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LA CONSTRUCTION DE LA MOSQUÉE DE NEW YORK
Est-ce seulement une question
d'emplacement ?
Chems Eddine Chitour
Photo: L'expression
Jeudi 19 août 2010
«Les mots sont aujourd’hui des batailles:
les mots justes sont des batailles gagnées, les mots faux sont
des batailles perdues.»
Ludendorff, général allemand, mort en 1937
De la menace sarrasine évoquée par la Chanson de Roland, texte
fondateur de la littérature française, au péril islamiste
dénoncé par la doxa occidentale et les médias mainstream: toute
une littérature effrayante. Il est surprenant de constater que
son regard porté sur l’Islam, lui, n’a pas changé. Il en résulte
un discours empreint de préjugés millénaires. De l’expression «gentem
perfidam sarracenorum» (la nation perfide des sarrasins),
utilisée par l’Eglise omnipotente dans la première moitié du
VIIIe siècle en Occident, à l’étiquette «les Arabes, peuple
brigand» écrit par Montesquieu dans De l’esprit des lois,
les Arabes synonymes de musulmans chez les Occidentaux, sont
perçus comme étant un danger pour le monde chrétien. Plusieurs
siècles après, ce discours n’a pas pris un pli. Barbarie,
fatalisme, archaïsme, terrorisme. Autour de quelques idées
fortes en «isme», la représentation occidentale des
musulmans semble figée à travers les temps. Au contraire,
l’Islam le tiers exclus de la révélation abrahamique a donné à
la coalition «judéo-chrétienne» le magistère moral pour
diaboliser les musulmans. Le Sarrasin est remplacé par le
terroriste. Triste représentation. Un exemple? le tollé général
des bien-pensants en Occident concernant les velléités d’une
Association américaine de construire une mosquée à quelques
pâtés de maisons de «Ground Zéro», ancien emplacement des
twins towers détruites le 11 septembre 2001. Revenons à la
signification de la mosquée. La mosquée est le lieu de culte des
musulmans. Le mot qui la désigne: Masdjid serait un mot
sémitique ayant à la fois le sens de temps et d’oratoire. Ce mot
se retrouve dans le Coran qui parle de Jérusalem comme étant «El
Mesdjed El Aqsa», (Coran: sourate 17,verset 1). Il est aussi
évoqué à propos de la Kaâba «Al Mesdjed El Haram»,
l’oratoire sacré. A l’origine, l’Islam n’éprouva pas le besoin
de disposer d’un lieu de culte spécifique. Dans un hadith
rapporté par El Boukhari, le Prophète (Qsssl) déclare qu’il a
reçu la terre entière comme Mesdjed. A titre d’exemple, Lacheraf
parle de l’acculturation des communautés et de la place des
religions dans sa petite ville de Sidi Aïssa. Ecoutons-le: «...Et
puis, l’école officielle du village de Sidi-Aïssa était une
école dite ´´indigène´´ où il n’y avait pas un seul élève
européen mais une grande majorité d’élèves musulmans en même
temps qu’une douzaine de petits israélites parlant l’arabe comme
leur langue maternelle et fortement arabisés dans leurs genres
de vie. (...) Peut-être que la mode religieuse n’était pas, à
l’époque, pour le "m’as-tu vu" et le côté spectaculaire de la
simple pratique, de l’observance rituelle exagérée comme
aujourd’hui, car, dans ce centre villageois pourtant bien situé
et peuplé d’habitants à la spiritualité mystique ou monothéiste
affirmée, il n’existait ni mosquée officielle, ni église, ni
synagogue connue édifiée en tant que telle.»(1)
La mosquée, un lieu
de rencontre et de savoir
En clair, le musulman peut faire sa prière n’importe où, là où
il est surpris par l’heure de la prière. Point de clergé et de
decorum. C’est dire que la prière a plus d’importance que le
lieu dans laquelle elle se déroule. D’ailleurs, la mosquée de
Médine servit au début de lieu de réception de délégation
étrangère. On rapporte même que le Prophète (Qsssl) autorisa une
tribu arabe chrétienne: les Nadjranites à prier dans la mosquée.
