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Opinion
Survivre à Moscou
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mardi 19 avril 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Bonjour Alexandre, j’ai lu avec beaucoup d’attention ta
tribune
Far-est, ainsi que d’ailleurs tes
autres tribunes sur Ria-Novosti. J’habite Bordeaux et me
pose la question de déménager à Moscou, comment y est la
vie pour un étranger? Merci d’avance, Ludovic.
Cher Ludovic, un déménagement à Moscou est presque une
aventure. "J'étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance,
j'étais à Moscou dans la ville des mille et trois clochers et
des sept gares", c’est Blaise Cendrars qui a écrit ça. Moi, mes
premières impressions, c’était de me sentir assommé par la
densité des foules disciplinées qui s’engouffraient dans le
métro, et par le bruit des rames qui arrivent dans les stations.
Au premier abord, la ville me semblait plutôt difficile à
appréhender, et même hostile. C’est une mégalopole de 12 ou 15
millions d’habitants, mais pas tout à fait comme les autres
mégalopoles de la planète, il y a des particularités bien
russes, et tout de suite, la rencontre avec l’alphabet
cyrillique ajoute une difficulté. Au début je l’avoue j’étais
écrasé par la largeur des artères et des rues, et la relative
difficulté à trouver certaines adresses. Bien sur tu vas me
dire, autant circuler en voiture! La belle affaire, on voit bien
que tu n’as encore jamais conduit à Moscou.
La ville est entre 6 heures du matin et 22 heures un bouchon
géant, il n’est pas rare de mettre 2 heures pour un déplacement
du centre, dans le centre, vers le centre! La circulation est la
plaie de cette ville, et je préfère ne pas aborder le problème
des places de parking, impossibles à trouver.
Après, pour celui qui arrive, il y a la rencontre avec
l’hiver russe. Au début, c’est dur à supporter. Certains jours,
même le petit trajet à pied, entre la station de métro et le
bureau est une épreuve physique, quand on vient d’un pays
tempéré. Les russes marchent sans aucun problème sur le verglas,
et on comprend qu’il va falloir apprendre. L’hiver dure 5 mois
(il a par exemple encore neigé la semaine dernière), les
températures dépassent fréquemment les -15° (il a fait -30° en
février dernier), et le ciel est presque tout le temps couvert.
La ville est vraiment grande, les stations de métro sont bien
plus espacées qu’à Paris, donc on passe beaucoup de temps
dehors, ce qui permet de "profiter" un maximum du froid. Les
étés sont généralement trop chauds et trop courts, sauf le
dernier, caniculaire, et pendant lequel Moscou est restée noyée
dans une épaisse fumée et une odeur de brûlé pendant presque
deux mois, à cause des incendies qui ont ceinturé la ville. A
Moscou enfin l’immobilier est cher, vraiment cher, trop cher.
Sauf par exemple pour Naomi Campbell, qui vient de s’installer
dans un nouveau complexe du centre ville.
Pour clore le tableau négatif, Moscou est une capitale visée
par le terrorisme: pendant les douze derniers mois, deux
attentats ont coûté la vie à une centaine de personnes, il y a
eu plusieurs centaines de blessés.
Pour autant, je ne souhaite pas te décourager, j’ai juste
voulu être objectif, en listant ces divers points négatifs qu’il
ne faut pas oublier. Il y a aussi des points positifs, et il y
en a beaucoup, en tout cas suffisamment pour que, comme de
nombreux Français de Moscou, je n’aie jamais eu envie de quitter
cette ville et même que j’envisage d’y rester encore une bonne
partie de ma vie.
Moscou est fascinante, c’est une ville tout simplement
exceptionnelle. Elle a les avantages des vraies mégalopoles, et
beaucoup de choses fonctionnent ici H-24. A
n’importe quelle heure du jour et de la nuit, il est possible de
faire tant les courses que de manger ou boire quelque chose,
sortir, trouver de l’animation, de la vie. Les bars et les
restaurants sont ouverts, il y a des boutiques qui ne ferment
jamais et même des banques et des immeubles de bureaux qui ont
un service de nuit.
