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Opinion
La Russie entre
canicule climatique et agression médiatique
Alexandre Latsa
© RIA Novosti. Mikhail Fomichev
Dimanche 22 août 2010
Vivre à Moscou est très plaisant, les saisons y sont
prononcées, la ville est vibrante, très verte et c'est sans
doute l'un des endroits au monde ou vos amis de l'étranger
vous demandent le plus fréquemment si « tout va bien ».
Prenons cette année 2010, lorsque j'ai affiché sur ma page Facebook les
températures de cet hiver, mes amis se sont rués pour me
demander comment survivre par un froid aussi polaire. Au
printemps, les odieux attentats perpétrés dans le métro ont
déclenché angoisses bien justifiées chez ces mêmes amis.
Récemment, la semaine dernière, ils m'ont demandé si l'on
pouvait "survivre" à Moscou avec ce cocktel de fumée et de
grande chaleur. Je leur ai répondu que contrairement à ce
que l'on pouvait lire sur le net, comme par exemple qu'il
était impossible de passer plus de
72
heures d'affilée à Moscou, la vie ne s'était pas
arrêtée, et que les Moscovites avaient continués à
travailler, faire leur course et sortir, prenant leur mal en
patience. Je ne pense pas avoir des amis particulièrement
craintifs ou angoissés, mais des amis qui, comme beaucoup de
gens de leur génération, surfent et lisent les synthèses
d'actualité que Internet propose. Comment pourraient t-il
dès lors être sereins ?
Au coeur de cette année croisée, la presse francaise s'est
en effet relativement "emporté" sur l’analyse des évènements difficiles
que la Russie traverse. La seule
lecture des titres des articles ne donnaient pas il est
vrai une impression très positive de la situation en Russie
si l’on en juge à ces quelques exemples pris au hasard:
"Armageddon", "Tchernobyl", "Enfer", "Danger nucléaire", "Le
pouvoir incapable de faire face" etc etc.
Hormis avoir ajouté de l’huile sur le feu (ce que le
journaliste Hugo Natowitcz a parfaitement bien expliqué dans
cet article : «
Offensive contre un pays en flammes »), la presse n’a au
final pas été fichue d’informer objectivement les francais
sur la réalité des évenements. Normal, son objectif n’était
visiblement pas celui la, a en juger par l’obsession
hystérique de certains correspondants (prenons l’exemple de
la journaliste de France 2 qui m’a contacté) à vouloir à
tout prix démontrer une hypothétique responsabilité du
pouvoir Russe et notamment une « faille
du système Poutine ». L’argument massue de « nos
amis les journalistes » : la réforme du code forestier
de 2006, voulue par Poutine, qui supprimait le système
fédéral centralisé de « prévention et gestion des
incendies » (et les 70.000 postes de gardes forestiers liés)
pour déléguer aux autorités régionales la gestion de leurs
espaces verts, et donc également leur protection. On ne
peut qu'être à moitié surpris que ceux qui furent les
premiers à dénoncer la re-centralisation du pouvoir Russe
dans les premières années du règne Poutine (dénoncée à
l’époque comme quasi-totalitaire), soient aujourd'hui
également les premiers à dénoncer les très hypothétiques
effets pervers de cette même décentralisation qu'ils ont
pourtant continuellement défendus.
Trève de plaisanteries, tentons d'être un tout petit peu
objectif, à l'inverse de certains, qui se sont permis dans
un excès de chauvinisme mal venu de comparer le système
Francais de gestion et protection des incendies au système
Russe, en pointant du doigt que la Russie ne comprend que
22.000 pompiers, soit deux fois moins que la France alors
que le pays est 26 fois plus étendu. Pourtant comment
comparer l'incomparable ?
La Russie s’étend sur plus de 17 millions de km². Son
immense ceinture forestière Russe s'étend elle sur une
surface totale de 8 millions de km² (45% de la surface du
pays), ce qui fait de la Russie le pays du monde ayant la
plus grande surface boisé, devant l'Amérique, le Brésil ou
le Canada. Une grande partie de cet espace boisé est
composée de résineux, et de forêts dites "sauvages",
c'est-à-dire non entretenues. Au cœur de ces forêts, de
nombreux villages de maisons en bois, parfois sans lac à
proximité, et sans eau courantes, ont été construits,
souvent de façon anarchiques, et cela dès les années 1980.
Le grand
éparpillement de ces « maisons » et « villages » rend
très difficile leur protection.
La France en comparaison s'étend sur 650.000 km² et les
forêts (très entretenues) sur 150.000 km/² (soit 23% de la
surface du pays). Le nombre de pompiers professionels y est
de 51.000 soit un pompier professionnel pour 3 km² de
forêt. Autre comparaison, aux Etats-Unis d'Amérique, les
forêts occupent 780.000 km² sur 9.800.000 km² soit 8% de la
surface du pays. Le nombre de pompiers professionels y est
de 321.700 soit un pompier professionnel pour 2,4 km² de
forêt.