La mosquée de Médine servit aussi de refuge aux pauvres de la
ville, et aussi comme lieu de discussion et d’échange. Au cours
des siècles, la mosquée sera de plus en plus sacralisée; les
musulmans ne pouvaient y accéder qu’en se déchaussant et en se
purifiant. Elle devait rester en principe un havre de paix et de
concorde. La Khotba devait, selon la tradition, être courte pour
ne pas fatiguer le Croyant et lui permettre d’aller vaquer à son
travail, c’est-à-dire selon le Coran: «aller se répandre sur
la terre». Dès l’Occident médiéval l’Eglise, déniant à
l’Islam d’être une religion abrahamique, ne met pas la prière en
Islam sur le même plan de celle de l’Eglise, aussi désignant les
lieux de prière musulmans elle parle de mahomerie impliquant par
là que ce culte n’a rien de divin, il est l’oeuvre d’un homme:
Mohammed. Pourtant, Il est indéniable donc que dans la religion
musulmane, le spirituel et le temporel sont de fait en étroite
symbiose. C’est dès le départ une profession de foi de tout
Musulman. On rapporte que le Prophète, Que le Salut Soit sur
Lui, libérait les prisonniers qui n’avaient pas les moyens de
payer le prix de leur libération, en leur demandant seulement
d’instruire chacun 10 Musulmans. Chaque mosquée est une école en
puissance, qui forme aux missions spirituelles et temporelles.
Le nombre si élevé de mosquées à Alger (176) a été la cible de
la colonisation et explique l’hécatombe de démolition opérée par
le pouvoir colonial. Trente ans après le début de l’invasion
coloniale, il n’existait à Alger qu’une douzaine de mosquées.
Pour en revenir au projet de construction d’une mosquée non loin
du site des attentats du 11 septembre 2001. Malgré l’aval de
Michael Bloomberg, maire de New York, et le vote favorable de la
commission municipale en charge du patrimoine, le projet de
construction d’un centre culturel musulman à proximité de Ground
Zero, suscite de nombreux débats outre-Atlantique. Le bâtiment,
baptisé par les médias américains «la mosquée de Ground Zero»,
a été conçu à l’image des YMCA -Young Men’s Christian
Association-, centres culturels chrétiens très populaires aux
Etats-Unis.
Ce projet traînait depuis quelques années dans la tête de Feisal
Abdul Rauf, qui prêche depuis la fin des années 1980 un islam
soufi modéré dans une mosquée non loin de Ground Zero. Dans son
livre publié en 2004, Ce qui est bon pour l’islam est bon pour
l’Amérique, l’imam explique que les Etats-Unis représentent la
´´société islamique idéale´´ car ils autorisent la liberté de
religion. Chargé par l’administration Bush de missions au
Moyen-Orient pour aller répandre cette image positive et
tolérante de l’Amérique. L’imam, écrit Adèle Smith, qui
bénéficie de nombreux soutiens, y compris dans la communauté
juive, est le fondateur de la «Maison Cordoba».
L’association, dont le nom fait référence à la cité médiévale
espagnole où vécurent ensemble pendant 800 ans juifs, arabes et
chrétiens, affirme avoir pour mission de «promouvoir le
dialogue interreligieux». Le projet de construction d’un
complexe islamique, estimé à 100 millions de dollars, comporte
un immeuble de 13 à 15 étages avec un lieu de prière pour les
musulmans, un auditorium de 500 places, une piscine et un
restaurant. La très influente Ligue antidiffamation de lutte
contre l’antisémitisme a qualifié le projet de «choquant»
car trop près du site de l’attentat, considéré par beaucoup
comme «sacré».(2)
Après avoir évité pendant des semaines ce sujet de controverse,
Barack Obama s’est finalement prononcé en faveur de la
construction d’une mosquée près de Ground Zero. «En tant que
citoyen, en tant que président, je crois que les musulmans ont
autant le droit de pratiquer leur religion que quiconque dans ce
pays», a déclaré vendredi Barack Obama lors d’un repas de
rupture du jeûne du Ramadhan organisé à la Maison-Blanche. «Cela
inclut le droit de construire un lieu de culte et un centre
socio-culturel sur un terrain privé dans le lower Manhattan, en
respect des lois et décrets locaux», a-t-il ajouté devant
une centaine d’invités. «Nous sommes en Amérique», a
insisté le chef de la Maison- Blanche. «Notre engagement en
faveur de la liberté de religion doit être inébranlable.»(3)
Le soutien de
Barack Obama
Deux écoles de pensée tout aussi légitimes l’une que l’autre
s’affrontent nous dit Ross Douthat. Il y a dit-il «une
Amérique où la fidélité à la Constitution l’emporte sur les
différences ethniques, les barrières linguistiques et les
clivages religieux. Une Amérique où le nouveau venu est aussi
