Tribune
Le mouvement
prométhéen ?
Alexandre Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 23
novembre
2011
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Dans mon avant
dernière tribune, j’ai abordé la
situation de certains groupuscules
radicaux russes qui prônent la sécession
d’avec certaines républiques musulmanes
du nord du Caucase russe pour supprimer
le fardeau financier qu’elles feraient
peser sur la fédération de Russie. Ces
partisans de la sécession territoriale
avancent des arguments qui sont que
certaines républiques caucasiennes sont
plus qu’instables, mais que surtout
elles se dépeupleraient de leur
population russe orthodoxe et qu’ainsi
leur appartenance à la fédération de
Russie devrait être remise en cause.
C’est surtout la Tchétchénie qui est
visée. Dans la population de
Tchétchénie, il y avait 23,1 % de russes
avant le recensement de 1989, il n’en
reste que 3,7% aujourd’hui. Le phénomène
Kadyrov (on dit qu’il aime ce surnom)
dirige la république d’une main de fer
depuis 2007, en y ayant réinstauré un
régime hybride, mélange de
traditionalisme Tchétchène et de rigueur
religieuse, le tout subventionné par
Moscou. Cette
vidéo récente montre des images de
la capitale Tchétchène reconstruite et
même si la vidéo est en russe, les
images sont vraiment spectaculaires.
Aujourd’hui, le centre ville de Grozny
est d’une beauté à couper le souffle.
Pour autant, si on peut reconnaître que
Ramzan Kadyrov a réellement pacifié la
république (contrairement à sa
turbulente voisine le Daghestan) on ne
peut que sourire lorsque celui-ci
affirme que le budget des luxueuses
festivités de son 35ème anniversaire en
octobre dernier lui a été fourni par
"Allah".
Il est évident aujourd’hui qu’un
morcellement du Caucase russe pourrait
déclencher des affrontements multiples
dans l’ensemble du Caucase, et dans tous
les pays limitrophes. Cette région est
stratégique pour la fédération de
Russie, et on n’imagine pas qui, à part
la fédération de Russie, serait capable
d’y maintenir la paix et la sécurité.
C’est tellement vrai que le Caucase est
aujourd’hui et a toujours été un
objectif géopolitique prioritaire, pour
la Russie comme pour les occidentaux.
Dès la première partie du 19ème siècle,
pendant que le grand jeu faisait rage en
Asie centrale (pour aboutir notamment à
la création de l’Afghanistan),
l’Angleterre avait bien compris
l’importance et la menace pour elle des
récentes conquêtes russes aux dépens de
l’empire Ottoman dans la région du
Caucase. Elles ouvraient en effet à la
Russie l’accès à la mer noire et à la
méditerranée, aux détroits, et à
une position géostratégique renforcée.
L’Angleterre (puissance maritime) a donc
tenté de déstabiliser la Russie
notamment par des livraisons d’armes
dans le Caucase ou par la création de
comités Tchétchènes et Tcherkesses lors
du congrès de Paris en 1856, après la
guerre de Crimée. Le but était déjà
clair, créer et soutenir un front
Caucasien pour repousser l’empire russe
(puissance continentale) loin des mers.
Cette mosaïque de peuples, dans le
Caucase, restera au cours du 20 ème
siècle une sorte de ventre mou de l’impérium
russe. Dès le début du 20 ème siècle du
reste, des responsables des républiques
musulmanes de Russie, principalement
dans le Caucase et en Asie centrale,
tenteront d’organiser la bataille vers
leur indépendance avec le soutien de
l’occident. C’est la naissance du
“Prométhéisme“, un mouvement peu
connu qui à travers le siècle va lutter
pour réveiller les identités et
encourager les séparatismes, afin
d’affaiblir la Russie. Le prométhéisme
aura son centre névralgique en Pologne,
comme viennent de le démontrer
certaines archives déclassifiées.
Elles démontrent en effet "l’existence
d'une unité spéciale chargée de
travailler avec les minorités nationales
sur le territoire de l'URSS (…) et ce
fin de déstabiliser la situation en
Ukraine, dans la région de la Volga et
au Caucase, ainsi que de démembrer et
d'anéantir l'Union Soviétique".
