Tunisie
La Tunisie
poursuit sa course vers l'abîme
Béchir Turki
Mardi 5 juin 2012
Parfois, on se surprend à se pincer pour
savoir si ce qui se passe en Tunisie est
la triste réalité ou un rêve absurde,
alors que les sources d’inquiétude se
multiplient.
Par Béchir Turki
On peut reprocher plein de choses au
président Bourguiba. Son égo exagérément
gonflé, l’absence totale des deux
qualités essentielles pour un
politicien: l’humilité et la modestie,
l’attachement maladif au pouvoir et le
glissement progressif vers son exercice
solitaire, etc.
L’Etat
moderne tunisien menacé dans ses
fondements
Mais nul homme de bonne foi ne peut
lui nier l’apport fondamental et le
service gigantesque rendu à ce pays en
tant que principal architecte et
constructeur de l’Etat moderne tunisien.
Son œuvre n’a pas plu évidemment aux
forces traditionnalistes et rétrogrades
de l’époque, qui avaient vainement tenté
d’entraver l’œuvre moderniste de
construction politique.
Près de soixante ans après sa
fondation, l’Etat moderne tunisien est
menacé dans ses fondements par un projet
destructif qui vise à faire table rase
du passé et de remplacer l’Etat actuel
par un autre de nature religieuse dont
le but essentiel, pour ne pas dire
unique, est de faire de tout le monde
des citoyens croyants et pratiquants
(des sujets du 6e Calife?)
sans se soucier le moins du monde des
projets économiques, sociaux et
culturels viables, indispensables à une
vie normale en Tunisie.
Le système
de Ben Ali recyclé et remis au service
d'Ennahdha.
En un mot, le but ultime des gens qui
nous gouvernent, et qui se sont
autoproclamés les représentants de Dieu
sur terre, même s’ils ne le crient pas
sur les toits, est de prétendre nous
préparer le paradis dans l’au-delà,
quitte à nous faire vivre l’enfer
ici-bas.
Un Etat
complaisant avec les apprentis
terroristes
L’enfer, nous y sommes déjà et son
intensité prend un rythme croissant
depuis les élections catastrophiques du
23 octobre dernier qui ont porté les
islamistes au pouvoir. Ceux-ci, avec
leurs homologues des autres partis, ont
été élus pour doter le pays d’une
constitution. Exploitant leur majorité,
toute relative d’ailleurs, les
islamistes se sont emparés du pouvoir.
Du fait de leur inexpérience, de leur
ignorance de la réalité du pays et de
leur incapacité à prendre en charge un
pays en crise, leur gestion des affaires
publiques ne pouvait être que chaotique
et elle l’est largement.
Mais le plus grave est que,
parallèlement à cette gestion chaotique,
les islamistes sont en train de détruire
systématiquement les structures de
l’Etat moderne établies par Bourguiba et
qui bénéficient de l’adhésion de
l’écrasante majorité des Tunisiens.
L’aspect le plus significatif de cette
œuvre destructrice est la transformation
de l’Etat de protecteur des citoyens et
de leurs biens, de garant de la sécurité
des Tunisiens chez eux, dans leurs lieux
de travail et pendant leurs
déplacements, en un Etat complaisant
avec les apprentis terroristes et
totalement indifférent aux
préoccupations de base de l’écrasante
majorité des Tunisiens.
En effet, quel adjectif donner à des
bandes organisées qui, au nom de la
religion, terrorisent leurs concitoyens,
détruisent les biens publics et privés,
s’attaquent à des commerces,
s’introduisent par effraction dans les
locaux de la chaine de télévision El
Hiwar Ettounsi et détruisent l’outil de
travail de ses journalistes? Quel
adjectif donner à ces bandits,
ex-prisonniers de droit commun
opportunément reconvertis en «salafistes»,
qui sèment la terreur dans un nombre de
plus en plus grand de villes
tunisiennes?
Moncef
Marzouki ou l'art de bouger pour ne rien
faire.
Quand
Marzouki se renie!
Que les destructeurs de l’Etat
moderne tunisien fassent preuve de
complaisance, voire de complicité avec
ces terroristes, cela ne nous étonne pas
de leur part. En revanche, ce qui est
tragique, c’est le silence
mystérieusement gardé par les deux
présidents Marzouki et Ben Jaâfar
vis-à-vis de cette entreprise de
destruction de l’Etat moderne. Pourquoi
ces deux là gardent-ils le silence face
à l’impunité dont bénéficient les
terroristes en dépit du fait que leur
comportement violent risque de mener le
pays vers la guerre civile?
La guerre civile devient une menace
pour un pays quand des bandits tentent
d’imposer leur volonté aux autres et que
l’Etat s’inscrit aux abonnés absents. La
guerre civile devient une réalité quand,
en l’absence de l’Etat, les groupes
sociaux agressés s’organisent pour
assurer leur propre protection en
s’attaquant à leur tour aux agresseurs.