américain que l’arrière-petite-fille des Pères pèlerins. Mais il
y a aussi une autre Amérique, une Amérique qui se voit comme une
culture unique plutôt que comme un ensemble de règles
politiques.(...) Elle se reconnaît dans un héritage religieux en
particulier: le protestantisme à l’origine, et à présent dans un
consensus judéo-chrétien intégrant aussi les juifs et les
catholiques. Cette Amérique attend des nouveaux venus qu’ils
adoptent ces règles, et vite. Ces deux conceptions de
l’Amérique, l’une constitutionnelle et l’autre culturelle, ont
été en tension tout au long de notre histoire».(4)
Sans surprise, la première Amérique considère le projet comme
l’expression parfaite des nobles idéaux de notre pays. «Nous
sommes en Amérique», a scandé le président Obama le vendredi
13 août, «et notre attachement à la liberté religieuse doit
être inébranlable.» La deuxième Amérique n’est pas de cet
avis. Elle voit ce projet comme un affront à la mémoire du 11
septembre 2001 et comme un signe de manque de respect pour les
valeurs d’un pays où l’Islam n’est entré dans les consciences
que récemment. Mais derrière ces inquiétudes se cache le soupçon
que l’Islam est incompatible avec le mode de vie américain.(4)
Ian Gurvitz s’interroge quant à lui, sur la nécessité d’une
mosquée à Ground Zéro. Il renvoie dos à dos les partisans et les
contempteurs du projet. «Il ne s’agit pas écrit-il, de savoir
s’il faut ou non autoriser une association à construire une
mosquée-centre culturel si près de Ground Zero, mais de savoir
pourquoi elle veut le faire. Même si l’on soupçonnait les
auteurs du projet d’être animés des pires intentions - de
vouloir porter l’insulte à son comble -, en quoi l’insulte
pourrait-elle atteindre le degré des souffrances subies? (...)
Si l’on accepte le principe que la compassion est à la base de
toutes les traditions religieuses, et si l’intention même
partielle de ce projet est de tendre la main aux victimes, de
leur montrer de la compassion, eh bien ce n’est tout simplement
pas très compassionnel. Si les gens à l’origine du projet
tenaient sincèrement à révéler la vraie nature de l’Islam,
pourquoi le faire avec un édifice?(...)»(5)
Redoutant les retombées politiques d’une levée de boucliers
après ses propos défendant le droit de bâtir une mosquée près de
Ground Zero, Barack Obama a rapidement cherché à limiter les
dégâts, notamment après les forts remous enregistrés samedi aux
États-Unis. «Je ne m’exprimais pas, et je ne m’exprimerai pas
sur le bien-fondé de prendre la décision d’installer une mosquée
là-bas.» «Je m’exprimais très spécifiquement sur le droit
que les gens ont, et qui date de la fondation.» (..) Le
plaidoyer passionné pour la liberté de culte, dans lequel il
s’était engagé à restaurer les liens de son pays avec le monde
musulman, Barack Obama a affirmé vendredi à l’occasion d’un
repas de Ramadhan à la Maison-Blanche que «les musulmans ont
le même droit de pratiquer leur religion que quiconque dans ce
pays». A l’opposé du tollé, l’éditorialiste du célèbre
hebdomadaire international Newsweek Fareed Zakarya, a pris
nettement position en faveur du projet de mosquée géante près du
WTC. Dans son éditorial du 16 août, il fustige très durement
l’Anti-Deafamation League (principal lobby antiraciste du pays
de la communauté juive) qui s’est positionné contre le délirant
projet. Ce positionnement, écrit Jooachim Véliocas, se construit
sur une argumentation légère, celle de la supposée modération de
l’imam pilotant le projet, au prétexte qu’il a condamné le
terrorisme...même si il s’est toujours refusé à condamner le
Hamas. (..) Candide, Zakarya a été enthousiasmé par le dernier
livre de l’imam Rauf, celui-ci se félicitant que la promotion de
la diversité permette l’épanouissement de l’Islam: «His last
book, what’s right with Islam is What’s Right With America,
argues that the United States is actually the ideal Islamic
society because it encourages diversity and promotes freedom for
individuals and for all religions»6)
En définitive, nous ne pouvons pas ne pas militer pour la paix
et au risque d’être redondant, il est bon de rappeler les
périodes d’entente entre les deux grandes religions. A titre
d’exemple, il est indéniable que l’esprit de tolérance qui a
animé les souverains musulmans a permis à toutes les
spiritualités des autres religions de s’épanouir à l’ombre de
l’Islam. Ainsi à Béjaïa, l’histoire rapporte que le souverain
avait demandé au pape de nommer un évêque à Béjaïa sa capitale,
pour sa petite communauté chrétienne dont le prêtre était mort.
