Tribune
Russie: Rapport de
forces
Alexandre
Latsa
©
Alexandre Latsa
Mercredi 8 février
2012
"Un autre
regard sur la Russie" par Alexandre
Latsa
Moscou et la Russie toute entière ont
encore connu une grande journée de
manifestations le samedi 4 février 2012.
Il était intéressant d’observer ces
manifestations et de les comparer aux
manifestations de décembre 2011. Une
première grande manifestation de
l’opposition avait eu lien le
10 décembre 2011 sur la place
Bolotnaya à Moscou, regroupant entre 35
et 45.000 personnes. Beaucoup de
manifestants contestaient les résultats
des dernières élections législatives,
mais le meeting s’était rapidement
transformé en un meeting anti-Poutine.
Le succès de cette première
manifestation a incité un certain nombre
de personnalités de l’opposition
politique, de leaders de mouvements et
d’associations mais également de membres
de la société civile (blogueurs,
journalistes) à créer un mouvement
protestataire de fond avec deux
revendications principales: annuler les
élections législatives et surtout exiger
le départ du premier ministre et
candidat à l’élection présidentielle,
Vladimir Poutine.
Dans cet élan,
le 24 décembre, une seconde grande
journée de contestation a été organisée
à Moscou et dans toute la Russie afin de
maintenir la pression et d’annoncer un
grand mouvement de protestation durant
le mois de février, destiné à faire
vaciller le pouvoir de Russie Unie, et à
forcer les autorités à tenir compte des
revendications des manifestants.
Cette seconde grande journée de
mobilisation n’aura été finalement un
succès qu’à Moscou, car le 24 décembre,
en province et même à Saint-Pétersbourg,
la mobilisation aura été
bien plus faible que le 10 décembre.
Mais à Moscou, la manifestation qui a eu
lieu sur l’avenue Sakharov a réuni sans
doute près de 50.000 personnes, soit
plus que lors de la manifestation du 10
décembre.
Encouragés par ce succès Moscovite,
les organisateurs prévoyaient déjà
l’Armageddon pour la rentrée 2012.
Ceux-ci avaient réservé les emplacements
du 10 et du 24 décembre pour la
manifestation du 04 février. Le
charismatique blogueur
nationaliste-libéral Alexey Navalny,
une des figures de ce mouvement de
contestation, avait annoncé la couleur
en
affirmant avant le rassemblement du
4 février 2012: "La prochaine fois, nous
allons faire descendre un million de
personnes dans les rues de Moscou".
Pourtant la réalité des
manifestations de samedi dernier a été
toute autre, puisque ce sont moins de
260.000 manifestants qui ont choisi de
politiser activement leur samedi 4
février dans le pays, à travers une
centaine d’événements. Cette journée du
4 février semble bien marquer le début
de la campagne électorale pour les
présidentielles.
Contrairement à certains
grands titres de la presse
Française, la province n’a pas manifesté
contre Poutine mais plutôt
pour Poutine. Faisons un tour
d’horizon des rapports de force à
travers le pays, pendant ces
manifestations du 4 février:
A Koursk, 5.000 personnes ont défilé
pour Poutine contre 7.000 à Briansk 7et
3.000 a Novgorod. Dans ces trois ville
l’opposition n’a pas pu rassembler plus
d’une 50aine de personnes. A Voronej,
12.000 manifestants ont soutenu le
pouvoir, l’opposition a rassemblé 1.000
personnes. A Tambov, 500 pour et 300
contre. A Nijni-Novgorod, 1.000
personnes ont réclamé des élections
honnêtes. Vers la Volga, à Oulianovsk
5.000 personnes ont soutenu le premier
ministre, l’opposition à elle rassemblé
prés de 300 personnes. A Penza, le
meeting pro-Poutine a rassemblé 3.000
personnes contre 300 pour l’opposition.
A Saransk, 7.000 pro-Poutine ont défilé.
Dans le centre du pays, A Kazan seuls
300 militants de l’opposition ont
défilé. A Oufa en Bachkirie, un meeting
de soutien à Vladimir Poutine a attiré
environ 5.500 personnes, contre 800 pour
celui de l’opposition. Dans l’Oural, à
Iekaterinbourg: les pro-Poutine ont
initié le mouvement un peu plus tôt
puisque le 28 janvier de 6 à 7.000
manifestants avaient manifesté leur
soutien à Vladimir Poutine. Les
opposants à Vladimir Poutine ont eux
rassemblé ce samedi 4 février près de
3.000 personnes dans la même ville. A
Tcheliabinsk, 4.000 personnes ont défilé
en soutien du pouvoir, contre 800 pour
l’opposition. A Kourgan, seuls 4.000
pro-Poutine ont défilé alors qu’à Perm
l’opposition a rassemblé 2.000
manifestants.
En Sibérie, à Novossibirsk,
l’opposition a rassemblé 1.500 personnes
contre 3.000 le 10 décembre. A Kemerovo
le meeting de soutien au pouvoir a
rassemblé 1.000 personnes contre 300
pour le meeting d’opposition. A Omsk
environ 6.000 personnes ont participé à
une manifestation de soutien à Vladimir
Poutine, alors que l’opposition a
mobilisé 2.000 personnes. A Irkoutsk,
l’opposition a rassemblé entre 300 et
400 personnes. A Kyzyl ce sont prés de
1.500 personnes qui se sont rassemblées
en soutien du premier ministre. A
Krasnoïarsk, 4.000 militants pro-
Poutine ont manifesté contre 700 pour
l’opposition.