Or, les commerçants, les intellectuels,
les journalistes, les hommes de culture
et, d’une manière générale, tous les
citoyens victimes de la terreur des
extrémistes religieux n’accepteront pas
de subir indéfiniment sans broncher les
agressions physiques ou verbales de la
part de ces barbus qui se croient
réellement les représentants de Dieu sur
terre.
Marzouki a tenté une fois de se
montrer courageux en s’attaquant dans
l’une de ses déclarations aux
extrémistes religieux qu’il avait
traités de «microbes». Mais son
courage était de très courte durée dans
la mesure où il s’est rétracté tout en
demandant pardon. Pourquoi? Son discours
n’a pas plu à ceux qui l’ont fait
président, c’est-à-dire les gens d’Ennahdha
qui doivent avoir leurs moyens de
pression pour l’amener à se renier. Ces
moyens de pressions semblent toujours à
l’œuvre, du moment où ce président, doté
de compétence minuscules mais d’un
budget gigantesque, continue de garder
le silence en dépit de l’aggravation
sans précédant de la terreur des
extrémistes religieux.
Ben Jaâfar
dans sa foire d’empoigne
Ben Jaâfar n’est pas plus courageux.
Le profil bas qu’il adopte et le silence
qu’il garde alors que le pays se trouve
au bord du gouffre contrastent avec
l’importante fonction qu’il exerce en
tant que président de l’instance la plus
légitime du pays. Pourtant, il garde le
silence face aux graves dérives
sécuritaires que connait le pays. Il
n’ose pas interpeller le ministre de
l’Intérieur pour lui tenir le langage
qu’impose la situation désastreuse du
pays: assurer la sécurité des personnes
et des biens face à la menace des hordes
déchainés de barbus ou se démettre.
Mustapha
Ben Jaâfar est en train de perdre toute
sa crédibilité.
Supposons que Ben Jaâfar soit soumis
à un chantage de la part des gens d’Ennahdha
qui lui intiment l’ordre de s’abstenir
de toute initiative sous peine de voir
ses projets politiques pour l’avenir
perturbés. Supposons que le même Ben
Jaâfar nourrit effectivement des
ambitions politiques, chose parfaitement
légitime par ailleurs. La question qui
se pose alors est la suivant: l’avenir
politique personnel du président de
l’Assemblée constituante serait-il plus
important que celui de tout le pays? On
finira par croire que c’est bien le cas
car cet ex-militant des droits de
l’homme est aussi soucieux de ses petits
intérêts qu’indifférent aux intérêts
vitaux du pays.
Est-ce un hasard que les partis du
Congrès et d’Ettakattol, créés
respectivement par Marzouki et Ben
Jaâfar, ont explosé? Des signes qui ne
présagent rien de bon. Ces deux hommes
qui n’ont pas réussi à préserver
l’intégrité de leurs partis peuvent-ils
contribuer à assurer l’intégrité du
pays? Il est permis d’en douter.
Alors que l’entreprise de destruction
de l’Etat moderne se poursuit à un
rythme effarant, l’économie poursuit se
descente aux enfers. Cette course folle
vers l’abime pourrait être arrêtée si le
pays était tenu par des hommes
compétents et dotés d’une volonté de
partage juste des sacrifices.
Seulement, à l’incompétence s’ajoute
la voracité. Les sacrifices sont
demandés à tous sauf à ceux qui exercent
le pouvoir. Au moment ou le pouvoir
d’achat des Tunisiens se réduit chaque
jour comme une peau de chagrin, le
ministre se permet un salaire de 4.500
dinars nets auquel s’ajoutent 685 dinars
nets en bon d’essence, deux voitures,
sans compter les chauffeurs, les
jardiniers et les bonnes payés aux frais
du contribuable.
Mais l’épidémie de la voracité ne
frappe pas seulement la sphère
gouvernementale. L’Assemblée
constituante est déjà contaminée.
Plusieurs de ses membres, pas tous
heureusement, ont eu l’idée lumineuse de
doubler carrément leurs salaires déjà
exagérément élevés. Pire encore,
certains ont poussé le cynisme jusqu’à
demander une «prime de rédaction de
la constituante». Quand on a en
tête le taux d’absentéisme dans cette
auguste assemblée et le fait que pas le
moindre article constitutionnel n’a été
rédigé à ce jour, on se surprend à se
pincer pour savoir si ce qui se passe
dans ce pays est la triste réalité ou un
rêve absurde.
Béchir Turki,
Ingénieur en détection électromagnétique
(radar), breveté de l’Ecole d’Etat Major
de Paris. Auteur de ‘‘Ben Ali le ripou’’
et ‘‘Eclairage sur les recoins sombres
de l’ère bourguibienne’’.
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Publié le 6 juin 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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