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France : le
gouvernement soutient l'occupation américaine de Haïti dévasté
par un tremblement de terre
Antoine Lerougetel
Vendredi 5 février 2010
Après le tremblement de terre du
12 janvier qui a dévasté Haïti, le gouvernement français prend
des mesures pour faire cesser en Europe l'opposition politique à
l'occupation militaire américaine de Haïti.
L'intervention américaine a
bloqué les aides essentielles en nourriture et médicaments, y
compris venant d'organisations telles Médecins sans frontière,
tandis que Washington se concentrait à consolider son étau sur
Haïti. Le bilan du tremblement de terre s'élève à plus de
200.000 morts, 250.000 blessés et des millions de sans-abris.
Cette catastrophe a aussi renforcé les projets impérialistes de
faire de Haïti une plateforme de travail bon marché d'esclaves
salariés payés avec des salaires de misère dans l'industrie de
l'habillement. (voir
« Reconstruire Haïti » pour ses salaires de misère )
Le président français Nicolas
Sarkozy qui a bâti sa politique étrangère autour du projet de
réparer les relations franco-américaines après que son
prédécesseur Jacques Chirac s'est opposé à la guerre en Irak aux
Nations unies, s'est empressé de répudier le reproche à présent
célèbre de son ministre de la Coopération et des territoires
d'outre-mer, Alain Joyandet qui a dit concernant les opérations
américaines en Haïti : « Il
s'agit d'aider Haïti. Il ne s'agit pas de l'occuper. »
Les commentaires de Joyandet ont
été repris par Guido Bertolaso, dirigeant de l'Agence pour la
protection civile d'Italie. Bertolaso a ainsi qualifié
l'opération américaine en Haïti de « démonstration
de force » vraiment puissante, mais totalement coupée de la
réalité. Il a ajouté que les Américains n'étaient pas en phase
avec le territoire ni avec les organisations internationales et
les groupes d'aide. Bertolaso a ajouté que confrontés à une
situation de chaos, les Etats-Unis tendaient à faire l'amalgame
entre intervention militaire et ce qui devrait être une
opération d'urgence que l'on ne peut confier aux forces armées.
Ce qui manque, a-t-il dit, c'est un leader, une capacité de
coordination qui aille au-delà de la discipline militaire.
La position officielle française
est venue dans un communiqué présidentiel qui affirmait : « Les autorités
françaises sont [.]
pleinement satisfaites de
la coopération » avec Washington. Le communiqué ajoute qu'elles
reconnaissent « le rôle essentiel qu'ils [les Etats-Unis] jouent
sur le terrain en faveur de Haïti. »
Au même moment, le gouvernement
français se prépare à renvoyer des immigrés haïtiens vers leur
pays dévasté et occupé. Le 13 janvier, le ministre de
l'Immigration Eric Besson a fait cesser les procédures
d'expulsion contre les sans-papiers haïtiens, mais uniquement
pendant 3 mois, soit moins que les 18 mois accordés par le
gouvernement américain. Pour de nombreux immigrants, cela
signifie un retour vers la famine et des maisons réduites à des
gravats. Besson a rejeté les appels d'organisations de soutien
pour que soient accordés des permis de séjour à tous les
Haïtiens en France.
Des
reportages indiquent que même ces annonces de concessions
tout à fait inadéquates ne sont pas
respectées. Le 22 janvier dans la préfecture du Val de Marne, à
proximité de Paris, les expulsions se poursuivaient comme
d'habitude. La préfecture a donné l'ordre d'expulser deux
Haïtiens dont les passeports n'étaient pas en règle. Le bureau
du Procureur a dit, « Les Haïtiens ont un mois pour quitter la
France. »
Le gouvernement Sarkozy soutient
pleinement le mensonge fondamental utilisé par les Etats-Unis
pour justifier son occupation militaire de Haïti. La sécurité
est le problème central en Haïti. Prenant la parole le 23
janvier lors des préparatifs de la conférence de Montréal sur
Haïti, Sarkozy a essayé d'utiliser la catastrophe pour mettre
sur pieds une force européenne de sécurité : « La
sécurité, c'est aussi la capacité de réagir face à
l'urgence.... » Il a ajouté, « C'est pourquoi la France
préconise la création d'une force européenne de sécurité
civile... qui pourrait être déployée très rapidement. »
Les affirmations de Sarkozy, du
premier ministre François Fillon et de Besson d'une « vieille
amitié » et de « liens historiques et culturels profonds »
entre la France et son ancienne possession coloniale sont
hypocrites et sinistres.
Bien que la France ait cédé aux
Etats-Unis sa position de principale puissance impérialiste en
Haïti au début du 20e siècle, elle a, d'un point de vue
historique, joué un rôle crucial pour maintenir le pays dans la
pauvreté. Napoléon, qui était venu au pouvoir sur la base de la
suppression de l'influence des masses dans la vie politique,
influence qui avait conduit à la reconnaissance par le
gouvernement révolutionnaire français de l'indépendance de Haïti
et à la libération de sa population d'esclaves en 1794, avait
envoyé des troupes dans le but d'imposer à nouveau l'esclavage.
Ces forces armées avaient été vaincues par les esclaves haïtiens
conduits par Toussaint L'Ouverture et Jean-Jacques Dessalines.
Mais en 1825, avec 14 navires de
guerre menaçant Port-au-Prince, la monarchie française restaurée
de Charles X exigea de Haïti qu'elle rembourse 150 millions de
francs, plus tard réduits à 90 millions, en échange de sa propre
liberté. Cette indemnité fut un coup très dur pour Haïti qui ne
réussit à la payer qu'en 1947.
