Opinion
De Guy Mollet à
François Hollande,
le tropisme colonial
Bruno Guigue
Lundi 23 septembre 2013
La diplomatie française se
réclame volontiers d’une morale
humaniste, mais elle l’applique de façon
sélective. Atteinte du syndrome des «
deux poids, deux mesures », elle ne
convainc que les convaincus.
En 1956, le
socialiste Guy Mollet mena contre
l’Egypte nassérienne une désastreuse
expédition militaire. En 1991, François
Mitterrand participa à la coalition
internationale contre l’Irak. En 2013,
François Hollande rêve de bombarder la
Syrie de Bachar Al-Assad. Cette
remarquable continuité en dit long sur
l’acharnement des socialistes français à
combattre le nationalisme arabe, l’une
des rares forces politiques de la région
à n’avoir jamais pactisé avec Israël.
Résolument
moderniste, le régime nassérien
entendait assurer le développement de
l’Egypte en recouvrant sa souveraineté
sur le canal de Suez. Cette
nationalisation déchaîna les foudres de
la Grande-Bretagne, menacée dans ses
intérêts économiques. Ulcérée par le
soutien de Nasser au FLN algérien, la
France emboîta le pas à son allié
britannique. Avant-garde occidentale au
cœur du Proche-Orient, Israël, enfin,
voulait liquider la résistance
palestinienne à Gaza.
La guerre de Suez est
née de cette connivence entre les deux
puissances européennes et leur clone
israélien. Unies par un pacte secret,
les trois Etats attaquèrent l’Egypte par
surprise, déchaînant leur puissance
conjuguée contre une jeune nation à
peine sortie du carcan colonial.
Militairement victorieux, mais sans
gloire, ils subirent un échec
retentissant lorsque les Etats-Unis et
l’URSS leur intimèrent l’ordre de
rapatrier leurs troupes.
Outre le fiasco de
l’expédition de Suez, l’héritage
socialiste de Guy Mollet, c’est aussi la
guerre d’Algérie avec son sinistre
cortège (le bourrage des urnes, l’envoi
du contingent et la banalisation de la
torture). Défenseurs jusqu’au bout d’un
empire condamné par l’histoire, les
socialistes français ne parviendront
jamais à se défaire de ce tropisme
colonial. Dans leur vision du monde,
l’Occident est le dépositaire de
l’universel et la colonisation un
généreux tutorat bénéficiant à des
peuples attardés.
C’est pourquoi ils
ont toujours été les chantres passionnés
de l’aventure israélienne : l’Etat
d’Israël est leur alter ego colonial.
Cet Etat est le seul de la planète qui
colonise ouvertement en violation du
droit international. Mais ses dirigeants
sont reçus à Paris avec les honneurs.
Lorsque l’armée d’occupation bombarde
Gaza, en novembre 2012, Laurent Fabius
incrimine la résistance palestinienne.
Et si l’Elysée se montre intraitable à
l’égard de Damas, il trouve toujours des
circonstances atténuantes aux crimes
sionistes.
La diplomatie
française se réclame volontiers d’une
morale humaniste, mais elle l’applique
de façon sélective. Atteinte du syndrome
des « deux poids, deux mesures », elle
ne convainc que les convaincus. Ainsi
l’utilisation présumée du gaz de combat
en Syrie est un crime abominable,
passible d’une sanction exemplaire, mais
on ne dit pas un mot lorsque l’armée
d’occupation israélienne assassine les
enfants de Gaza en utilisant des bombes
au phosphore.
Que les socialistes
français mesurent leur responsabilité
historique : parti colonial sous la 4ème
République, la SFIO est devenue le parti
belliciste sous la 5ème. Pour quel
résultat ? En jouant le rôle ingrat du
boutefeu refroidi (à la dernière
minute), la présidence française s’est
ridiculisée. Même les opposants au
régime syrien ne lui montreront aucune
reconnaissance, puisque Paris a dû faire
machine arrière, le petit doigt sur la
couture du pantalon, à l’instant même où
les Américains l’ont décidé.
Inféodée à Washington jusqu’à la
caricature, complice du colonialisme
israélien, hostile à toute résistance
arabe, complaisante à l’égard des
dynasties obscurantistes, alliée
objective d’Al-Qaida : telle est la
politique proche-orientale de François
Hollande. Comme sous Guy Mollet,
l’invocation sélective de nobles
principes, la posture du redresseur de
torts, le recours tonitruant à
l’intimidation militaire et le mépris
pour la légalité internationale tiennent
lieu de diplomatie.
Et pourtant, la
frustration de la nation syrienne, à
l’origine de la conquête du pouvoir par
les militaires baasistes, est le fruit
de la politique française durant la
période mandataire (1920-1946) :
amputations territoriales, refus de
l’autodétermination nationale,
morcellement politique sur une base
ethno-confessionnelle. Les conseillers
de l’Elysée ignorent sans doute que
c’est l’armée française qui a écrasé la
révolte arabe à Meyssaloun en 1920 et
bombardé Damas en 1925.
Ils feignent de
méconnaitre la profondeur des blessures
infligées au Proche-Orient arabe par les
manipulations dont les puissances
occidentales, complices de l’envahisseur
israélien, se sont rendues coupables.
Ils s’imaginent que l’on peut donner des
leçons à ceux que l’on a floués durant
des décennies, comme si « la patrie des
droits de l’homme », compte tenu de son
passé colonial, était habilitée à
distribuer des certificats de bonne
conduite aux autres nations.
Les Etats arabes
issus de la décolonisation sont jeunes,
fragiles, en quête d’une stabilité que
l’expansion israélienne, l’avidité
pétrolière et les interventions
militaires occidentales ont mise en
péril. La véritable menace qui pèse sur
le Proche-Orient, ce n’est pas le régime
de Damas, mais l’implosion communautaire
dont la guerre civile syrienne est le
banc d’essai, au bénéfice des deux
entités qui ont intérêt à cette
fragmentation : Israël et les
pétromonarchies.
Les millions de
dollars versés aux factions jihadistes
par le nouvel ami de la France, le
Qatar, sont autant de bûches jetées dans
ce brasier. Comme sous la 4ème
République, les socialistes misent sur
la diabolisation du nationalisme arabe
pour déblayer le terrain en faveur
d’Israël. Décidés à liquider le dernier
régime laïc du Proche-Orient avec l’aide
d’Al-Qaida, les socialistes sont prêts à
jeter la France dans une guerre absurde
pour perpétuer le rapt sioniste et son
frère jumeau, le parasitisme wahabite.
En 1956, Guy Mollet
voulait écraser le FLN et humilier
Nasser, ennemi d’Israël. Le raïs
égyptien a tiré de cette calamiteuse
expédition un prestige inégalé, le FLN a
arraché l’indépendance de l’Algérie et
la SFIO a fini à 5% des voix aux
élections. Manifestement, les
socialistes n’ont tiré aucune leçon de
ce fiasco inaugural qui marqua leur
entrée dans l’arène internationale. Et
ils oublient qu’à voir le Proche-Orient
avec des lunettes israéliennes, on finit
par ne plus rien voir du tout.
A propos de l'Auteur
http://oumma.com/sites/default/files/photos_famille_162.jpg
Normalien, énarque,
aujourd'hui professeur de
philosophie, auteur de
plusieurs ouvrages, dont
"Aux origines du conflit
israélo-arabe, l'invisible
remords de l'Occident
(L'Harmattan, 2002).
Publié le 25
septembre 2013 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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