Algérie
Ce que fut la
colonisation :
Les Justes qui ont aidé l'Algérie
Chems
Eddine Chitour
Pr Chems
Eddine Chitour
Jeudi 21 juin 2012
«Quand les
hommes ne peuvent plus changer les
choses, ils changent les mots».
Jean Jaurès
Tout au long de cette histoire de
cohabitation qui fut dans l'ensemble
douloureuse, il y eut des hommes et des
femmes européens d'Algérie qui, à des
degrés divers, se sont battus pour la
dignité et contre le système colonial,
notamment en contribuant à
l'indépendance de l'Algérie. Sait-on par
exemple, qui est Francis Jeanson mort
dans l'anonymat le plus strict aussi
bien en France qu'en Algérie? L'Algérie
d'aujourd'hui refuse de voir son
histoire en face. Sait-on que des
Français se sont battus, se sont exposés
et ont mis en jeu leur liberté et
parfois leur vie pour l'indépendance du
pays tout étant fidèles à une certaine
idée de la France
Francis
Jeanson: l'autre face et l'honneur de la
France
«Mais qu'est-ce que tu connais, toi, de
la France, sinon Bugeaud et Bigeard? Tu
t'adresses à moi comme si j'étais un
traître à mon pays. A partir
d'aujourd'hui, je voudrais que tu
retiennes que mes camarades et moi
n'avons fait que notre devoir, car nous
sommes l'autre face de la France. Nous
sommes l'honneur de la France.» C'est
par cette phrase que le philosophe
Francis Jeanson- s'adressant au
président Abdelaziz Bouteflika -Juin
2000- a défini son rôle lors de l'aide
qu'il a apportée à la Révolution
algérienne: pour lui, il n'a fait que
son devoir et il n'en rougit pas, il se
démarque des «autres» qui, au mieux, ont
protesté mollement à propos de la
torture au pire l'ont approuvée comme
l'a fait le cardinal Saliège: «La
terreur doit changer de camp.» Francis
Jeanson «Le porteur de valises» selon le
bon mot de Jean-Paul Sartre, durant la
Guerre d'Algérie avait fondé le plus
important réseau de soutien au FLN en
métropole.
«Depuis 2000, écrit Florence Beaugé,
témoignages, articles et procédures
judiciaires se succèdent en France,
portant sur les pratiques de l'armée
durant les «événements» d'Algérie. Des
pratiques amnistiées. Mais l'amnistie
n'induit pas obligatoirement
l'amnésie.(..) Les exactions commencent
dès 1830, quand les troupes françaises
débarquent à Sidi Ferruch, pour une
expédition coloniale longue de quarante
ans. Pillages, carnages, incendies de
maisons, rafles de civils à grande
échelle, etc. La conquête de l'Algérie
s'accompagne d'actes de barbarie, les
documents d'histoire en attestent. (...)
Dès 1947 et 1948, André Mandouze et
Francis Jeanson s'alarment, dans la
revue Esprit, de la situation qui
prévaut dans les trois départements
français. Mais ils crient dans le
désert. En 1951, un ancien résistant, le
journaliste Claude Bourdet, pose la
question
«Y-a-t-il une gestapo algérienne?» dans
les colonnes de L'Observateur, et décrit
les méthodes en vigueur dans les
commissariats: électricité, baignoire,
pendaison (...)».(1)
Francis Jeanson explique le sens de son
combat: «Ce qui se passait en Algérie au
nom de la France était inadmissible. Il
fallait être contre. La seule façon
d'être contre, c'était d'être aux côtés
de ceux qui se battent. On m'a souvent
dit que c'était de la trahison. Mais,
pour moi, il y avait déjà trahison:
celle des valeurs de la France.» (2)
«Avant de s'indigner des atrocités
commises en Algérie, il faut se demander
pourquoi nous avons fait la guerre au
peuple algérien et pourquoi nous avons
laissé faire des choses qui n'avaient
pas de raison d'être. (...) Depuis mai
1945, et les massacres de Sétif, on
aurait dû le savoir. La torture n'est
pas née de la Guerre d'Algérie en 1954.
(...) Prenez les droits de l'homme. Nous
prétendons les enseigner, un peu partout
(...) Comment pouvons-nous demander à
ces peuples, soumis à d'incroyables
pressions et à des déstabilisations
successives, de respecter les droits de
l'homme comme nous y prétendons ici.»
