Tribune
La guerre des
grands ensembles, de Kiev à Erevan
Alexandre Latsa
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Alexandre Latsa
Mercredi 25 septembre 2013
Source:
RIA Novosti
Les dernières semaines ont laissé
apparaître quelques grandes tendances
concernant les choix politiques des
élites de deux pays: l’Ukraine et
l’Arménie.
Au début du mois dernier les élites
arméniennes ont en effet annoncé que le
président du pays avait
accepté que son pays rejoigne
l'Union douanière, actuellement composée
de la Russie, de la Biélorussie et du
Kazakhstan afin de contribuer, en tant
qu’état, à la formation d’une union
économique eurasiatique. Ce choix
eurasiatique, annoncé par le président
arménien à Moscou, est du reste conforme
au choix des citoyens Arméniens qui
seraient près de
67% à être favorables à l’adhésion
de leur pays à l’Union Eurasiatique.
Aussitôt, l’UE a réagi avec beaucoup de
fermeté par le biais du ministre
lituanien des Affaires étrangères Linas
Linkevicius qui a affirmé que: "Si
l'Arménie décide de rejoindre l'Union
douanière, cela veut dire qu'elle ne
pourra pas signer d'accords de libre
échange avec l'Union européenne" et
qu’on ne pouvait "faire partie des deux
organisations en même temps".
L’Ukraine, quand à elle, semble être
pour l’instant sur le chemin de
poursuivre son intégration vers l’Ouest
et l’Europe. Le gouvernement ukrainien a
en effet approuvé mercredi 18 septembre
et à l’unanimité un projet d'accord
d'association avec l'Union Européenne.
Le président Ukrainien, souvent vu comme
le candidat russophile après sa victoire
contre la candidate orange aux dernières
élections présidentielles, ne s’avère
pas si pro-russe que beaucoup l’ont
pensé. Il est aussi visiblement sorti de
la position équilibrée qui était la
sienne, lui qui souhaitait transformer
l’Ukraine en une sorte de pont entre
l’Union Européenne et l’Union Douanière.
Moscou a aussi réagi avec fermeté en
affirmant par la voix de son premier
ministre Dimitri Medvedev que: "La
signature de l'accord d'association
entre l'UE et l'Ukraine fermera à Kiev
l'entrée dans l'Union douanière".
Ces décisions surviennent alors que
l’UE mène actuellement, dans le cadre de
son
partenariat oriental, des
négociations lancées en mai 2009 lors du
sommet européen de Prague. Elles sont
destinées à opérer un fort rapprochement
politique et économique avec six
républiques ex-soviétiques (l'Arménie,
l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la
Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine) dans
le but évident a terme de préparer leur
intégration à l’UE. Mais ces
négociations interviennent également
dans le cadre plus large de la féroce
lutte d’influence entre l’UE et la
Russie au cœur du continent européen.
L’Ukraine fait face à une situation
complexe
puisque si 38 % de ses exportations
vont vers l'Union douanière et 30 % vers
l'Union européenne, près d’un ukrainien
sur deux soutient l’entrée de son pays
dans l’UE, contre seulement 30%
souhaitant l’entrée dans l’Union
douanière. J’avais démontré dans une
précédente
tribune comment les élites
politiques peuvent mener des politiques
stratégiquement contraires à leurs
programmes ou aux souhaits de leurs
électeurs. L’exemple du président Serbe
Tomislav Nikolic qui se rapproche de
l'UE a visiblement fait tache d’huile,
et le président Ianoukovich apparaît de
plus en plus comme une sorte de Nikolic
Ukrainien, en autorisant la réalisation
d’objectifs stratégiques qui semblaient
plutôt être dans le programme de ses
opposants politiques.
Dans ces deux pays, pouvoir et
opposition semblent souvent, comme dans
les pays occidentaux, d’accord sur le
principal.
Le choix de l’élite Ukrainienne
semble s’inscrire dans une logique
simple: le bradage de sa souveraineté
pour garder son indépendance. Mais de
quelle indépendance parle-t-on? Il
semble évident que les industries
ukrainiennes ne devraient pas pouvoir
concurrencer les industries allemandes,
italiennes, tchèques ou polonaises.
L’accord de libre échange avec l’UE
devrait donc entrainer en Ukraine une
hausse des importations en provenance de
l'UE, une baisse des exportations vers
la Russie (via la prise de mesures de
protection par l'Union douanière) et
aussi creuser la dette publique
nationale qui est déjà
extrêmement
élevée. On envisage du reste assez
mal comment une Union Européenne en
crise pourrait aider l'Ukraine à
compenser le
manque à gagner que devrait créer
cette adhésion.
Pour la Russie le dilemme ukrainien
se fait de nouveau sentir. En 2006,
décision avait été prise de neutraliser
l’Ukraine sur le plan énergétique afin
que les coupures d’approvisionnement de
gaz vers l'Europe ne se reproduisent
plus et que la Russie conserve son image
de fournisseur fiable. Un ambitieux
chantier avait été alors lancé, visant à
contourner l'Ukraine via deux
gigantesques gazoducs:
North-Stream, inauguré en 2011, et
South-Stream, en construction. Cette
nouvelle architecture énergétique
continentale a cependant eu ses effets
pervers et sans doute poussé l’Ukraine à
tenter de moins dépendre de la Russie
notamment grâce à des projets de
collaboration énergétique avec la
Turquie ou l’Azerbaïdjan et en espérant
le développement des gaz de schiste.
Pour l’analyste
Alan Riley, en privant l'Ukraine de
ses précieuses recettes de transit, le
Kremlin aurait peut être même
involontairement incité Kiev à se
rapprocher de l'Europe.
L’Ukraine est donc devenue l’enjeu
principal de cet affrontement direct
entre les deux pôles géostratégiques que
sont le bloc Euro-occidental
Américano-centré et le bloc Eurasiatique
Russo-centré.
Pour l’UE il s’agit clairement de
s’imposer dans l’ancien monde soviétique
et jusqu’aux frontières de la Russie,
afin de poursuivre l’extension du
dispositif occidental sous tous ses
aspects (économiques comme militaires)
tout en repoussant ainsi symboliquement
l’Union Douanière vers l’Asie et
l’orient. La Russie sait, pour sa part,
que l’Ukraine est une pièce plus
stratégique qu’économique, fondamentale
dans le dispositif eurasiatique en
élaboration. Une intégration de ce pays
à l’Union Douanière permettrait
clairement à la Russie de prendre pied à
l’Ouest et d’afficher clairement la
vocation également euro-continentale de
l’Union Eurasiatique, montrant ainsi
l’exemple à des pays comme la
Moldavie ou la Serbie.
A l’ouest comme a l’est, l’enjeu est
de taille.
Alexandre Latsa est un journaliste
français qui vit en Russie et anime le
site DISSONANCE, destiné à donner un
"autre regard sur la Russie".
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RIA Novosti
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