On sait la signification que revêt dans l’histoire des relations
entre l’Islam et le Christianisme, la célèbre lettre du pape
Grégoire VII écrite de sa main au Souverain hammadite Al Nacir:
Votre Noblesse nous a écrit cette année pour nous prier de
consacrer évêque, suivant les constitutions chrétiennes. Le Dieu
Tout-Puissant qui veut que les hommes soient sauvés et qu’aucun
ne périsse, n’approuve en effet rien davantage chez nous que
l’amour de nos semblables, après l’amour que nous lui devons, et
que l’observation de ce précepte: «Faites aux autres ce que
vous voudriez qui vous fût fait». «Nous devons, plus
particulièrement que les autres peuples, pratiquer cette vertu
de la charité, vous et nous qui, sous des formes différentes,
adorons le même Dieu unique, et qui chaque jour louons et
vénérons en lui le créateur des siècles et le Maître des
mondes....»(7) Il serait curieux de connaître la position
sur cette affaire de mosquée. Sur le site Agoravox Phileas qui
déclare ne peut pas comprendre pourquoi à «Ground zero»,
y voit une manipulation de l’administration (...) Je ne pense
pas qu’une mosquée dans ces lieux soit l’endroit le plus propice
pour apaiser les esprits. (...) En d’autres termes, les
dirigeants américains ne seraient-ils pas en train d’envoyer
quelques signaux subliminaux tout sourire, vers des pays comme
le Pakistan, l’Arabie Saoudite, l’Egypte, ou les pays de la
région du Maghreb, pour mieux préparer une attaque sur l’Iran
qui paraît de plus en plus inéluctable et qui ne ferait pas que
des victimes militaires?(8) A Dieu ne plaise, cette hypothèse
est porteuse de toutes les horreurs. Le lieu choisi peut, de
notre point de vue, réveiller des douleurs du fait de la doxa
occidentale qui attribue à l’Islam la destruction des WTC.
Peut-on être oecuménique et penser en termes de tolérance à un
temple où les religions des trois monothéïsmes pourraient venir
prier? Pourquoi pas à l’emplacement de Ground Zéro? Je suis sûr
que les hommes de bonne volonté pourraient se reconnaître dans
cette utopie.
1.Mostefa Lacheraf: Des noms et des lieux.
p. 19-30. Editions Casbah 1998.
2.Adèle Smith Un projet de mosquée à: Ground Zero divise
l’Amérique 04/08/2010
3.Obama défend le projet de mosquée près de Ground Zero Le
Figaro.fr 14/08/2010
4. Ross Douthat Une mosquée, deux Amériques The New York
Times17.08.2010
5.Ian Gurvitz A quoi bon une mosquée à Ground Zero? The
Huffington Post11.08.2010
6.Joachim Véliocas, 17.08.2010
http://www.islamisation.fr/archive/2010/08/17/newsweek-defend-mordicus-la-mosquee-de-ground-zero.html
7.Mas Latrie: Relations et commerce de l’Afrique septentrionale
ou Maghreb avec les nations chrétiennes Paris. p.42-43. (1886).
8.Phileas Agoravox: Une mosquée près de ´´Ground Zero´´? 17 août
2010
Pr Chems Eddine Chitour, Ecole nationale
polytechnique, enp-edu.dz
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Publié le 19 août 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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