(3)
Francis Jeanson s'opposera à Camus et à
sa thèse que toute révolution débouche
sur la négation des libertés. Sartre
interviendra dans cette célèbre
controverse en assénant à Camus qui
voulait garder ses mains propres: «Avoir
des mains propres, c'est ne pas avoir de
mains.» (..) Dès 1958, la diffusion des
livres La Gangrène et La Question -
publiés mais aussitôt interdits parce
qu'ils témoignent de la généralisation
de la torture - mobilise des centaines
de militants.(4)
André
Mandouze
André Mandouze normalien, spécialiste de
saint Augustin, chrétien de gauche,
résistant est un autre «juste» En 1956,
il s'engage totalement aux côtés de la
Révolution algérienne. Il connut la
prison pour «trahison envers la patrie»
et fut une des bêtes noires de l'OAS.
Après l'Indépendance, il y retourna en
tant que directeur de l'enseignement
supérieur et y resta cinq ans. Parlant
de ses démêlés avec le pouvoir colonial,
André Mandouze déclare: «En 1956, en
novembre et décembre précisément,
j'avais été emprisonné à la Santé pour
mon combat en faveur de l'Algérie. Par
ailleurs, il faut savoir qu'à cette
époque, j'avais déjà eu affaire à ceux
qui, bien plus tard, formèrent l'OAS
(...) Permettez-moi de rapprocher le
livre d'Henri Alleg (La Question, Ndlr)
du combat de celui qui, dès janvier 1955
et jusqu'à la fin de la Guerre
d'Algérie, ne cessa de protester et de
condamner la torture - je veux parler du
cardinal Duval. Pour moi, dès la
parution de La Question, s'est rétabli,
en quelque sorte, le rapprochement de
«celui qui croyait au ciel» et de «celui
qui n'y croyait pas», contre le racisme
colonialiste, de la même façon que les
uns et les autres s'étaient retrouvés,
pendant la Résistance, contre le
fascisme hitlérien.». (5)
Interrogé sur son appréciation de la loi
du 23 février 2005, André Mandouze eut
cette phrase sans appel: «Il faut
abroger. Cet article de loi est
scandaleux. Il apporte la preuve que le
colonialisme est encore bien vivant dans
l'esprit d'un certain nombre de gens qui
regrettent que ce soit fini. (...) Il
faut parvenir à un accord de fond pour
soigner définitivement les blessures du
colonialisme et que naisse entre la
France et l'Algérie une véritable
amitié. L'Europe, sans l'Afrique et
l'Algérie, ce n'est pas l'Europe.
Inversement, l'Algérie et le Maghreb, en
rapport avec l'Europe, c'est la
possibilité de contrer cette Amérique
qui se conduit lamentablement en Irak et
ailleurs. Voilà les vrais enjeux.» (6)
Germaine
Tillion: Justice et vérité
Peut-on oublier de citer Germaine
Tillion pour qui le combat se résume
dans ces phrases: «Je pense, de toutes
mes forces, que la justice et la vérité
comptent plus que n'importe quel intérêt
politique.» Fin novembre 1954. Dans
l'Aurès, les vieux Chaouïa lui racontent
comment un militaire maniaque torture de
simples suspects. Germaine Tillion
ignore tout du problème colonial. Etant
reçue par Soustelle son ancien collègue
ethnologue comme elle, elle bouillonne:
«Croyez-moi monsieur le gouverneur, même
un Benboulaïd qui a été arrêté est
respectable. Je connais bien sa famille.
Je l'ai vu tout gosse à Batna. Mostefa
est un patriote et non un criminel de
droit commun.» Un an plus tard, elle
crée des centres sociaux en Algérie. En
même temps, Germaine Tillion s'élève
avec véhémence contre la torture avec
l'historien Pierre Vidal-Naquet ou le
journaliste Henri Alleg. Le 18 juin
1957, elle participe à la commission
d'enquête sur la torture dans les
prisons de la Guerre d'Algérie. Germaine
Tillion, conseillère technique au
cabinet de Soustelle, verra Parlanges,
le général commandant les Aurès et
chargé de la pacification et des SAS
chères à Soustelle. Ecoutons comment
elle raconte son entrevue avec lui:
«Lorsque je lui ai raconté comment les
officiers «maniaques» torturaient des
«réputés suspects», j'ai compris la
méthode qu'il pratiquait au regard
profondément ironique qu'il m'a
«accordé». Je me souviens encore de ses
mains de garçonnet, sans cesse en
mouvement, lorsqu'il parlait avec une
évidente satisfaction de toutes les
façons possibles d'égorger un homme.»
