Opinion
Le processus
d'Oslo :
la « paix » pour un plat de lentilles
Bruno Guigue
Mercredi 16 octobre 2013
On se souvient encore des
envolées lyriques sur le « miracle de la
paix » accompli en 1993 devant la Maison
Blanche par des leaders charismatiques
aussitôt couronnés du prix Nobel.
On se souvient encore des envolées
lyriques sur le « miracle de la paix »
accompli en 1993 devant la Maison
Blanche par des leaders charismatiques
aussitôt couronnés du prix Nobel. Et
pourtant, en dépit de cette
réconciliation-spectacle aux allures de
show médiatique, l’affrontement
israélo-palestinien n’a jamais cessé.
Ces pseudo-négociations n’ont jamais
débouché sur autre chose que sur un
statu quoéminemment favorable à la
puissance occupante.
On peut objecter qu’il est aisé de
prêter rétrospectivement tous les vices
à un « processus de paix » dont tous les
observateurs ont dressé l’avis de décès
depuis longtemps. La question demeure
cependant de savoir si ce processus est
conforme à ce qu’il prétendait être. De
ce point de vue, le constat est sans
appel : issus des négociations secrètes
menées à Oslo, les accords paraphés en
1993-1995 n’ont jamais eu pour ambition
d’instaurer un Etat palestinien aux
côtés de l’Etat d’Israël.
Présentés comme un « compromis
historique » fondé sur des concessions
mutuelles, ces accords sont en fait
d’une criante inégalité. Yasser Arafat
reconnaît la légitimité de l’Etat
d’Israël. Il approuve les résolutions
242 et 338 de l’ONU, alors qu’elles ne
mentionnent même pas les droits des
Palestiniens. Il renonce solennellement
à la violence et au terrorisme. Mais
Itzhak Rabin, lui, ne reconnaît que la
légitimité de l’OLP comme représentant
du peuple palestinien, rien de plus.
Devant la Knesseth, en octobre 1995,
le premier ministre israélien précise sa
pensée : « Nous voulons une solution
permanente avec un Etat d’Israël qui
inclura la plus grande partie de la
terre d’Israël de l’époque du mandat
britannique et, à ses côtés, une entité
palestinienne qui sera un foyer pour les
résidents palestiniens de Cisjordanie et
de Gaza. Nous voulons que cette entité
soit moins qu’un Etat ». Un Etat
palestinien ? Trois mois avant son
assassinat, Rabin indique clairement
qu’il n’en n’a jamais été question.
Car les accords prévoient
l’installation d’une « autorité
intérimaire d’autonomie », et non
l’exercice de l’autodétermination
nationale palestinienne. Cette autorité
intérimaire ne détient aucun des
attributs de la souveraineté. Elle
dépend de financements internationaux,
accordés au gré de sa coopération avec
Israël. Elle n’a ni force armée, ni
diplomatie indépendante, ni assise
territoriale, le morcellement de la
Cisjordanie interdisant le contrôle d’un
territoire homogène.
D’une perversité inouïe, le processus
inverse la charge de la preuve au
détriment des Palestiniens. Dans
l’attente du règlement final, la
direction de l’OLP est sommée de fournir
des gages de sa bonne foi. Désormais
responsable de l’ordre public en
Cisjordanie et à Gaza, elle a le devoir
de réprimer la moindre résistance à
l’occupation. Comme on l’a dotée d’un
appareil de sécurité tentaculaire, elle
se fait, docilement, le garant de la
pacification d’une population qui
s’était rebellée en 1987.
Préfiguration ubuesque d’un
Etat-croupion, l’autorité intérimaire
est donc un commissariat indigène à qui
l’occupant délègue la tâche de maintenir
l’ordre chez l’occupé. L’instauration
d’une véritable souveraineté
palestinienne, en revanche, n’est
nullement prévue par les accords. Le
texte adopté prévoit seulement un
« arrangement permanent » qui serait
fondé, au terme d’une période
intérimaire de cinq ans, sur les
résolutions 242 et 338 de l’ONU.
Comme ces résolutions ne disent rien
des droits souverains du peuple
palestinien, cette perspective
demeure totalement floue. Engagée pour
des raisons électorales en septembre
2000 à Camp David (II), la négociation
finale échoue lamentablement en raison
de l’intransigeance israélienne. Or ce
fiasco retentissant, dont Ehoud Barak
attribuera de façon mensongère la
responsabilité à Yasser Arafat, illustre
à merveille la conception israélienne du
« règlement final ».
On peut résumer cette position
israélienne, constante sous tous les
gouvernements sans exception, sous la
forme d’un quadruple « non » opposé aux
revendications palestiniennes : refus de
reconnaitre la responsabilité sioniste
dans le drame des réfugiés de 1948 et
1967 ; refus d’une restitution intégrale
de Jérusalem-Est annexée en violation du
droit international ; refus du
démantèlement des principales colonies
juives implantées en Cisjordanie ; refus
d’un tracé des frontières entre Israël
et la Palestine épousant la « ligne
verte » (frontières de 1967).