Le sud s’est faiblement mobilisé, à
Krasnodar, 500 personnes ont défilé pour
des élections honnêtes, 800 à Samara,
300 à Saratov et 1.000 à Rostov. Rostov
ou prés de 4.000 partisans pro Poutine
ont également défilé. A Astrakhan 4.000
manifestants ont soutenu le premier
ministre, et 150 l’opposition. Enfin
dans le Caucase, seulement 500 personnes
sont descendues dans la rue, le plus
gros meeting étant celui de soutien au
premier ministre en Karachevo-Cherkessie,
qui a réuni près de 350 participants.
En Extrême-Orient, 3.500 personnes
ont défilé à Petropavlovsk Kamtchatka en
soutien de Vladimir Poutine,
l’opposition n’ayant réuni que 200
personnes. L’opposition a également
réuni 300 personnes à Khabarovsk. 50 à
Magadan et 200 à Vladivostok, alors que
600 supporters du premier ministre ont
manifesté à Birobidjan. Enfin 1.500
personnes ont manifesté en soutien du
premier ministre en république de Komi,
et plus d’un millier à Narïan-Mar la
capitale du district autonome Nénet. A
Blagoveschensk, 1.000 manifestants ont
apporté leur soutien à Vladimir Poutine,
alors que l’opposition réunissait
environ 150 personnes.
Les meetings d’oppositions étaient du
reste souvent organisés par le parti
communiste, le parti libéral-démocrate
de Vladimir Jirinovski ou le parti
d’opposition libéral Iabloko.
(Sources:
Ridus,
Kommersant,
Ria-Novosti et
Kommersant).
Mais la grande question concernait la
nature et l’importance de la
mobilisation à Moscou et
Saint-Pétersbourg. A Saint-Pétersbourg,
la
manifestation d’opposition n’a réuni
que
3.000 personnes contre 4.000 le 24
décembre dernier, et 10.000 le 10
décembre. A Moscou sur la place
Bolotnaya, là ou la manifestation du 10
décembre avait eu lieu, ce sont 50 à
60.000 personnes qui se sont
rassemblées, soit sensiblement le
même nombre que le 10 décembre dernier,
ce qui laisse penser que l’opposition
contestataire a fait le plein dans la
capitale. Sur l’avenue Sakharov, la
seconde manifestation n’a attiré que
150 personnes, sur les 30.000 qui
étaient attendues. Par contre un meeting
de soutien à Vladimir Poutine a réuni
plus de
100.000 personnes sur le mont de la
victoire (voir photos
ici et un film
la à partir de 1:10). Cette
manifestation se voulait une
manifestation conservatrice, pour un
pouvoir fort et sur le thème: "nous
avons quelque chose à perdre". Les
différents orateurs et organisateurs du
meeting (Serguey
Kourganian,
Maksim Shevshenko,
Nikolaï Starikov,
Tatyana Tarassova,
Alexandre Douguine,
Michael Leontiev...) ont insisté sur
la nécessité pour la Russie de se
préserver de la
peste orange, tout en appelant à des
élections honnêtes.
Quelles conclusions peut-on tirer de
cette journée de manifestation?
1/ Tout d’abord que l’opposition
contestataire qui défile depuis le 04
décembre ne peut plus désormais
prétendre représenter
la voix du peuple puisque de
nombreux rassemblements populaires ont
eu lieu dans de nombreuses villes du
pays, en faveur d’un Vladimir Poutine
qui vient tout juste de rentrer en
campagne présidentielle.
2/ En l’espace d’une semaine, le
front contestataire s’est totalement
fissuré. Non seulement il n’a plus le
monopole de la rue, mais il est
désormais évident que le pays réel s’est
réveillé et va faire entendre sa voix.
Les partis politiques sont mobilisés
pour la campagne présidentielle.
3/ Le front d’opposition
contestataire qui a rassemblé tant des
mouvements libéraux, nationalistes, d’ultra-gauche,
anarchistes, tiers-mondistes,
monarchistes que des membres de la
société civile n’a pas créé de mouvement
unifié. Sans programme et sans candidat,
ce front né pendant les manifestations
de décembre 2011 semble être amené a
disparaître à très court terme, surtout
lorsque certains des leaders politiques
(notamment extrémistes de gauche)
appellent
publiquement a une révolution orange
en Russie, ce que la très grande
majorité des russes ne souhaite pas.
4/ Les manifestants anti-Poutine se
seraient sans doute bien passés de
l’encombrant soutien du terroriste Dokou
Oumarov, qui a appelé a une trêve des
attentats en Russie contre les civils
russes, car ceux-ci manifestent contre
Vladimir Poutine.
5/ La société civile russe tant
décriée a montré sa capacité à se
mobiliser et à défiler sans incidents.
Pour autant, on est loin de la
mobilisation incroyable qui a accompagné
la ceinture de la vierge en décembre
dernier, et qui a mobilisé 3 millions de
russes à travers tout le pays.
6/ Mention spéciale a l'agence AP qui
a réussi a
comptabiliser 20.000 manifestants a
la manifestation
pro-Poutine, et enfin
au Parisien qui illustre la
manifestation d'opposition avec des
photos de la manifestation pro-Poutine,
ce qui a valu au journal une
pleine page dans la presse russe :)
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction.
Alexandre Latsa est
un journaliste français qui vit en
Russie et anime le site DISSONANCE,
destiné à donner un "autre regard sur la
Russie". Il collabore également avec
l'Institut de Relations Internationales
et Stratégique (IRIS), l'institut
Eurasia-Riviesta, et participe à
diverses autres publications.
Article publié sur
RIA Novosti
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