Algérie
Tiguentourine -
Faits et lectures
Ali Hakimi
Samedi 19 janvier
2012
Sans vouloir minorer, outre-mesure, la
tragédie qui s'est déroulée dans le sud
de l'Algérie, il demeure utile de raison
garder et de s'en tenir à ce qui s'est
réellement passé. Les faits : un groupe
armé attaque la base gazière de
Tiguentourine et prend un certain nombre
d'otages étrangers. C'était son
principal, pour ne pas dire unique,
objectif. La raison : elle est donnée
par la formidable mobilisation de la
sphère médiatique, qui voit s'offrir
l'un de ses sujets de prédilection et,
comme de coutume, le spectacle
transcende l'événement, grâce à
l'exploitation de l'émotionnel. Il n'y
en a, bien sûr, que pour les
ressortissants occidentaux ou Japonais.
Les Philippins sont cités presque par
hasard, pourrait-on affirmer. L'origine
: l'intégration par les activistes
islamistes dans leur stratégie de
l'efficacité médiatique de la capture de
ressortissants des grandes puissances.
Sans préjudice de la rentabilité
financière, maintes fois avérée. Les
circonstances : la proximité du site
visé de la frontière libyenne dont la
surveillance a pu être déjouée par le
commando, surarmé grâce à la
transformation de la Libye en un vaste
arsenal, libre-service, par les forces
de l'OTAN.
Ils ont réussi pour partie. Les
télévisions, au premier chef Al Jazeera,
ont mis en émoi des téléspectateurs du
monde entier, obligeant même les
dirigeants des pays dont les
ressortissants étaient aux mains des
ravisseurs de rendre des comptes. Ce
faisant, l'affaire pouvait prendre sa
dimension internationale avec, en toile
de fond, la guerre menée par les
Français au Mali que Omar Belmokhtar, le
commanditaire apparent du raid, n'a pas
manqué de convoquer pour se poser en
acteur honorable en arguant de son souci
de "punir" l'Algérie d'avoir autorisé le
survol de son territoire par l'aviation
française. En plus sordide, il reste
évident que le chef islamiste croyait
sérieusement pouvoir exfiltrer ses
victimes et en tirer de grands bénéfices
politiques et financiers. En jouant sur
la propension des dirigeants
occidentaux, dont le Japon, à céder sur
ce plan. Seule et fatale erreur, il n'a
pas été tenu compte de la réaction
algérienne ou très peu. Belmokhtar était
peut-être persuadé que le gouvernement
algérien serait soumis à des pressions
suffisantes pour laisser partir ses
hommes avec leurs prisonniers, ce que
pourrait confirmer le scoop offert à Al
jazeera qui met en scène des otages
appelant l'ANP à se retirer. Au final le
plan, "mûrement" élaboré, est tombé à
l'eau. L'assaut est donné parce qu'il
n'était pas question de céder à un
chantage ignoble et de créer, en
passant, un précédent qui a toutes les
chances de faire des émules dans la
nébuleuse djihadiste. Bien sûr il
fallait considérer la vie des otages,
mais aurait-elles été épargnées
autrement, au cas où les kydnappeurs les
avaient transportés vers leurs bases ?
D'où le feuilleton aurait continué, tout
en offrant aux ravisseurs une tribune et
une présence hors de proportion par
rapport à leur dimension, à leur place
et à leur rôle dans l'échiquier de la
région. L'aventure aura tourné, in fine,
tourné court. Quant à ses retombées…
Les intérêts des pétroliers sont bien
au-dessus des conjonctures de ce type.
Mis à part l'agitation du premier
ministre japonais, les Occidentaux
semblent bien déterminés à ne pas
abandonner une source de profit pour "si
peu". Hillary Clinton a appelé les
entreprises de son pays à renforcer leur
sécurité et la présidente du patronat
français, Laurence Parisot, déclarent
que les opérateurs français n'envisagent
pas de quitter le pays. Mieux encore,
Manuel Valls prend la défense de
l'option algérienne: "Quand on est
confronté au terrorisme, quand on le
combat ensemble, j'invite à la prudence
sur les critiques (…) parce ce sont des
Algériens qui sont concernés, avec
évidemment les Occidentaux, mais ce sont
d'abord les Algériens qui ont connu des
dizaines de milliers de morts pendant
les années noires."
Restent les critiques de "spécialistes"
en affaires sécuritaires dont les
arguments relèvent plus du confort
intellectuel ou du dépit que de la
réflexion concertée, sur un phénomène
qui mérite beaucoup de circonspection.
Restent
encore les fantasmes et supputations sur
une "internationalisation" de l'affaire
malienne. On peut lire dans la presse
française déchaînée: " L’Algérie a fini
par évoluer" (Le Figaro), "si d’autres
signes tangibles venaient confirmer
cette politique de fermeté, il s’agirait
d’un tournant, sinon d’une rupture"
(Libération), "maintenant qu’elle a du
sang sur les mains, l’Algérie ne pourra
plus jouer double jeu comme avant" (le
Républicain lorrain), "la solitude
française au Mali pourrait s’en trouver
allégée" (Sud-Ouest). Comprendre une
plus grande implication de l'Algérie et
la fin de "l'isolement" de la France,
dans une intervention qu'elle voudrait
moins entachée du label colonialiste. La
symbolique d'une participation de
l'Algérie, par-delà ses conséquences
probables sur sa stabilité, serait d'un
poids inestimable. Mais, selon les
données actuelles, il y a encore loin de
la coupe aux lèvres.
Ali Hakimi
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