Fondées sur les résolutions
onusiennes, ces exigences constituent
pour les Palestiniens la contrepartie
légitime de leur renonciation à 78% de
la Palestine mandataire. Mais pour
Israël, ces 78%lui appartiennent de
droit. Quant aux 22%restants, ils se
répartissent en deux morceaux. Non
négociable, le premier est voué par
principe à demeurer sous souveraineté
israélienne (Jérusalem-Est et les
principales colonies). Le second (Gaza
et la moitié de la Cisjordanie) est
provisoirement confié, par commodité, à
une autorité chargée d’administrer les
zones à forte densité autochtone.
Aussitôt vantée par la propagande
occidentale, la « générosité
israélienne » à Camp David consiste donc
à concéder à l’OLP la minuscule bande de
Gaza et la peau de léopard d’une
Cisjordanie truffée de colonies, soit le
dixième de la Palestine mandataire. En
outre, la question de Jérusalem fait
l’objet d’une proposition infamante où
Israël conserve une souveraineté usurpée
sur la future capitale palestinienne.
Même Yasser Arafat, aussi désireux
soit-il de complaire à ses parrains
américains, ne peut consentir à un tel
sacrifice.
Pour rompre son isolement sur la
scène internationale, l’OLP a pourtant
fait le choix compromettant de la
collaboration. Alléchée par les
promesses de partenariat économique, une
fraction de la bourgeoisie palestinienne
et de la bureaucratie de l’OLP touche
les dividendes d’une autonomie fantoche.
En attendant, la population des
territoires subit les humiliations
quotidiennes de l’occupation et paie le
prix d’une domination coloniale
impitoyable.
Condamnée par de grandes voix
palestiniennes (Mahmoud Darwish, Edward
Said), par l’opposition au sein de
l’OLP, le Hamas et la Syrie, cette
reddition spectaculaire du courant
majoritaire de l’OLP n’a porté que des
fruits amers. Offrant ses services à un
occupant désireux de partager la charge
de l’occupation, la direction du courant
historique de la résistance
palestinienne dépose les armes en
échange d’une vague promesse assortie de
juteuses prébendes.
En adoptant cette stratégie, la
direction de l’OLP renie sa propre
histoire et répudie la cause qui
fut toujours la sienne. Elle renonce à
la libération de la Palestine mandataire
et au projet d’un Etat démocratique.
Pire encore, elle accepte de jouer le
rôle de supplétif au service de son
adversaire. Abandonnant sa carte
maîtresse, elle lâche la proie de
l’indépendance nationale pour l’ombre
d’une autonomie tronquée, sous la
tutelle d’un occupant qui ne fait aucune
concession.
La souveraineté du peuple palestinien
sur sa terre historique, dès lors, n’est
plus une exigence non négociable, mais
un horizon incertain, livré au succès
hypothétique d’un processus inégal.
Faute d’une négociation immédiate en vue
d’un règlement au fond, les accords
d’Oslo renvoient l’instauration de la
souveraineté palestinienne aux calendes
grecques. La « paix » proprement dite
dépendra, désormais, du bon vouloir du
plus fort.
Pour Israël, le bénéfice de ces
accords est colossal. Conformément au
« plan Allon » présenté au lendemain de
la victoire de 1967, l’occupant se
retire des zones à forte densité de
population arabe. Mais il les enserre
dans un vaste réseau de colonies reliées
par des voies de contournement. Effaçant
peu à peu les frontières de 1967 (non
reconnues par Israël), la colonisation
s’intensifie, elle gangrène sans répit
les territoires palestiniens : la
politique du fait accompli prospère à
l’abri du « processus de paix ».
Bénéficiant d’un rapport de forces
favorable, Israël, de 1993 à 2000,
négocie d’une main et colonise de
l’autre. Il prétexte la moindre
résistance pour renier ses engagements
et accroître son emprise sur la totalité
de la Palestine. Au nom de sa
sacro-sainte sécurité, il frappe sans
ménagement. Mais, en sapant l’assise
territoriale du futur Etat palestinien,
la colonisation anéantit l’enjeu même
d’une négociation devenue un simple
alibi. Vingt ans après, le nom
d’Oslo n’évoque plus qu’un grossier
marché de dupes éventé pour de bon.
Par un stupéfiant paradoxe, la
dépossession palestinienne inaugurée en
1948 a donc été reconduite avec
l’assentiment enthousiaste de la
direction de l’OLP. Ces dirigeants qui
ont acquis leur légitimité dans la lutte
la dilapident dans la compromission. Ils
cèdent tout à Israël, mais Israël ne
leur cède rien, du moins pour le peuple
palestinien. Mettant fin à un quart de
siècle de résistance, une OLP épuisée a
finalement renoncé à 78% de la Palestine
pour un plat de lentilles. Et en guise
de remerciement pour services rendus, la
puissance occupante a bien l’intention
de s’approprier le reste.
A propos de l'Auteur
http://oumma.com/sites/default/files/photos_famille_162.jpg
Normalien, énarque,
aujourd'hui professeur de
philosophie, auteur de
plusieurs ouvrages, dont
"Aux origines du conflit
israélo-arabe, l'invisible
remords de l'Occident
(L'Harmattan, 2002).
Publié le 17
octobre 2013 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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