(7)(8)
Les autres
Justes
«La vie d'un homme, la mienne, compte
peu. Ce qui compte, c'est l'Algérie, son
avenir. Et l'Algérie sera libre demain.
Je suis persuadé que l'amitié entre
Français et Algériens se ressoudera», a
déclaré Fernand Iveton, peu avant d'être
guillotiné. Avec Fernand Iveton
l'Algérien de coeur et de naissance, il
faudrait rendre justice à tous ceux qui
- sans être des indigènes au sens de la
colonisation - et dans l'ombre au péril
de leur vie, ont cru à l'indépendance de
l'Algérie. La liste est longue. Les
hommages sont tardifs, parcimonieux et
non dénués d'arrière-pensée. Il faut
faire apparaître tous les Français dans
le cas adverse et les Algériens dans
l'autre ce qui n'est pas vrai. Il y eut
des «Justes» qui ont donné le meilleur
d'eux-mêmes qui furent considérés
eux-mêmes comme des traitres.» (9)
La liste est longue de ceux qui ont
bravé les interdits, traversé les
barrières invisibles des communautés,
l'exemple le plus frappant est celui du
Docteur Daniel Timsit qui a participé
activement à la guerre d'indépendance de
l'Algérie du «mauvais côté». Daniel
Timsit est né à Alger en 1928 dans une
famille modeste de commerçants juifs.
Descendant d'une longue lignée
judéo-berbère, il a grandi dans ce pays
où cohabitent juifs, Arabes et
pieds-noirs, que le système colonial
s'efforce de dresser les uns contre les
autres. Il s'occupera du laboratoire de
fabrication d'explosifs, puis entrera
dans la clandestinité en mai 1956.
Arrêté, il sera détenu jusqu'à sa
libération en 1962, date à laquelle il
rentre à Alger. Il s'explique longuement
sur son identité algérienne, lui qu'on
continue en France, à présenter comme un
Européen. «Je n'ai jamais été un
Européen», se défend-il. Il s'est
toujours considéré comme Algérien, lui,
dont la langue maternelle est l'arabe «derdja».
La langue et la culture françaises,
qu'il ne renie pas, viennent au second
plan. L'algérianité ne se définit pas en
fonction d'une appartenance ethnique ou
religieuse, mais parce qu'il appelle
«une communauté d'aspirations et de
destin». (10)
Un hommage mérité a été rendu au couple
Claudine et Pierre Chaulet à l'occasion
de la parution de leur ouvrage Le choix
de l'Algérie, deux voix, une mémoire.
Pour rappel, ce sont eux qui ont
exfiltré Abane Ramadane en pleine
bataille d'Alger. Pour Rédha Malek, le
couple Chaulet est considéré comme un
symbole de la guerre de Libération.
«(...) L'algérianité du couple Chaulet»
n'est pas le fruit du hasard mais d'un
engagement total et réfléchi´´. M. Rédha
Malek a évoqué également Pierre Chaulet
le médecin qui avait rejoint les rangs
du Front de libération nationale et le
rédacteur à El Moudjahid».(11)
Après l'Indépendance, le couple Chaulet
a contribué au développement de
l'Algérie, Claudine Chaulet sera
professeur de sociologie à l'université
et le professeur Pierre Chaulet fut l'un
des piliers de l'organisation de la
santé. A ce titre, je me souviens qu'en
tant que directeur du Centre
universitaire de Sétif, il m’a été
possible d'ouvrir la filière des
sciences médicales grâce notamment au
professeur Chaulet qui s'est déplacé à
Sétif enseigner pendant une dizaine de
jours. Il ne voulut pas d'une indemnité,
considérant qu'il ne faisait là que son
devoir. Qu'il en soit encore remercié
trente ans après!
