Opinion
WikiLeaks : Ce que
pensait Bernard Bajolet, nouveau
directeur de la DGSE, de la situation en
Algérie
Annane
Imad-Eddine
Jeudi 11 avril 2013
(revue de presse : monjournaldz.com –
10/4/13) Dans un
câble diplomatique américain classé
confidentiel obtenu par Wikileaks
et publié par le quotidien espagnol
El Pais, l’ex-ambassadeur de France
en Algérie, Bernard Bajolet, dresse un
tableau noir sur l’état de l’Algérie au
début de l’année 2008. Nous publions des
passages du câble dans lequel il
s’exprime sur l’Algérie au cours d’une
rencontre avec l'ambassadeur US à Alger.
Le câble classé confidentiel émis le
25 janvier 2008
L'ambassadeur
français Bajolet a déclaré à
l'ambassadeur américain le 23 janvier
que lui et le gouvernement français
redoutent que l'Algérie se dirige
progressivement vers plus d'instabilité,
mais ils ne voient pas d’autre
alternative qu’un troisième mandat pour
Bouteflika en 2009. Bajolet, qui a été
diplomate à Alger dans les années 1980,
a déclaré que l’intérêt stratégique de
la France en Algérie est avant tout sa
stabilité et son développement
économique. Le flux migratoire des
Algériens qui fuient leur pays vers la
France pèse lourdement sur les
sensibilités politiques françaises et,
ultimement, sur les liens sociaux entre
les deux pays. Le gouvernement français,
dit-il, constate qu’aujourd’hui il y a
peu de progrès positifs en Algérie :
- Les
municipalités, qui sont plus proches de
la population, n’ont ni le pouvoir ni
les ressources pour répondre aux besoins
locaux;
- Le gouvernement
est incapable de prendre et d’assumer
les décisions difficiles ; Bajolet a
qualifié cela de sorte d'immobilisme;
- Les partis
politiques bénéficient de peu d'espace
et semblent plutôt disposés à faire des
coups à court terme et manquent d’une
vision politique à long terme;
- L'intérêt que
porte le public au système politique a
fortement décliné, comme on le voit dans
les deux élections de 2007;
- Le climat des
affaires est difficile et ne s'améliore
pas; l'investissement et la création
d'emplois font défaut (Bajolet a noté
qu'une association d'affaires française
avait préparé un livre blanc qui
détaille les problèmes auxquels se
heurtent les entreprises françaises en
Algérie et la manière avec laquelle on
peut y apporter des solutions. Bajolet a
fait observer que le ministre de
l’Intérieur Yazid Zerhouni et le
gouvernement algérien étaient inquiets à
l’idée qu’il soit rendu public.) ;
- La corruption a
atteint un nouveau sommet et interfère
dans le développement économique.
- Bouteflika et ses
ambitions pour un troisième mandat
Bajolet a dit qu'il
a compris que l’armée a donné son accord
à la révision de la constitution pour
permettre à Bouteflika de se présenter à
nouveau aux élections de 2009. Bajolet a
déclaré que Bouteflika jouit d’une bonne
santé et qu'il pourrait vivre encore
plusieurs années. Il a supposé que
l’amélioration de l’état de sa santé et
son activisme lui ont conféré davantage
d'influence sur l'armée. Cela dit,
Bajolet était aussi d'avis que le
consensus au sein de l’armée pour
soutenir un troisième mandat pour
Bouteflika découle en partie d’une
opinion largement répandue que
Bouteflika ne terminera pas son
troisième mandat en raison de ses
problèmes de santé.
La relation entre
l’armée et Bouteflika reste encore
difficile. Par exemple, les Français ont
conclu que les services de renseignement
ont encouragé le ministre des Anciens
Combattants, Cherif Abbas, à critiquer
Sarkozy à la veille de sa visite en
Algérie pour provoquer l’annulation du
voyage et mettre ainsi Bouteflika dans
l’embarras.
Bajolet dit que les
Français sont extrêmement prudents sur
ce qu'ils disent aux Algériens à propos
de la révision de la constitution qui
permettrait à Bouteflika de se présenter
à un troisième mandat, élection dont
tout le monde comprend qu'il sortira
gagnant. Bajolet a senti que les
Algériens ont clairement lancé l'idée
publiquement à nouveau juste avant la
visite de Sarkozy en décembre pour
vérifier si le président français allait
déconseiller Bouteflika de modifier la
constitution. Sarkozy s’est
intentionnellement abstenu de le faire.
Bajolet a fait
observer que les Français n’ont pas une
idée sur le successeur éventuel de
Bouteflika. Il a noté que l’ancien
Premier ministre, Hamrouche, parle de
réformes, mais les Français ne savent
pas s’il est effectivement en mesure
d’aller vers un programme de réformes.
Les Français croient que l’ancien
Premier ministre, Ouyahia, est encore un
autre apparatchik et jouit de peu de
popularité dans le pays. Bajolet a
conclu que l’absence d’un successeur
évident, qui pourrait contrecarrer
Bouteflika, est source d'instabilité.
Par contre, les Français ont décidé que
pour eux le meilleur message à livrer
est d’être neutres sur la question du
troisième mandat de Bouteflika, mais que
le gouvernement doit commencer à
s’occuper des graves problèmes
économiques et politiques de l’Algérie.
(Bajolet est particulièrement
intéressé par la question de la
décentralisation, par exemple.)
Bajolet a exprimé
sa vive préoccupation sur la situation
sécuritaire et posé de nombreuses
questions à propos de notre dernier
message d’alerte. Nos recommandations
pour les Américains d'éviter les écoles
étrangères l'avaient mis dans une
situation difficile, a-t-il noté, car il
y a deux écoles de langue française
officielle à Alger.
Bajolet a affirmé
qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique
(AQMI) semble cibler principalement
le gouvernement algérien ainsi que les
objectifs étrangers pour mettre les
autorités algériennes dans l’embarras.
L’ambassadeur a exprimé son désaccord,
faisant valoir que de son point de vue
AQMI cible les deux à la fois, mais avec
des objectifs différents. Il cible le
gouvernement algérien pour le placer
dans une situation difficile mais aussi
pour se venger des pertes subies par
AQMI. Il s’attaque aux étrangers pour
les chasser d’Algérie (et,
finalement, déstabiliser le gouvernement
algérien).
Bajolet a noté que
les cibles françaises sont nombreuses, y
compris les centres culturels français
et les résidences diplomatiques en
Algérie. Toutefois, jusqu’à présent, les
services de sécurité ont géré
efficacement les menaces qui pèsent sur
les Français et ont, selon lui, tenu les
autorités françaises au courant de ces
menaces
* Le câble
diplomatique américain classé
confidentiel et obtenu par WikiLeaks
dévoile les idées de Bajolet : ce qu’il
pense de l’Algérie…
http://monjournaldz.com/fr/...
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 2 avril 2013 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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