Opinion
68 ans après
Ali Hakimi
Mercredi 8 mai 2013
Tant que la guerre contre la
mémoire ne sera pas terminée, il est
plus que nécessaire de rappeler le
crime colonial.
A preuve, durant des années, les
Algériens ont cru que les faits
étaient admis et bien reconnus dans
les livres d’histoire. Nul ne
pouvait douter, ici, que la bête
restait bien vivante et prête à
bondir. Depuis une quinzaine
d’années, beaucoup découvrent avec
stupeur qu’elle revient plus décidée
que jamais à reprendre le terrain
perdu. Ne parlons pas de ce projet
scélérat qui inscrivait les «
bienfaits de la colonisation » dans
la législation de la République
française.
Oublions ces nostalgiques de
l’extrême-droite qui se gargarisent
de souvenirs sur l’Algérie de papa.
Il y a pire et plus agressif.
Des voix bien algériennes, extirpées
du colonialisme et du statut
d’indigène par l’école et
l’université de l’Algérie
indépendante, qui leur a offert
l’accès à la langue française, ont
embouché la trompette du dernier «
petit-blanc ». Les arguments ne
manquent pas. Vivants un exil
intérieur, attribué à l’«
arabo-islamisme » dominant, mais dû
surtout à la criminelle politique de
laminage culturel et d’exclusion de
la différence, au nom d’un
jacobinisme d’Etat obsédé d’imposer
une unité de langue et de pensée,
fût-il par la force. Au bout aurait
vu le jour l’unité nationale de
l’Algérie nouvelle. L’avènement du
mouvement islamiste, bien plus que
le printemps berbère, fera voler
comme un château de cartes cet
objectif. Le pays était plus divisé
que jamais. Le peuple algérien en
paiera le prix que l’on sait.
Ce sera à la faveur de ce
sanglant épisode que se
manifesteront les premières «
défections ». Plus ou moins connues,
des plumes s’estiment libérées du «
nationalisme » et surtout de la
lutte de libération nationale. La
conclusion la plus partagée rejoint
les positions d’Albert Camus.
L’éminent écrivain menaçait les
indépendantistes : « … Ce n’est pas
par l’Orient que l’Orient se sauvera
physiquement, mais par l’Occident,
qui, lui-même, trouvera alors
nourriture dans la civilisation de
l’Orient. » Ce sera le point
d’ancrage des reniements et de
véritables passages à l’acte de
sédition. Le colonialisme français
est absout et assimilé, ouvertement,
au « colonialisme » de l’Etat
algérien. Et il n’est plus tellement
rare de lire ce type de littérature.
L’« anti-impérialisme », lui-même,
fait l’objet d’un virulent
terrorisme intellectuel, sous
prétexte de « soutien au pouvoir».
Certains commentaires sur la
réaction populaire à l’affaire de
Tiguentourine en témoignent,
reprochant le « nationalisme
ombrageux des Algériens ».
Mais, heureusement, les crimes
colonialistes ont une réalité que
rien ne peut détruire. Des
témoignages sont donnés. On en
trouve même dans l’autre camp. Par
exemple, celui d’Emile Martinez,
membre de l’Association nationale
des pieds-noirs progressistes et
leurs amis (ANPNPA). Il nous dit
ceci : « Le problème que nous ne
savions pas résoudre était au fond
de mieux comprendre notre
algérianité, car nous ne vivions pas
seuls sur la terre d’Algérie, mais
entourés de Berbères et d’Arabes,
que l’on appelait indigènes, plutôt
que mêlés à eux. » Une phrase qui en
dit long sur « des hommes et femmes,
venus de France comme d’autres pays
européens, qui ont vécu sous
l’emprise de ce système et en ont
été les instruments souvent
inconscients... »
Heureusement, encore, que dans
Wikipédia, à la page 8 mai 1945, on
peut désormais lire : « Le 8 mai
1945 est la date de deux événements
historiques marquants : la victoire
des Alliés sur l’Allemagne nazie et
la fin de la Seconde Guerre mondiale
en Europe, marquée par l’annonce de
la capitulation de l’Allemagne. Les
massacres de Sétif et Guelma en
Algérie. »
Ces massacres, toujours minorés,
passibles pourtant des chefs
d’inculpation du procès de Nuremberg
contre les responsables nazis, sont
l’objet souvent de renvoi des
responsabilités et de guerre des
chiffres (victimes européennes
versus victimes indigènes). Même si
François Hollande a « osé » en
parler, la barbarie qui s’était
déchaînée n’est toujours pas
reconnue en tant que telle. Car,
plus fort qu’une mièvre repentance,
il faudrait reconnaître celle de son
géniteur, le système colonial. Ce
qui ne semble pas être à l’ordre du
jour, dans un contexte de retour de
la canonnière en Afrique du Nord et
d’attente indicible d’un « printemps
» algérien, qui pourrait donner
définitivement raison à Albert Camus
ou, au moins, discréditera l’idée
même d’indépendance.
Publié sur
Reporters
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