RIA Novosti
Moscou voudrait refaire de Damas son ancien partenaire
privilégié
Andreï Mourtazine
Photo: ©
RIA Novosti - Vladimir Rodionov
Lundi 10 mai 2010
Pour la première fois
dans l’histoire, un président russe se rend en visite officielle
en Syrie.
Ce n’est un secret pour personne que la
Syrie, principal allié stratégique de l’URSS dans les années
1970-1980, cessa d’être, au début des années 1990, l’une des
priorités de la politique étrangère de la Russie actuelle. La
désintégration de l’Union Soviétique, le renoncement de Moscou à
une confrontation globale avec Washington et le rétablissement
des relations diplomatiques avec Tel-Aviv en 1991, tout cela
avait été interprété à Damas comme une « trahison envers les
intérêts des peuples arabes » et un « complot du sionisme
mondial ».
Tel était le point de vue de la Syrie il y
a 19 ans et nombreux sont ceux à le partager aujourd’hui encore.
Mais la partie la plus pragmatique de l’élite politique syrienne
avec à sa tête le président Bachar Al-Assad comptait, et compte
aujourd’hui, aussi bien sur la coopération économique, y compris
militaire, avec la Russie que sur le soutien politique de Moscou
au règlement au Proche-Orient. Rappelons que dans le cadre de ce
règlement la Syrie exige principalement la restitution des
hauteurs du Golan occupées par Israël pendant la guerre de 1967.
La glace qui s’est formée dans les
rapports entre Moscou et Damas au début des années 1990 n’avait
commencé à fondre rapidement qu’en janvier 2005, lors de la
première visite de Bachar Al-Assad à Moscou. Le président russe
Vladimir Poutine avait alors effacé la dette de 9,8 milliards de
dollars de Damas (soit 73% de la dette syrienne envers l’URSS)
en échange de garanties en matière de nouvelles commandes
d’armement russe.
La Russie livre actuellement à la Syrie
des avions de combat MiG-29 et des batteries de missile sol-air
de courte et de moyenne portée (Strelets, Pantsir-S1, Bouk-M2).
La Syrie voudrait recevoir bien plus : les systèmes de missiles
de longue portée S-300 et Iskander-2, mais Moscou n’a toujours
pas consenti à les livrer à Damas afin d’éviter de perturber
l’équilibre militaire dans la région et de détériorer ses
relations avec Israël et les États-Unis. Il est peu probable que
le Kremlin y consente cette fois mais il ne fait aucun doute que
les systèmes sol-air figureront à l’ordre du jour des prochaines
négociations entre les présidents des deux pays.
La coopération militaire concerne aussi un
autre point, à savoir la petite base navale de la ville syrienne
de Tartous située sur la Méditerranée. Des navires militaires
soviétiques y étaient stationnés dans les années 1980. Ces
trente dernières années, l’infrastructure de la base est devenue
obsolète et les Syriens manquent d’argent pour la moderniser. A
l’heure actuelle, la Russie se dit prête à investir dans son
développement pour avoir un point d’appui naval pour ses navires.
Le croiseur russe Petr Veliki est entré ces jours-ci à Tartous
et l’équipe du navire a été solennellement accueillie par les
autorités syriennes.
Ces cinq dernières années, le chiffre
d’affaires des échanges commerciaux russo-syriens a doublé et a
atteint environ un milliard de dollars en 2009. L’intérêt pour
la Syrie est manifesté non seulement par les militaires russes,
mais aussi par des spécialistes purement civils comme les
compagnies pétrolières et gazières, et les milieux d’affaires.
Il y a un mois, la compagnie pétrolière russe Tatneft a commencé,
conjointement avec les Syriens, l’extraction du pétrole du
gisement de Kishma du Sud. En décembre 2009, la société
Stroïtransgaz a construit et mis en service une grande usine de
transformation du gaz à Homs, ville située à 160 km de Damas.
Elle traite tous les jours 7,5 millions de m3 de gaz provenant
des gisements du Sud de la région centrale de ce pays.