Ici,
l’énergie de la ville se ressent tant dans le rythme des
jeunes Moscovites qui dansent sur les pistes des boîtes de nuit,
que dans la densité du trafic automobile, ou dans la masse de
gens que l’on peut rencontrer partout à n’importe quelle heure.
Cette ville est plus vivante que les autres, ce n’est pas une
illusion. Elle est toujours en activité et moi, Ludovic, j’aime
Moscou pour ça. Pour le travail c’est pareil, il n’est pas rare
qu’à Moscou des rendez-vous d’affaires se déroulent en soirée ou
alors le week-end.
Il faut bien avouer, cher Ludovic, que ça pourrait drôlement
te changer de Bordeaux, ville musée et somnolente, avec ses
supermarchés qui ferment à 22 heures en semaine, ou ses boîtes
de nuit des quais de Paludate, qui ouvrent et ferment à heures
fixes. A Moscou, cette notion d’horaires fixes n’existe
pratiquement pas. Un hit musical sorti en 2009 a d’ailleurs
parfaitement résumé la situation dans son titre: “Moscow
Never Sleeps“ (Moscou ne dort jamais). Dernière bonne
surprise, la ville est relativement verte, puisque près de 40%
de sa surface est composée de parcs et jardins, c’est nettement
plus que dans nombre de villes européennes et réellement
plaisant surtout pendant le printemps et l’été.
Les Russes sont accueillants même si au premier abord les
Moscovites ont toujours un air pressé et peu souriant. Les
habitants de la capitale russe ont l’habitude des "autres". Le
pays est un empire, qui comprend une immense variété de gens et
de religions. A condition de faire les efforts nécessaires et de
respecter certaines règles, toute cette diversité trouve assez
facilement sa place dans la vie à Moscou, y compris les
étrangers.
Il est plausible qu’une ou des jeunes Moscovites te sourient
assez rapidement, prudence Ludovic, un peu de discernement peut
être utile. Beaucoup de visiteurs tombent sous le charme de
Moscou, ville de l’amour et du romantisme, et de ses beautés. Ca
ne marche pas toujours, mais je connais beaucoup d’hommes qui y
sont très heureux d’un point de vue sentimental, la chaleur des
femmes russes n’ayant, selon mon expérience de globe-trotter,
absolument aucun équivalent sur notre petite planète.
Venir à Moscou comme expatrié employé d’une multinationale
évite certes beaucoup de difficultés. C’est une vie entre un
bureau de l’hyper-centre et un appartement luxueux de ce même
hyper-centre, entre deux déplacements vers l’hyper-siège de son
hyper-société. Ce type d’expatrié ne fait cependant que "passer"
à Moscou. Il a un style de vie quasi identique à celui qu’il
pourrait avoir à Shanghai, New-York ou Bruxelles.
C’est bien différent pour celui qui veut tenter sa chance
seul, avec l’idée d’immigrer et de s’intégrer à la société
russe, voir se trouver une nouvelle patrie d’adoption. Il va
rencontrer en dehors des difficultés de la langue russe des
rythmes différents, un système de pensée différent, et il devra
se plier à quelques difficultés administratives qui rendent
généralement fous les étrangers. On n’entre pas en Russie comme
dans un moulin ou un hôtel, l’administration russe est souvent
très pointilleuse, c’est un labyrinthe qui demande des efforts
de compréhension et de la patience. Mais finalement, le jeu en
vaut bien la chandelle.
La Russie ne laisse personne indifférent, et pour ce qui est
de Moscou c’est encore plus vrai, mais elle peut te mettre assez
rapidement K.-O. debout. Nombre de gens qui ont vécu un temps
dans cette ville se sentent parfois difficilement capables de le
refaire, c’est sans doute seulement en la quittant qu’on se rend
compte quel rythme impitoyable et stimulant elle impose.
Pour autant Ludovic, je suis attaché à cette ville et à son
mode de vie, surtout quand je peux régulièrement m’en échapper
pour aller reprendre des forces ailleurs. Après une absence de
quelques jours, j’ai néanmoins toujours envie de rentrer de
nouveau sur le ring et comme nombre de Moscovites être content
de "survivre" à Moscou.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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