Un équivalent Franco-Américain en russie signifierait tout
simplement 2.500.000 pompiers, soit presque 3% de la
population adulte du pays (les 16-64 ans étant 96 millions
en 2009). On comprend bien le ridicule d'un tel argument.
Et pourtant, malgré cela, les incendies n'épargnent pas la
France ni l'Amérique. En France chaque année brûlent en
moyenne 30.000 hectares, soit 0,05% de la surface du pays.
Aux états-unis, chaque année, les flammes emportent
1.740.000 hectares soit 0,18% du territoire. En 1991 par
exemple l'incendie d'Oakland Hills avait détruit 2.900
maisons et tués 25 personnes, l'incendie de Cedar en 2003
avait lui détruit 4.847 maisons (source
et
source). En 2007 et 2008, rien qu’en Californie, plus de
800.000 hectares ont brulés.
A titre indicatif, en Russie depuis le début de ces
incendies, 28.000 foyers d’incendies ont brûlés près de
850.000 hectares, 3.000 personnes ont perdu leurs logements
et 52 seraient mortes. Cela correspond à une surface de
8.500 km², soit 0,05% de la surface du pays. A comparer aux
chiffres fournis ci-dessus. On se demande au vu de ces
chiffres les justifications des critiques excessives contre
le pouvoir Russe, personne ne critiquant le pouvoir
Américain, démocrate ou républicain, lorsque chaque année,
l'Amérique est tragiquement en proie aux flammes.
*
Plus grave, et bien plus important qu’une simple
démonstration statistique, le même scénario se répète dans
le traitement des « victimes » de ces incendies. Les gens
dont les maisons ont brulées n’intèressent finalement que
les médias Francais que lorsque ceux-ci « crient » sur
Poutine ou se « plaignent » du pouvoir. L’express a par
exemple titré : « un village tient tête à Poutine » , en
utilisant
cette vidéo montrant des femmes dont les maisons avaient
brûlée parler virulement au premier ministre. Comment ne pas
comprendre le désespoir de ces femmes qui ont tout perdu ?
Comment aurait t-elles pues être calme ? Pourquoi néanmoins
en tirer des conclusions hâtives qui seraient que « elles
incrimineraient Vladimir Poutine » alors qu’une simple
écoute de la vidéo montre que ce n’est pas le cas ? Serait
ce pour influencer les lecteurs non Russophones ?
Reprenant la même source, la tribune de Genève affirmait le
03 aout 2010, par la voix de son « pigiste » du moment,
Frédéric Lavoie que « Poutine
était dépassé par les incendies », rien que ca.
L’article décrivait une situation catastrophique, précédant
une éventuelle fin du monde et en portant bien plus d’intêret
à la responsabilité d’un Poutine soi disant dépassé qu’aux
victimes Russes. Pour le quotidien régional Alsacien,
Poutine est « otage
de son système »..
Je le répète,
l’obsession poutinophobe qui a frappé nombre de
correspondants de presse ne me semble pouvoir se justifier
que par l’excès de CO2 respiré, et se traduire par l’adage
suivant : « La Russie se calcine, c'est la faute à
Poutine", "Je suis tombé par terre/C'est la faute à Voltaire.. »
Les exemples sont légions, les victimes qui intéressent nos
« amis les journalistes »
seraient donc principalement les victimes urbaines de la
canicule. Sans chiffres réels, mais en se basant sur des
« on dits », la presse Francaise n’a pas manqué de rappeler
que la mortalité pour les mois de juin et surtout juillet
devrait être plus deux fois plus élevée que la normale. Pour
ma part j’attends les chiffres officiels et ne serait pas
surpris d’une hausse de la mortalité des personnes agés,
surmortalité qui, si nous envisageons la situation d’un
point de vue statistique, « améliorera » la baisse de de la
mortalité dans les prochains mois. Je rappelle néanmoins que
cette même presse Francaise s’est fait bien plus discrète
quand au décès de 15.000 personnes en 2003 en France, et
pour voir plus large, se fait encore plus discrète quand au
fulgurant
rétablissement démographique que la Russie connait
depuis 2005.
*
L’obsession à dénoncer le « culte
du silence », « les
vieux démons » est perceptible dans nombre d’articles de
la presse soit disant spécialisée ou régionale. Si l’on lit
avec beaucoup d’attention la majorité des articles, on s’apercoit
que la propagande n’est pas la ou elle est montrée du doigt.
La « voix
du nord » a par exemple trouvé des Français de Russie,
visiblement non Russophones, qui affirment que l’ambiance de
fin du monde à Moscou était accrue car je cite « En
Russie, il n'y a pas d'infographies ni de cartes détaillées.
Le pouvoir refuse de communiquer ».
