Opinion
Les grandes
puissances veulent la guerre civile en
Syrie mais ne parviennent pas à
l'imposer
Amin Hoteit
Dimanche 11 décembre
2011 En ce 7
décembre 2012, nous avons
malheureusement dû constater, une fois
de plus, le manque de déontologie, de
responsabilité, et surtout de respect
humain de presque tous nos médias «
traditionnels ».
Tous se sont rués sur le même scoop :
l’entretien de Bachar al-Assad avec
Barbara Walters sur ABC News. Il ne
s’agissait pas ici d’une énième vidéo ou
reportage truqués, mais du chef d’État
d’un pays souverain qui, depuis des
mois, est jeté en pâture à l’opinion
publique. [1].
Ce pays est la Syrie, où 45 communautés,
au minimum, cohabitent en paix depuis
des siècles, mais dont la position
géopolitique et géostratégique fait
qu’elle est l’objet de toutes les
convoitises et la cible privilégiée des
Occidentaux et de leurs alliés dans la
région.
A
peine le Président syrien s’était-il
exprimé, que presque tous nos médias
l’ont aussitôt condamné. Et lorsqu’ils
ne l’ont pas ouvertement calomnié, ils
ont tenté de le ridiculiser. Ainsi,
Alexandre Adler, commentant sur
Europe 1, [2]
cette interview, présentée comme
« surréaliste » par
Bruce Toussaint, a décrété : «
Il raconte des
absurdités, je n’ai pas tué tiré… c’est
une façon d’occuper le buzz… ! ». Le
buzz dont justement lui-même se sert
pour nous vendre sa «
guerre des religions », un sujet
éminemment commode pour nous égarer et
prétexter une guerre civile là où il y a
visées hégémoniques contradictoires.
Alexandre Adler ne parle pas des
chrétiens, c’est devenu trop délicat…
Pour lui, il nous faut absolument
comprendre que les sunnites détestent
les chiites et inversement… Partant de
là, la fête chiite de l’Achoura, qui
tombe opportunément au moment où Assad
reprend pied, devient sa
« fenêtre de tir » ... puisque
l’Irak aussi se met à le soutenir… après
la Russie et beaucoup d’autres pays…
Bref, on ne sait par quel raccourci, il
en arrive à conclure que
« nous sommes passés d’une guerre civile
syrienne, qui s’intensifie de jour en
jour à une sorte de politique des blocs
régionale… ». Comprenne qui pourra !
Passer en revue les déclarations des uns
et des autres serait péniblement
répétitif. Paris Match
[3]
résume assez bien la doxa en vogue : « …
Bachar al-Assad a sans
surprise démenti toute responsabilité
dans les violences qui ont fait plus de
4000 morts, sans envisager un instant de
quitter le pouvoir comme le lui demande
la grande majorité de la communauté
internationale ». Toujours ce
chiffre, non vérifié, de 4000 morts qui
a pris valeur de dogme parce que retenu
par la Haut Commissaire des Nations
Unies aux droits de l’homme Navi Pillay
[4]
dans un rapport pourtant vivement
contesté pour sa partialité [5].
Sans oublier Amnesty
International qui, par la voix de
Michel Fournier [6],
va jusqu’à accuser l’Armée syrienne de
tuer des centaines de ses propres
enfants, et voudrait que l’on s’attaque
à la Syrie comme en Libye, mais passe
sous silence plus d’un millier de
soldats et de civils massacrés par des
terroristes et des takfiristes !
Quant
à la légitimité de la demande de «
la grande majorité de la
communauté internationale », c’est à
un ami syrien et francophone d’Alep
qu’il faudrait l’expliquer. Profondément
meurtri par les allégations mensongères
de nos médias, qu’il suit jour après
jour, il m’a adressé ce message :
« Je passe sur le fait
que vos journalistes ne savent plus
reconnaître la « dignité » d’un homme,
mais ce qui me sidère est qu’ils ne se
posent jamais les bonnes questions. Les
gouvernants occidentaux déclarent que
notre président, pourtant élu par le
peuple syrien, n’a plus de légitimité.