L’économie et la coopération militaire
seront certainement les sujets principaux des négociations entre
Dmitri Medvedev et Bachar Al-Assad. D’ailleurs, la Russie attend
de la Russie non seulement une aide économique et une
coopération, mais aussi un soutien politique. Comme indiqué
ci-dessus, le principal objectif d’Assad est de s’assurer le
soutien de Moscou en vue de la restitution des hauteurs du Golan
qui représentent un plateau de 60 km de long et de 25 km de
large. Le Golan n’est pas seulement une hauteur d’où la capitale
syrienne est bien visible ; la richesse principale du Golan
n’est pas la terre, mais l’eau, et le lac de Tibériade (Kinneret)
qui s’y trouve est devenu la principale réserve d’eau potable
pour Israël.
Au nom de la restitution des hauteurs du
Golan, le président syrien Bachar Al-Assad avait accepté, il y a
deux ans, des négociations indirectes avec Israël avec la
médiation de la Turquie. D’ailleurs, ni Damas, ni Ankara
n’avaient obtenu de succès. Le gouvernement de Benjamin
Nétanyahou qui a remplacé en 2009 le cabinet d’Ehud Olmert ne
veut pas entendre parler de restitution du Golan. Assad espère
que la Russie, en tant que participant actif du Quartet pour le
Proche-Orient (avec l’ONU, les États-Unis et l’Union européenne),
réussira à réanimer le « dossier syrien » des négociations
arabo-israéliennes, voire avec la médiation turque. En ce sens,
il est significatif que le président russe ait inclus dans
l’itinéraire de son voyage aussi bien la Syrie que la Turquie.
La « question syrienne » sera immanquablement inscrite à l’ordre
du jour des négociations entre Medvedev et les dirigeants turcs.
A considérer les choses du point de vue
d’Israël, on peut rappeler qu’il y a 14 ans les "colombes" de la
politique israélienne – feu le premier ministre Yitzhak Rabin,
puis Shimon Peres qui lui succéda – admettaient l’éventualité de
restituer les hauteurs du Golan à la Syrie. Quoi qu’il en soit,
le problème syrien implique des sommes importantes et des
concessions politiques considérables aussi bien de la part des
Syriens que des Israéliens.
Le soutien de Dmitri Medvedev au dirigeant
syrien sur d’autres problèmes régionaux cruciaux du Proche-Orient
n’est pas moins important. Il s’agit des rapports, en fait,
stratégiques entre la Syrie et l’Iran, ainsi qu’avec les
mouvements radicaux proche-orientaux : le groupement libanais
Hezbollah et le Hamas palestinien avec lesquels l’Occident
refuse de coopérer, les considérant comme extrémistes.
L’Occident est prêt à normaliser ses rapports avec Damas, mais
exige, en échange, que la Syrie rompe avec l’Iran et le
Hezbollah. Moscou est plus tolérant envers les radicaux
régionaux et essaie, en l’occurrence, de jouer le rôle de
médiateur dans les rapports entre le Hamas et l’Occident.
Les présidents russe et syrien aborderont
également sans aucun doute la question de la préparation de la
conférence de Moscou sur le Proche-Orient au cours de laquelle
il serait, peut-être, possible de faire asseoir à une même table
des représentants des parties adverses : ceux du Liban, de la
Syrie et, éventuellement, de l’Iran, de l’Autorité palestinienne
et d’Israël. Cependant, dans les conditions d’une confrontation
acérée entre les deux mouvements palestiniens opposés Fatah et
Hamas, et compte tenu du climat politique actuel en Israël, on
ne peut parler du forum de Moscou que comme d’une perspective
lointaine. Moscou n’acceptera pas de convoquer la conférence
pour la beauté du geste, et risquer de se retrouver le dindon de
la farce, comme ce fut le cas de George W. Bush à Annapolis en
2007.
Ce texte n’engage que la
responsabilité de l’auteur.
© 2010 RIA Novosti
Publié le 15 mai 2010
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