Les Bolcheviques ne pouvaient pas
tolérer ces tendances au morcellement du
territoire et en 1922, les principaux
responsables politiques indépendantistes
(Ukrainiens, Georgiens, Bachkirs,
Tatars, Azéris...) s’exilent dans deux
directions différentes: une première
vague vers Istanbul, qui contribuera à
développer la "conscience turque" au
sein du mouvement et une seconde vague
vers l’Europe notamment en France et en
Allemagne pré-nazie. La France est déjà
qualifiée à cette époque par le Bachkir
Zeki Velidov de "centre de combat"
contre la Russie. En 1924, à Berlin, une
rencontre a lieu entre Velidov et un
officiel polonais qui lui explique une
idée polonaise: Lancer un mouvement des
"indigènes de Russie" pour aider ces
peuples à obtenir leur indépendance.
Ensuite, la revue Prométhée se
développera dans de nombreux pays
(France, Allemagne, Angleterre,
Tchécoslovaquie, Pologne, Turquie ou
Roumanie) mais la montée du nazisme en
Allemagne change la donne et après le
pacte Germano-Soviétique le mouvement se
déclare "anti nazi et anti soviétique".
Les prométhéens se rangeront du côté de
l’Angleterre et de la Pologne, contre
l’Allemagne et l’URSS. Dès lors le
mouvement bénéficiera de forts soutiens
financiers en Pologne ou de soutiens
politiques en France, avec par exemple
la création du comité France-orient sous
le parrainage du président du sénat Paul
Doumer. Le principal projet du comité
sera la création d’une fédération du
Caucase sur le modèle helvétique. Mais
ce projet n’aboutira jamais, la Société
Des Nations reconnaissant finalement les
frontières de l’URSS et surtout les
tenants de ce prométhéisme se révélant
incapables de s’unir. En 1939, la
perte de la Pologne fut un choc pour le
mouvement qui fut rapidement happé par
l’Allemagne hitlérienne. Les stratèges
nazis envisagèrent eux aussi un éventuel
morcellement de l’URSS en petites
entités, plus faciles à contrôler. Les
Allemands créeront notamment une légion
Turkestan constituée de Tatars et de
Turkestanais mais celle-ci disparaîtra
dans l’échec de l’offensive allemande à
l’est. A la fin de la guerre, l’URSS est
plus forte que jamais et les Prométhéens
se tournent vers l’Amérique avec la
création d’une
"ligue prométhéenne de la charte de
l’Atlantique". Le mouvement
deviendra un pion made in USA de lutte
contre l’URSS pendant la guerre froide
via la création d’organisations tel que
"l’Institute for the study of URSS" ou
"l’American Commitee for Liberation of
Bolchevism".
La grande confusion idéologique qui
ressort de cette période amènera au
développement d’une ligne "prométhéenne"
qui se définira par défaut comme
défendant un projet fondé sur le
nationalisme ethnico-régional en
Eurasie. Ce projet de démembrement de la
Russie en de multiples entités a été
pensé tant par des stratèges nazis comme
Alfred Rosenberg en 1939, que par des
stratèges Américains comme Zbigniew
Brezinski dans son ouvrage le grand
échiquier publié en 1997. Alors ce n’est
pas une surprise si ces idées de
découpage de la Russie « pour le bien
des peuples » sont aujourd’hui reprises
tant par des groupuscules néo-nazis que
par les porte-voix de l’influence
occidentale.
En Russie, il y a une multitude de
peuples éparpillés sur un immense
territoire. L’organisation du pays est
un modèle de société fédérale
unique au monde. On voit que les appels
à la destruction de ce modèle de société
unique ne sont pas une nouveauté, ils
sont le dernier épisode d’une histoire
commencée au 19° siècle.
*
Les lecteurs souhaitant en savoir plus
sur le Prométhéisme peuvent lire cette
analyse très instructive en Français.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Article publié sur RIA Novosti
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