Opinion
Ouargla : la
réalité du bruit
Ali Hakimi
Mardi 12 mars 2013
A Ouargla ou ailleurs en Algérie et dans
le monde, il y a des chômeurs. C’est une
donnée fondamentale du capitalisme où
ils sont ouvertement classés en tant que
marchandises qui n’ont pas trouvé
preneur sur le marché du travail. Il
faut par conséquent s’étonner de ce que
la protesta actuelle soit enrobée de
tant de « spécificité ».
Au départ, quelques chômeurs de
Ouargla ont pu profiter de
l’effervescence qu’a connue la place du
premier mai en février 2011.
Surmédiatisé, le groupe bénéficie d’une
couverture soutenue de la presse
nationale et internationale. Le lien est
vite fait, soit avec le « printemps » en
marche, soit plus tard avec la
géostratégie de l’Algérie. Le «
mouvement » obéirait à une démarche
occulte de démembrement du pays. Les
alarmistes ont des arguments. Certains
animateurs seraient appointés par des
ONG occidentales.
Leur train de vie, les moyens dont
ils disposent et l’assiduité de l’AFP
dans le suivi de leur moindre conflit,
même individuel, accroissent les
soupçons. Une interview du journal Le
Monde de l’un d’entre eux, sur fond de
crise sahélienne, sent le soufre.
Autour, se trouve le fantasme qui fait
de la proximité des gisements pétroliers
une raison de crier à l’injustice de la
situation des habitants du cru. Ils
devraient être les premiers à « profiter
» des ressources de « leur région ». Un
particularisme que l’on peut constater
autour du complexe d’El Hadjar. Mais, à
aucun moment, la chose n’a été
clairement exprimée, elle fait partie
des non-dits. Dans la réalité, le groupe
n’a pas cessé d’organiser sit-in et
manifestations depuis plus de deux
années. Des irruptions très
minoritaires, jusqu’à la dernière marche
de quelques centaines de jeunes sur
Hassi Messaoud, dont un mot d’ordre
explosif remet quelque peu en cause les
accusations d’irrédentisme, «
renationaliser » les puits
d’hydrocarbures.
Cependant, les autorités sont prises
au dépourvu, dans un climat de tension
extrême eu égard à la situation aux
frontières et à l’attaque islamiste
contre la base de Tiguentourine.
Concrètement, tous les efforts
financiers consentis au profit des
régions du Sud n’ont pas eu l’effet
escompté sur le développement local,
donc sur l’emploi. Le pouvaient-ils
quand toute la politique économique
repose sur l’initiative privée,
conformément aux engagements pris avec
les institutions financières
internationales et les puissances
occidentales. Ce, dans un contexte qui a
profondément évolué.
De nouvelles générations de jeunes
sorties des lycées et des universités, à
la conscience plus aiguisée que celle de
leurs aînés, qui sont en contact avec
l’universalité et dont les besoins sont
en phase avec ce qu’ils observent à
travers les médias. Sans prendre en
compte la mobilité sociale et les
brassages de populations permis par le
développement des infrastructures. Le
Nord devient une référence proche et
fascinante, à plusieurs égards. Les
revendications ont suivi, naturellement,
mues par les mêmes déterminants qui
prévalent à travers le monde. Les modes
d’expression aussi. On en est là.
Reste à savoir si l’Etat sera apte à
élaborer des réponses pertinentes à des
problèmes pertinents. Il ne s’agit plus
d’une question d’équité dans l’accès à
l’emploi, il s’agit d’offrir des
perspectives réelles qui rassurent et
qui stabilisent le climat social. A ce
titre, le recours à des procédures
administratives telles que
l’instauration du monopole de l’ANEM sur
le recrutement ne fera pas multiplier le
nombre de postes de travail et reculer
le chômage, fléau fondamental.
Car, il n’y a pas que le sentiment
d’injustice qui prévaut, alimenté par le
comportement criminel de ces agences de
recrutement privées, il y a surtout la
rareté de l’emploi et la
sous-qualification pour les emplois
disponibles. Comme solution efficace,
seuls des investissements publics
intégrés pourront impulser une dynamique
qui absorbera et la « manipulation » et,
surtout, le mécontentement légitime de
jeunes laissés pour compte qui ne se
sont pas tous mobilisés, il faut le
souligner, quelles que soient les
lectures alarmistes qui sont proposées à
l’opinion.
Etant donné que la situation n’a rien
à voir avec les grandes émeutes de 2001
et celles des années suivantes et que,
pour l’heure, ce sont des actions
organisées et minoritaires
ultramédiatisées, le gouvernement
devrait commencer par cesser de crier au
loup et de reconnaître qu’au Sud, comme
à l’Est, à l’Ouest et au Centre, l’échec
d’une libéralisation débridée dictée par
une soumission zélée aux chantres de la
« main invisible ».
Publié sur
Reporters
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