Le corps de Marines américains
qui régnait sur Haïti de 1915 à 1934 ne remit pas en cause cet
arrangement et le rôle de la France, à des moments clés de
l'histoire de Haïti, a consisté à apporter son soutien aux
Etats-Unis. Le soutien français aux dictatures en Haïti,
appuyées par les Etats-Unis est symbolisé par la décision de
« Baby Doc » Duvalier de s'enfuir en France après qu'il eut
perdu le pouvoir en 1986. Des troupes françaises contribuèrent à
l'occupation de Haïti après le coup de 2004, soutenu par les
Etats-Unis, contre le président élu Jean-Bertrand Aristide.
Actuellement, le gouvernement
français ne fait aucune critique du blocus des eaux haïtiennes
par la marine et les garde-côtes américains, opération appelée
« Vigilant Sentry » (sentinelle vigilante), visant à intercepter
et renvoyer au pays tout Haïtien cherchant à s'échapper. Il n'a
pas non plus protesté contre le fait que les Etats-Unis ont mis
en place un camp de détention dans sa base navale de Guantànamo
Bay à Cuba et qui peut accueillir plus de 1 000 Haïtiens qui
tenteraient d'échapper au blocus.
De fait, tout porte à croire que
la bourgeoisie française s'en réjouit. Comme le suggère le
traitement des sans-papiers haïtiens ou d'autres nationalités
avant le séisme, il ne fait aucun doute que les autorités
françaises sont soulagées de voir que le blocus empêchera la
fuite d'une marée de réfugiés de Haïti vers les départements et
collectivités français d'outre-mer, dont la Guadeloupe et la
Martinique qui sont à proximité.
Les
conditions sociales sur ces îles sont déjà très tendues. L'année
dernière, il y avait eu une grève générale de 44 jours en
Guadeloupe. Le quotidien Le Monde
avait alors écrit que la grève générale en Guadeloupe « suscite
les plus vives inquiétudes au sommet de l'Etat. »
Il expliquait : « le
gouvernement redoute que les mesures en faveur du pouvoir
d'achat qui seraient consenties dans les îles servent, en
métropole, de référence aux syndicats. »
La communauté haïtienne des
départements et collectivités français d'outre-mer est très
opprimée. Un rapport de 2006 publié par l'association Migrants
d'outre-mer en lien avec le Collectif Haïti de France dit que
sur les 1,5 millions de Haïtiens vivant à l'étranger, on en
trouve 10.000 sur le territoire français: 40.000 en France
métropolitaine, 30.000 en Guyane et 20.000 en Guadeloupe.
Parmi les Haïtiens vivant en
Guadeloupe, 5000 sont des sans-papiers. Sur l'île, «
Les
expulsions sont massives : on dénombre en moyenne 2000 par an.
Lorsqu'une personne en situation irrégulière est arrêtée, elle
reçoit une"obligation à quitter le territoire français" (OQTF)
dans un délai d'un mois. »
Cette OQTF peut être contestée auprès du Tribunal administratif.
Ce recours est suspensif en métropole mais pas en Guadeloupe.
En règle générale, les Haïtiens
de Guadeloupe ont des salaires très bas et subissent des
discriminations. Le rapport fait remarquer: « Certaines écoles
demandent les papiers d'identités des parents pour inscrire les
enfants, ce qui fait extrêmement peur aux parents en situation
irrégulière. »
Le rapport révèle qu'un accord
est négocié entre la France et Haïti visant à permettre à l'Etat
français d'expulser plus facilement des Haïtiens vivant en
France et dans ses départements et collectivités d'outre-mer. De
tels accords ont aussi été conclus avec d'anciennes colonies
françaises en Afrique.
En 2006, le GARR (
Groupe d'Appui aux
Rapatriés et Réfugiés
) a publié des chiffres accablants sur le
traitement infligé de janvier à novembre 2005 aux demandeurs
d'asile politique haïtiens en France et dans les départements
d'outre-mer (DOM.) Sur 4 718 demandes dans les DOM seuls 2,3
pour cent ont été accordés. « La plupart des Haïtiens arrivent
par bateau. Ils passent par l'île de la Dominique, située à 80
kilomètres au sud des côtes guadeloupéennes. » En 2004, pour
atteindre la Guadeloupe au départ de Haïti, un migrant devait
payer à un trafiquant 2000 à 3000 dollars, plus 300 à 400
dollars de plus à l'arrivée. À n'en pas douter, le tremblement
de terre a dû faire grimper en flèche ces coûts.
Dans son étude « L'immigration
clandestine en Guadeloupe : le cas des Haïtiens »
l'universitaire Louis-Auguste Joint fait remarquer l'oppression
des immigrants haïtiens qui sont souvent considérés comme les
boucs émissaires des problèmes sociaux. En 2004, à l'époque du
coup d'Etat appuyé par les USA et la France contre le président
haïtien élu Jean-Bertrand Aristide, coup d'Etat dont il estime
le bilan à 10 .000 morts, seuls 10 des 2005 demandeurs
d'asile avaient obtenu le droit d'asile.
En Guadeloupe, l'OFPRA (Office
français de protection des réfugiés et apatrides) remet aux
demandeurs d'asile un récepissé durant la période d'attente du
verdict. La décision est prise à Paris. Les travailleurs ont une
autorisation de séjour mais n'ont pas l'autorisation légale de
travailler jusqu'à ce que le verdict soit rendu. C'est ainsi
qu'ils sont la proie de patrons qui les exploitent, les faisant
travailler 18 heures par jour pour 20 ou 30 euros dans des
plantations de canne à sucre ou de bananes.
(Article original anglais paru
le 4 février 2010)
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Publié le 5 février 2010 avec l'aimable autorisation du WSWS
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