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Etats-Unis, changement ou continuité ?
Alain Gresh
Alain Gresh
Mercredi 26 mai 2010 « L’Occident tend à voir le
Moyen-Orient comme une région figée dans le temps, coincée entre
régimes autoritaires archaïques et mouvements islamiques
rétrogrades, enfermée dans un conflit immémorial et cyclique.
Mais c’est là le reflet d’une rigidité des perceptions
occidentales, concernant une région qui fluctue beaucoup plus
vite que l’idée que l’on s’en fait. »
Seize mois après la prise de fonction de Barack Obama, Robert
Malley et Peter Harling, deux responsables de l’International
Crisis Group, dressent un constat peu optimiste des visions
occidentales de l’Orient, dans un article publié par LeMonde.fr
(24 mai 2010), « Nouvelle
donne au Moyen-Orient ».
Ce texte paraît au moment même où Washington annonce que,
désormais, plus de soldats américains sont déployés en
Afghanistan qu’en Irak. Une page se tourne ainsi, mais une
autre, tout aussi noire, s’ouvre. Le président Obama n’a jamais
caché que l’Afghanistan représentait pour lui la
« bonne guerre ». Pourtant, à la différence de la période du
président Bush, l’administration américaine ne cache ni les
difficultés qu’elle rencontre, ni les doutes sur son allié le
président Hamid Karzaï, même si ce dernier a finalement été reçu
en mai à la Maison Blanche,
en dépit des multiples fraudes lors de son élection.
Pour l’instant, la politique des Etats-Unis ne semble pas
s’infléchir de manière sensible. Les Etats-Unis préparent une
grande offensive militaire à Kandahar, fief des talibans, dont
on sait pourtant qu’elle sera un échec. Le New York Times
(24 mai) a révélé que les Etats-Unis ont étendu les opérations
spéciales au Proche-Orient (Mark Mazzetti, « U.S.
Is Said to Expand Secret Actions in Mideast »). La directive
signée en septembre 2009 par le général David Petraeus, chef du
Centcom, autorise l’armée à mener des actions secrètes aussi
bien dans des pays amis qu’ennemis. Ce texte étend le champ
d’application de ces interventions déjà décidées par
l’administration Bush. Il permettrait notamment une intervention
plus active à l’intérieur même de l’Iran dont le but pourrait
être de glaner des informations dans le cas d’une intervention
militaire.
Dans un article publié dans l’hebdomadaire américain The
Nation (25 mai), « General
Petraeus’s Secret Ops », Robert Dreyfuss (qui se félicite
que le New York Times ait eu le courage de publier une
telle enquête – et l’on ne peut que l’approuver quand on lit la
presse française) appelle le président Obama à se débarrasser de
Petraeus et du commandant de l’ISAF en Afghanistan, le général
McChrystal, qui, selon lui, ont fait preuve à plusieurs reprises
d’insubordination, et tentent de lui forcer la main.
Comme le précisent Malley et Harling, les Etats-Unis (et
l’Occident) restent prisonniers d’une vision binaire imposée par
le président George W. Bush et par le concept de « guerre contre
le terrorisme ».
« Aujourd’hui, la vision occidentale dominante, qui scinde
la région en deux camps – modérés qu’il faut soutenir et
militants qu’il s’agit d’endiguer –, est à la fois paradoxale et
décalée des réalités. Elle s’inscrit dans le prolongement d’une
administration Bush manichéenne que le monde s’accorde par
ailleurs à condamner. Elle présuppose l’existence d’un projet
occidental convaincant, susceptible de rallier les modérés et de
leur conférer des arguments, alors même que la crédibilité des
Etats-Unis et de l’Europe est à son nadir. »
« Enfin, elle conçoit comme naturelle et immuable une
division qui n’est que le produit des profonds changements qui
ont affecté la région depuis la fin des années 1990, et qui
n’ont eux-mêmes rien de permanent. » (...)
« Le manichéisme de Washington, sommant les acteurs locaux
de choisir résolument leur camp, a eu pour autre conséquence
d’enfermer ses alliés dans une relation aussi exclusive
qu’inconfortable, tout en renforçant l’axe opposé. L’iniquité
des Etats-Unis dans les perceptions populaires donnait force aux
pôles de “résistance”, notamment l’Iran, la Syrie, le Hezbollah
et le Hamas. Une logique de confrontation systématique venait
ressouder les relations souvent ambivalentes que ces acteurs
entretiennent entre eux. » (...)
(...) « Le paradigme modérés-militants inspire toujours,
pour l’essentiel, les politiques poursuivies par l’Occident. Or
cette ligne de fracture entre, d’un côté, les acteurs qui
partagent nos valeurs et nos intérêts, et, de l’autre, ceux qui
les combattent par principe, fait peu de cas de la réalité. »
Sur chacune des trois crises qui ébranlent l’Orient, la ligne
de fracture arabo-perse, la Palestine et le Liban, il est
difficile d’expliquer pourquoi se retrouveraient, dans un même
camp occidental, Israël, les milices chrétiennes libanaises,
l’Arabie saoudite salafiste et le Fatah. Des deux pays, Syrie et
Arabie saoudite, lequel est le plus « laïc » ?
Le texte se termine par une interrogation justifiée sur
l’Europe et son rôle (ou, faudrait-il dire, sur son absence de
rôle).
« Pour les Européens, qui semblent toujours attendre un
changement plus profond à Washington, il est grand temps
d’ouvrir la voie et d’exploiter leurs marges de manœuvre
spécifiques, dans une partie du monde dont ils sont beaucoup
plus proches et dont ils absorbent quantité de ressources et
d’immigrants. Ce que l’Europe semble se refuser à comprendre,
tant elle se complaît dans son rôle d’auxiliaire amer des
Etats-Unis, c’est que son suivisme mine sa crédibilité au
Moyen-Orient tout autant que les péchés originaux de Washington
atteignent celle de l’Amérique. »
Les analyses d'Alain
Gresh
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