Enormité parmie les énormités, il suffit de voir la page d’acceuil
du site Yandex, ou
bien alors sur le site de l’agence
ria novosti en 9 langues pour trouver les fameuses
cartes interactives et détaillées qui « soi disant »
manquent.
Un autre exemple, le Figaro le 10 08 2010 publiait un
article signé
Yves Myserey pour nous expliquer que la vague de chaleur
qui frappait Moscou était la plus forte depuis « 1000
ans » ! Rien que ca ! Un rappel millénariste et ésotérique
effrayant, si le pigiste enfermé dans son petit bureau
Parisien n’avait pas confondu le Mexique et la Russie en
nous présentant en image pour illustrer son article des
citoyens en grands chapeaux blancs. Non il ne s’agit pas de
touristes Mexicains à Moscou, mais de ..
Grévistes de la
faim de Kabardino Balkarie qui protestent contre une loi
fédérale pour portéger leur identié locale, bref rien à voir
avec les incendies ! On ne peut que rester ébahi devant le
choix du Figaro d’illustrer la canicule à Moscou avec une
image de militants identitaires, grévistes de la faim. Quand
à une vague de chaleur « jamais vue depuis 1000 ans », une
simple recherche sur internet nous prouve le contraire,
source en Russe
la
et en anglais
ici.
Mais visiblement, au pays de la presse francaise de 2010,
on a rien à envier à la Pravda. Mauvaise foi ou
incompétence ?
*
Selon le ministère russe des Situations d'urgence, 27.724
foyers d'incendies naturels d'une superficie totale de
856.903 ha sont apparus en Russie depuis le début de
l'été, y compris 1.133 feux de tourbières sur une superficie
de 2.051 ha. En ce 19 aout 2010 les incendies ont été
réduits à a peu près
20.000 hectares. Oui la Russie aurait pu « empêcher »
une grande partie de ces incendies, mais en premier lieu via
les « citoyens » qui doivent s’approprier des comportements
écologiques, essentiels. Oui il faut que les Russes
« cessent » de laisser trainer leur déchêts lors des pic-nics,
les milliers de bouteilles en verre abandonnées ayant eu un
effet loupe, déclencheur d’un très grand nombre, si ce n’est
malheureusement sans doute de la majorité des incendies.
Non l’effondrement de popularité n’est pas arrivé, au
contraire les côtes de popularité du président et du premier
ministre
remontent passant de 53% en juin à 57% en aout pour
Dimitri Medvedev et de 61% à 64% sur la même période pour
Vladimir Poutine. Des côtes de popularité qui ferait envie à
tous les leaders Occidentaux à la sortie d’une telle crise,
quoi qu’en pensent nos « amis les journalistes » trop
habitués à écouter les « spécialistes » de Carnégie et pas
assez le peuple Russe.
Non, la Russie ne subira pas une explosion des prix qui
entrainera une révolution sociale qui entrainera la
destitution de Poutine, la crise du blé que va connaitre la
Russie n’aura que des effets
minimes, et l’embargo à le
soutien des producteurs locaux.
Non, chers amis journalistes, contrairement à ce que vous
avez pu écrire, aucune « censure » comme vous en parlez n’a
eu lien, les commentaires des gens « ulcérés » par la
situation ont été publiés, comme vous pouvez le voir
ici
ou la.
A noter d’ailleurs
l’échange publié sur internet entre un Vladimir Poutine
plein d’humour et Aleksey Venediktov, rédacteur en chef de
la radio « écho de Moscou ».
Non Poutine n’a pas passé ces 3 dernières semaines à allumer
des incendies la nuit pour les éteindre la journée en jouant
au « canadair » et afin de passer à la télévision, puisque
il a pris le sens tragique des évenements en
comparant les incendies à : « la Seconde Guerre
Mondiale, l'invasion des Petchenègues, des Cumans et des
chevaliers qui ont déchiré la Russie »
Vladimir Poutine a d’autant plus de raisons d’être concerné
par de tels évènements que en 1996 c’est
sa propre Dacha qui a brûlé. Enfin, vous avez omis
« amis journalistes Francais » de parler des
remerciements de Vladimir Poutine envers les pompiers
étrangers, notamment les sapeurs Français, surnommés « escadron
Normandie Niemen ».
Non, la centralisation politique, que vous avez sans cesse
décriée comme étant Fascisante avait des raisons d’être,
comme le rappelait
Izvestia à la lumière de ces incendies: « Скорее всего к
централизованной системе придется вернуться. Слишком дорогой
ценой дается нам победа над огнем »... Mais sans doute
faut-il un traducteur pour comprendre ce qui est écrit .. En
attendant, les reconstructions sont lancées, et les nouveaux
logements doivent être prêts avant le 1ier
novembre. La surface des habitations sera de 100m², à raison
de 30.000 roubles (750 eurs) par mètre carré (source).
Alexandre Latsa, Moscou, 18 août 2010
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