Mais comment peuvent-ils justifier la
légitimité qu’ils ont accordée au
président du CNT [président des
rebelles] Bourhan
Ghalioun que personne ne connaissait en
Syrie avant les événements en cours
[il réside depuis des décennies en
France et enseigne à la Sorbonne] ?
Est-ce une nouvelle loi
du droit international [qu’ils
viennent d’inventer après celle du «
droit d’ingérence »] que
la légitimité d’un président provient de
ses tuteurs étrangers et non du peuple
de son propre pays ?! ».
En
attendant, l’impatience des puissances
occidentales à voir s’installer une «
guerre civile » en
Syrie se heurte aux réalités sur le
terrain, comme nous l’expose l’analyste
politique libanais, Amin Hoteit.
Mouna Alno-Nakhal-
7 décembre 2011
Les grandes
puissances veulent la guerre civile en
Syrie mais ne parviennent pas à
l’imposer
Propos d’Amin Hoteit recueillis par la
revue syrienne Thawra/alwehda,
5 décembre 2011
Le
Docteur Amin Hoteit constate que la
Syrie a réussi à déjouer le complot
fomenté contre elle par des puissances
étrangères ; complot dont les objectifs
ont été clairement définis par le
Président du « Conseil
des clients d’Istanbul » [Monsieur
Burhan Ghalioun] lorsqu’il a déclaré
qu’il se préparait, une fois arrivé au
pouvoir, à couper tout lien avec la
résistance et à négocier la
reconnaissance d’Israël en signant une
capitulation du type «
Camp David et Wadi Araba ». Pour
déjouer ce complot, la Syrie a pu
compter sur elle-même et sur un appui
international et régional, notamment
celui de la Russie, de la Chine, et de
l’Iran.
Maintenant que la Syrie a réussi à
isoler les insurgés dans une zone
relativement étroite (le triangle Homs,
Hama, Edleb) pour protéger la population
de leur terrorisme et de leur barbarie,
et alors que ses forces de sécurité
continuent à opérer scrupuleusement
selon une technique chirurgicale afin
d’éviter un surplus de nuisance,
l’Occident prétend craindre de voir la
Syrie se diriger vers une
« guerre civile » et
se met à se lamenter sur le sort des
agents terroristes à sa solde en les
faisant passer pour des
« civils pacifiques qu’il faudrait
protéger ».
Une
protection que l’Occident prétend
assurer par l’intermédiaire d’une
intervention militaire déguisée en
« zone d’exclusion
aérienne », ou «
zone tampon », ou encore
« couloirs humanitaires
»… Autant de formulations qui
impliquent l’usage d’une force militaire
étrangère ayant pour but de paralyser
l’armée syrienne et d’ouvrir la voie
vers la prise du pouvoir par le
« Conseil des clientélistes » ; mais
étant donné qu’il est désormais certain
que cette voie est actuellement
verrouillée, il utilise tous les moyens
possibles pour lancer ses mises en garde
tout en faisant la promotion de ce qui
inciterait à une «
guerre civile en Syrie ». Est-il
possible qu’une telle guerre ait lieu ?
Tenant compte des
règles et des concepts admis en science
militaire, le Docteur Hoteit rappelle
qu’une guerre civile ne peut se
déclencher que dans un environnement qui
réunirait trois facteurs.
Le premier concerne les pouvoirs
officiels de la gouvernance et se
traduit par un pouvoir faible et
incohérent, une armée désolidarisée et
divisée en groupuscules rejoignant à
leur tour des forces populaires rivales,
ou une armée totalement en décomposition
permettant aux forces populaires et aux
groupes armés de prendre le contrôle des
casernes et de l’armement.
Le deuxième est le facteur populaire qui
se traduit par la division du peuple
avec l’émergence de conflits et de peurs
réciproques qui poussent chaque partie à
prendre les armes pour chercher à
contrôler une terre qu’elle interdit à
l’autre, avant de la purifier par la
déportation et les assassinats. Chacune
de ces parties sent son existence
menacée du fait de l’obstruction de
l’horizon politique et de l’absence
d’une force militaire officielle capable
de la protéger, ce qui l’oblige à se
défendre elle-même et par ses propres
moyens.
