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Opinion
A quand une croisade
contre le trafic de drogue ?
Alexandre Latsa
© Alexandre Latsa
Mercredi 6 avril 2011
"Un autre regard sur la Russie" par
Alexandre Latsa
Jeudi
31 mars 2011, les forces de l'ordre ont interpellé dans les
environs de Krasnoïarsk (Sibérie) un individu qui transportait
un sac contenant 10 kg d'héroïne, pour un montant de plus de 300
millions de roubles (7,5 millions d'euros). Deux jours
auparavant,
le 29 mars, ce sont près de 82 kg d'héroïne cachés dans une
cargaison de pommes qui ont été saisis à Novossibirsk en Sibérie
occidentale.
Le
23 mars, près de Voronej, ce sont près de 10 kg d'héroïne
qui ont été saisis sur un citoyen du Tadjikistan. Ces chiffres
ne sont que l’illustration d’une semaine ordinaire de la lutte
contre le trafic de drogues en Russie. L’explosion du trafic et
de la consommation de drogue depuis les années 90 a été
tellement forte qu’aujourd’hui le pays comprendrait près de 2,5
millions de toxicomanes.
Près de 75 tonnes de drogue pénètrent chaque année en Russie,
dont près de 35 tonnes d’Afghanistan qui est le premier
producteur au monde avec plus de 80% de la production mondiale.
Près de 60% de cette production transiterait par l’Asie
occidentale et 20 % par l’Asie centrale pour rejoindre ensuite
essentiellement l’Europe et la Russie. Rien que dans la province
du Badakhchan, au nord de l'Afghanistan, plus de
500 laboratoires fabriqueraient des stupéfiants destinés au
marché russe. En 2010 environ 711 tonnes de stupéfiants en
équivalent opium ont été consommées dans les pays européens,
contre 549 tonnes en Russie. La Russie consommerait à elle seule
20% de l’héroïne produite dans le monde et plus d’un tiers de
l'héroïne afghane serait acheminée en Russie via l'Asie
centrale, notamment par le Kazakhstan, comme on peut le voir sur
cette carte. En Russie, ou la situation démographique est en
redressement fragile depuis une décennie, l’état doit faire
encore face à une surmortalité importante car bien sur, la
grande majorité des toxicomanes sont des jeunes (18 et 39 ans),
et ils sont fréquemment touchés par le Sida, ce qui réduit
d’autant leurs chances de réinsertion, mais également de survie.
Bien conscient du péril, la plupart des Russes (57%) considèrent
toujours l'alcoolisme et la toxicomanie comme les problèmes
principaux du pays, selon des
sondages du Centre d'étude de l'opinion publique russe (VTsIOM).
L’explosion de la production de l’héroïne date des années 70,
les filières ont été un temps contrôlées par les mafias
françaises (la fameuse french-connexion, qui acheminait la
drogue d’Afghanistan vers l’Amérique par la France), puis ce
sont les réseaux Asiatiques, Albanais et Turcs qui reprirent la
juteuse affaire. En 2000, après la prise du pouvoir par les
Talibans en Afghanistan, le Mollah Omar déclara que la culture
du pavot était anti-islamique et devait donc cesser.
Malheureusement, après l’intervention de l’Otan et les Talibans
une fois chassés du pouvoir (en 2002), la culture du pavot
repartit à la hausse. Dès 2006 l’Afghanistan était redevenu le
premier producteur mondial, le pavot somnifère étant cultivé par
environ 3,5 millions de paysans.
Pour cette raison, consciente du total échec de la coalition
occidentale à lutter contre ce fléau, la Russie à dès l’année
dernière participé à des opérations communes avec l’Otan pour
tenter de lutter contre ce problème dans le cadre du conseil
Russie-Otan.
Pour la seule année 2010, 1.277 opérations anti-drogue ont été
menées en Afghanistan, permettant la saisie de près de 52 tonnes
d'opium, de 7 tonnes d'héroïne, de 65 tonnes de haschisch, de
3,4 tonnes de morphine et de 180 tonnes de précurseurs
chimiques. 64 laboratoires de fabrication de stupéfiants ont été
détruits, tandis que 1.186 personnes suspectées de trafic de
drogue, dont dix étrangers, ont été arrêtées. En Russie, plus
120.000 personnes ont été traduites en justice pour des délits
liés à la drogue pour la seule année 2010. Le trafic de drogue
afghane est en outre l’une des méthodes de financement du
terrorisme dans le Caucase du nord. Pour cette raison, lors
du forum international antidrogue de juin dernier à Moscou, le
ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov à appelé à ce
que la drogue afghane soit qualifiée par le Conseil de sécurité
de l'ONU comme une menace à la sécurité et à la paix.
D'après les experts, ces dix dernières années, les
stupéfiants afghans ont causé la mort de plus d'un million de
personnes dans le monde. Selon le ministre Russe de l’intérieur
Rachid Nourgaliev, la drogue ces dernières années tue en moyenne
30.000 russes chaque année, et ce sont près de 70.000 décès
chaque année qui sont lés à la consommation de stupéfiants soit
près de 200 chaque jour. Il est difficile de se rendre compte de
l’importance de ces chiffres, mais on peut faire une comparaison
en disant qu’il s’agit chaque jour de l’équivalent en nombre de
victimes de 6 attentats comme celui de Domodedovo de janvier
dernier. Début mars 2011, le directeur de l'Institut de
recherches politiques, Sergueï Markov a rappelé la volonté de la
Russie de totalement détruire l’agriculture de la drogue en
Afghanistan. Pour autant, jusqu’à ce jour, on doit constater que
seuls les Talibans, quand ils étaient au pouvoir, ont su
réellement freiner la production de pavot dans le pays.
D’après l’OMS (l’Organisation mondiale de la santé), le
trafic de stupéfiant est le troisième commerce en importance
dans le monde derrière le pétrole et l’alimentation, mais avant
le commerce des armes et des médicaments. C’est un réseau
mafieux international qui continue à se développer, et
l’importance des sommes en jeu favorise la corruption à tous les
niveaux. Peu à peu, les états prennent conscience que la
cocaïne d’Amérique latine, l’héroïne d’Afghanistan et le
cannabis du Maroc et de l’Asie centrale constituent une menace
globale. Il y a les conséquences sur la santé publique, sur la
démographie, sur la criminalité dans chaque pays, et aussi le
risque de voir des mouvements terroristes se financer en faisant
du trafic de drogue.
Cette prise de conscience incite les états à de nouvelles
collaborations internationales dans l’intérêt commun. Dans le
cadre du conseil de l’Europe dont la Russie est membre depuis
1999, pendant les réunions du conseil Russie-OTAN, aussi bien
que devant l’assemblée générale de l’ONU, la lutte contre le
trafic de stupéfiants est devenu un sujet majeur. Une guerre
totale serait peut être la seule croisade juste.
Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur
français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le
blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la
Russie".
Article publié sur RIA Novosti
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