Il n'est pas possible, dans le cadre de
cette contribution, de témoigner et de
rendre hommage dans le détail des
milliers de personnes françaises de
souche ou Algériens- Européens, qu'il
nous suffise de citer sans être
exhaustif, les avocats Jacques Vergès,
Gisèle Halimi, Henri Alleg l'ancien
directeur d'Alger Républicain qui
écrivit un livre témoignage sur la
torture: La Question. A côté de la ligne
officielle de l'Eglise, il nous faut
citer, sans être exhaustif, tous les
hommes de religion qui, dérogeant à la
norme officielle, ont témoigné notamment
contre la torture, je veux citer
Monseigneur Duval, l'abbé Bérenguer sans
oublier l'immense Frantz Fanon qui
combattit avec les armes de l'esprit et
dont les écrits -cinquante ans après-
sont toujours d'actualité.
En tout cas, l'humanisme sans
complaisance de Francis Jeanson, André
Mandouze, Mgr Duval, Germaine Tillion,
Henri Alleg, Daniel Timsit et tant
d'autres resteront pour nous tous une
leçon de vie et ne disparaîtront pas. A
ce titre aussi, ils méritent notre
respect profond et notre recueillement à
leur mémoire. Ces Justes ont fait, en
leur âme et conscience, leur devoir. Si
on devait, objectivement trouver quelque
attrait à la présence française en
Algérie, nous ne sommes pas ingrats,
nous sommes reconnaissants à la France
de compter en son sein des hommes de la
trempe de ces géants de l'empathie, du
juste combat, de la charité chrétienne.
A titre individuel, ils ont transcendé
les interdits pour venir prêcher
inlassablement la paix, la tolérance, le
respect de la dignité humaine.
Assurément, ces hommes et ces femmes qui
ont risqué leur vie, tournant le dos à
une vie de confort et de compromission,
ils et elles ont largement leur place
parmi les «Justes».
Cinquante ans après, nous ne devons pas
aussi, oublier ceux qui ont fait du mal
à ce peuple sans défense. Les
tortionnaires de l'Algérie devront
constamment être pointés du doigt pour
que nul n'oublie les Rovigo,
Saint-Arnaud, Bugeaud les Aussareses et
autres Parlanges, pour rappeler
l’ensauvagement et la barbarie de l’invzson
coloniale puis de la colonisation . Si
l'Algérie érige un « monument de la
mémoire », les Justes auront toute leur
place. Nous devons, dans le même
mouvement, nous incliner
respectueusement devant tous ceux qui
ont aidé l'Algérie dans sa détresse
séculaire.
La présence française, malgré ses
aspects sanguinaires et de déni de la
dignité, a laissé, par le dévouement de
ses instituteurs, de ses médecins et
Européens et aussi Français de souche
qui ont, à titre individuel, aimé
l'Algérie et donner un sens à la charité
chrétienne pour certains à l’humanisme
pour les autres . Au risque de nous
répeter ne soyons pas ingrats envers les
« Justes » , mais restons vigilants
quand à la justesse de notre quête de
justice pour tous les crimes et dénis de
la condition humaine dont s’est rendu
coupable le pouvoir colonial.
1.Florence Beaugé: La torture, ou que
faire de cet encombrant passé? Le Monde
31.10.2004
2.«La seule façon d'être contre». Le
Nouvel Observateur n° 2085 21 octobre
2004
3.Francis Jeanson, philosophe: " La
question de la torture est indissociable
de la question coloniale" Propos
recueillis par Thomas Lacoste et Hervé
Le Corre. 28 mai 2001 Le Monde
4.Dominique Vidal: Ces «traîtres» qui
sauvèrent l'honneur de la France Le
Monde diplomatique Septembre 2000
5. André Mandouze: Guerre d'Algérie: «Le
choc de la Question»: l'Humanité.
9.11.2001.
6.André Mandouze: il faut abroger!» par
Rosa Moussaoui l'Humanité 10.12.2005.
7.Yves Courrières: La guerre d'Algérie:le
Temps des léopards. p.83 Edt Arthème
Fayard 1969,
8.C. E. Chitour, Germaine Tillion:
humainehttp://www.millebabords.org/spip.php?article8357
9.Chems Eddine Chitour. Ces Français
injustement oubliés Mondialisation.ca 16
fevrier 2012
10.
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4023
11.Hommage à Alger au couple Claudine et
Pierre Chaulet APS le 19 avril 2012
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Publié le 22 juin
2012 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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