps assimilées à des
islamistes, et les Noirs, majoritaires
au Mali. Le Mouvement national de
libération de l'Azawad (Mnla), groupe
armé touareg indépendantiste et «laïque»
annonce avoir repris la ville et la
région de Kidal, au nord-est, et se dit
prêt à lutter contre les «terroristes».
«Notre mouvement s'inscrit désormais
dans la lutte contre les terroristes»,
ajoute-t-il. «Nous ne demandons pas le
départ de l'armée française, nous
l'approuvons quand elle lance des
frappes ciblées. Mais pas quand elle
ramène l'armée malienne sur notre
territoire, où elle a déjà commis des
exactions, aidée par des milices
ethniques», ajoute Moussa ag Assarid.
Il y a donc à non point douter une
épuration qui se fait. La communauté
internationale regarde ailleurs, les
médias aux ordres sont bâillonnés et Ban
Ki-moon gère sa carrière. La crainte
d'actes de vengeance et de représailles
est présente à Tombouctou, on accuse les
islamistes d'avoir commis comme à Gao de
nombreux crimes au nom de la charia:
amputations, lapidations, exécutions.
Ceci reste à comptabiliser réellement.
On les accuse aussi d'avoir détruit de
nombreux mausolées de saints musulmans.
Dans le journal L'Express, nous lisons
les motifs de ces épurations
interethniques et religieuses «Ils nous
chicotaient (frappaient) quand on
fumait, quand on écoutait de la musique.
On va leur faire payer ce qu'ils nous
ont fait. Les chicoter aussi.´´ Dans les
guerres asymétriques comme celle qui se
déroule au Nord-Mali, la France se
trouve devant deux écueils d'importance,
l'un est d'ordre africain et avant tout
malien, à savoir que ce pays est en
déliquescence avancée puisqu'aucune
institution malienne régalienne ne tient
debout, Parlement, gouvernement,
présidence, forces armées et gendarmerie
sont minés par le clientélisme, la
corruption. L'armada africaine, telle
une armée mexicaine, ne dispose ni
d'expérience ni de cadres militaires
aguerris au combat, et encore moins de
matériels adéquats. (7)
Des magasins supposés appartenir à ´´des
Arabes´´ assimilés aux islamistes ont
été pillés mardi à Tombouctou par une
foule en colère. Des centaines de
personnes, visiblement très pauvres, ont
attaqué des magasins tenus, selon elles,
par ´´des Arabes´´, ´´des Algériens´´,
´´des Mauritaniens´´, accusés d'avoir
soutenu les islamistes armés liés à Al
Qaîda à Tombouctou. Cette ville mythique
du nord du Mali a été reprise lundi sans
combat par les armées française et
malienne.
Dans le même ordre, c'est un véritable
appel au meurtre que lance le journal Le
Pays: «Les populations qui jubilent
actuellement devraient, elles aussi, se
mettre en cheville avec les militaires
afin de mieux traquer cette bande
d'individus sans foi ni loi. Une saine
collaboration des populations s'avère
nécessaire car, c'est parmi elles que
pourraient se dissimuler les
djihadistes.» (1)
Voila que l'Occident bouscule des
traditions des espérances qui ont mis
des siècles à sédimenter pour imposer sa
doxa, sa loi impériale qui veut que ce
qui n'est pas occidental en termes de
façon de penser, de copier, de singer
est mauvais, immoral et doit être
combattu.
Quand on montre des Maliennes en train
d'enlever leur voile ou se plaindre de
ne pas se voiler, on veut imposer une
façon de vivre à partir d'un échantillon
qui n'est pas représentatif de
l'ensemble.
Le grand poète latin Horace avait raison
d'écrire: «Quid leges sine moribus, quid
mores sine legibus?» «Que sont les lois
sans les moeurs, que sont les moeurs
sans les lois?» Ces lois et ses moeurs
du vivre-ensemble de chaque peuple,
savant dosage de traditions,
d'espérances, d'acculturation sont en
train de voler en éclats. Pour
l'Occident chrétien pendant longtemps «Salus
extra ecclesiam non est» (Hors de
l'Eglise point de salut) Nous pourrions
dire avec la nouvelle religion du money
théisme: «Salus extra mercatus non est»
«Hors du marché point de salut!» Doit-on
laisser cette machine du diable faire
voler en éclats des traditions des
espérances qui ont mis des siècles à
sédimenter? La question est plus que
jamais d’actualité
1.Mais-ou-sont-donc-passes-les-djihadistes.
Le Pays 29 janvier 2013*
2.Manlio Dinucci
http://www.mondialisation.ca/la-reconquete-de-lafrique/5320965
3.http://www.terraeco.net/spip.php?id_article=
47972&page=commentaires
4.//www.presseurop.eu/fr/content/article/3330201-l-europe-part-en-guerre-les-yeux-bandes
5.http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/01/28/hollande-c-est-aux-africains-de-permettre-au-mali-de-retrouver-son-integrite-territoriale_1823672_3212.html
6.http://www.lemonde.fr/international/article/2013/01/25/france-afrique-un-nouveau-depart_1822720_3210.html#xtor=EPR-32280229-[NL_Titresdujour]-20130129-[titres]
7. Les islamistes détruisent les
derniers mausolées. L'Express.fr 28 01
2013
Professeur Chems Eddine
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 31 janvier 2013 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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