Le troisième est le facteur externe et
se traduit par l’existence de puissances
étrangères qui commencent par empêcher
le dialogue et par conséquent l’accord
entre les parties, puis leur fournissent
armes, argent, et médiatisation ; et
enfin, finissent par les conditionner
psychologiquement pour qu’elles
ressentent un danger imminent qui les
incite à se battre.
Comme nous
l’enseigne l’Histoire, ce sont là les
trois facteurs environnementaux qui
déclenchent une guerre civile. Un tel
environnement existe-t-il ou serait-il
susceptible d’exister en Syrie ?
D’emblée, nous voyons clairement que le
troisième facteur existe, puisque nous
sommes en présence de forces extérieures
qui veulent la guerre civile,
l’encouragent, empêchent le dialogue, et
fournissent armes et argent à certaines
organisations internes. Aussi, malgré
les prises de position publiques des
puissances étrangères mettant en garde
contre une guerre civile, et leurs faux
appels à la protection des civils, nous
constatons que la Turquie ainsi que des
pays arabes et occidentaux sont parties
prenantes pour pousser à la guerre de
toutes leurs forces disponibles et, par
conséquent, si l’un ou l’autre de ces
intervenants nie soutenir les
terroristes ce n’est que pour éviter la
défaite en cas d’échec. C’est pourquoi
nous ne croyons pas le démenti des
Français lorsqu’ils nient entrainer et
armer les insurgés, comme nous ne
prenons pas au sérieux les déclarations
des Américains lorsqu’ils prétendent
refuser de fournir des armes aux
terroristes alors qu’ils sont les
instigateurs acharnés de la guerre
civile, et nous sommes confortés dans
cette conviction par le comportement
récent de Joe Biden en Turquie. Nous ne
croyons pas non plus aux tentatives
trompeuses des Arabes qui prétendent
vouloir « arrêter le
bain de sang et protéger les civils
» pendant qu’ils fournissent aux
insurgés armes et argent et mènent une
guerre médiatique et psychologique
contre la Syrie.
Pour toutes ces
raisons, nous disons que l’un des trois
facteurs prédisposant à une guerre
civile est bien présent, et c’est le
troisième. Il est externe et étranger à
la Syrie. En revanche, comme nous le
montre la réalité sur le terrain, les
deux autres facteurs nécessaires sont
actuellement absents.
En
effet, le pouvoir et l’armée syriens
continuent de s’acquitter de leurs
responsabilités, puisque les trois
forces [Armée, Sécurité, Forces de
l’ordre] ont démontré leur capacité à
préserver leur cohésion et leur unité,
leur strict respect des décisions
cohérentes du pouvoir politique, tout en
faisant montre d’ingéniosité dans le
traitement des opérations et des
attaques terroristes, jusqu’à les
confiner à une zone géographique
limitée. De plus, le haut commandement
dispose de forces d’intervention rapide
de réserve capables de contrer toute
opération qui viserait à provoquer
l’étincelle susceptible d’ouvrir la voie
vers la guerre civile. Quant aux
allégations de ceux qui affirment que
des dissidents ont formé une
« Armée Libre »,
elles sont assurément fausses. Cette
organisation armée, dirigée par un
officier technicien à la retraite, ne
comprend aucune unité militaire qui se
serait désolidarisée de l’armée, mais
rassemble des civils et des terroristes
infiniment plus nombreux que les
déserteurs de l’armée.
Cela signifie que
le premier facteur est absent mais,
qu’au contraire, les forces militaires
sont bien présentes et travaillent à la
sécurité des citoyens, leur épargnant la
tentation de l’autodéfense armée pour
sauver leur vie et protéger leurs
droits.
Quant
au facteur populaire, le troisième, ceux
qui tirent prétexte de la défiance
nouvellement apparue entre certaines
communautés du peuple syrien du fait des
exactions de terroristes et de
takfiristes - qui prétendent tuer au nom
de telle ou telle doctrine afin de,
soi-disant, garantir leur droit à
l’existence - devraient plutôt noter le
haut degré de conscience du peuple
syrien qui a su distinguer entre le
terrorisme et la communauté à laquelle
il appartient, et surtout qui a
manifesté sa ferme condamnation de ces
assassins qui n’ont « ni
foi ni loi ». Le grand Mufti de
Syrie en a témoigné avec une émouvante
sincérité au moment même de
l’enterrement de son fis assassiné, tout
comme l’ensemble des représentants de
toutes les communautés religieuses qui
se sont déclarées prêtes à
« offrir des milliers de
martyrs à leur patrie et ont affirmé
qu’elles ne se laisseraient pas
entraîner dans la guerre civile ».
Autrement dit, semer la discorde pour
arriver à monter les communautés les
unes contre les autres n’est pas chose
facile en Syrie, d’autant plus que les
réalités civile et démographique
empêchent de dessiner des frontières
entre les multiples communautés et, par
conséquent, ne se prêtent pas à la
création de champs ou camps de batailles
civiles. D’où l’extrême difficulté d’une
opération extérieure qui chercherait à
isoler et à armer massivement des
communautés divisées [si division il y
a, ce qui est hautement improbable]
malgré le contrôle efficace des forces
de sécurité et des forces armées
déployées sur les frontières.
En
outre, il faut tenir compte du peuple
syrien lui-même, parfaitement conscient
des grosses ficelles du complot fomenté
contre son pays et profondément heurté
par les déclarations récentes d’une
prétendue opposition décidée à établir
un gouvernement à la solde des
puissances occidentales. Dès lors, les
Syriens se posent la question de savoir
si cette opposition ira jusqu’à les
pousser à la guerre, voire à les
anéantir, s’ils ne reconnaissent pas
Israël et ne renoncent pas à tous leurs
droits. La réponse passera certainement
par l’unité nationale et l’adhésion
populaire aux réformes en cours et aux
positions du gouvernement, qui refuse de
céder face à une telle opposition.
Ainsi nous voyons
que l’Occident œuvre pour la guerre
civile en Syrie parce qu’il a échoué à
toutes les étapes précédentes de sa
conspiration.
En
effet, après avoir utilisé la Ligue
Arabe contre la Syrie, l’Occident se
réfugie derrière les organisations
internationales qui lui sont inféodées,
comme le Conseil des
droits de l’Homme,
Amnesty International, ou autres… Ce
qui ne lui servira à rien et ne pourra
certainement pas le rendre maître des
décisions du gouvernement pour arriver à
coloniser la Syrie, raison essentielle
qui le pousse à chercher la guerre
civile comme dernier recours pour
arriver à ses fins et se sortir de ses
propres difficultés. Mais il se trouve
obligé d’admettre que ses tentatives ont
été vaines. Alors, il persiste à mener
ses tentatives de perversion secrètement
et déclare tout le contraire
publiquement, encore une fois, pour ne
pas avoir à supporter les conséquences
de son échec.
Et le
Docteur Hoteit de conclure : La Syrie
est plus avisée et plus grande que
l’Occident ne le croit, pour se laisser
entraîner dans une guerre civile ou se
livrer à un clientéliste à la solde d’un
colonisateur.
Amin Hoteit
- Propos recueillis par la revue
syrienne Thawra/alwehda
5 décembre 2011
Amin Hoteit
est libanais, analyste
politique, expert en stratégie
militaire, et Général de brigade à la
retraite. Traduit de
l’arabe par Mouna Alno-Nakhal, le 7
décembre 2011
Texte original d’Amin
Hoteit en arabe :
http://thawra.alwehda.gov.sy/_archive.asp
?FileName=96485209220111205032747
[1]
http://www.infosyrie.fr/decryptage/barbara-walters-dabc-news-parle-des-conditions-de-son-interview-avec-bachar/
[2]
http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Alexandre-Adler/Videos/Fenetre-de-tir-pour-Bachar-al-Assad-853285/
[3]
http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/Syrie-interview-de-Bachar-al-Assad-a-ABC-il-dement-la-repression-361819/
[4]
http://www.24heures.ch/actu/monde/onu-reunit-condamner-repression-syrie-2011-12-02
[5]
http://www.silviacattori.net/article2475.html
[6]
http://www.radioorient.com/Syrie-Amnesty-International-exhorte-l-ONU-a-reagir-contre-la-repression_a4924.html
Le sommaire de Silvia Cattori
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