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Les blogs du Diplo
Shalit, Hamouri, Bernard-Henri Lévy et les
intellectuels mercenaires
Alain Gresh
Alain Gresh
Jeudi 24 juin 2010 Faut-il tirer sur les ambulances ? Le flop
des deux derniers opus de notre philosophe national, malgré une
campagne de soutien médiatique, l’appui complaisant du grand
quotidien du soir, les mille et une excuses trouvées pour
justifier la manière dont il a repris les oeuvres d’un
philosophe inventé de toutes pièces, indiquent que Bernard-Henri
Lévy glisse déjà inéluctablement vers les bas-fonds de l’oubli.
Et pourtant, il ne faut pas être injuste. L’homme a un vrai
talent. Celui de condenser, en peu de pages, l’ensemble des
mensonges, des semi-vérités et des contre-vérités sur le conflit
israélo-palestinien. Il restera comme celui qui
a déclaré, à la veille de la tuerie de neuf humanitaires de la
flottille de la paix par l’armée israélienne : « Je n’ai
jamais vu une armée aussi démocratique, qui se pose tellement de
questions morales. » Chacun de ses textes mériterait une
étude approfondie pour mettre en lumière les nouveaux visages de
la propagande. Et on peut espérer que les écoles de journalisme
mettront à l’étude ses textes pour décortiquer le mensonge
ordinaire proféré sous l’habillage de la philosophie, des droits
humains et même, dans son dernier texte, de l’ancien Testament.
Publié par Le Point du 24 juin, cet article s’intitule
« Trois
questions (et réponses) concernant le soldat Shalit ». Le
25 juin, cela fera quatre ans que le soldat franco-israélien
Guilad Shalit a été capturé par le Hamas et plusieurs
manifestations de soutien se préparent ou se sont déjà
déroulées.
Pourquoi tant d’intérêt pour ce soldat, s’interroge
Bernard-Henri Lévy ? Parce que, justement, il n’est pas un
prisonnier comme les autres. Pourquoi ?
« Car il y a des conventions internationales, déjà, qui
régissent le statut des prisonniers de guerre et le seul fait
que celui-ci soit au secret depuis quatre ans, le fait que la
Croix-Rouge, qui rend régulièrement visite aux Palestiniens dans
les prisons israéliennes, n’ait jamais pu avoir accès à lui, est
une violation flagrante du droit de la guerre. »
Lévy a raison, il est anormal que la Croix-Rouge n’ait pas
accès au prisonnier, c’est une violation du droit de la guerre.
Mais comment sont traité les prisonniers palestiniens dans les
prisons israéliennes ?
Correspondant du Monde en Israël, Benjamin Barthe
écrit le 18 juin, sur le site Médiapart (sur le blog de Pierre
Puchot, qui n’est pas en accès libre) :
« Depuis juin 2007, les familles des 1000 Gazawis
emprisonnés en Israël sont privées de droit de visite. » Et
il ajoute : « L’ignorance à ce sujet est telle que le conseil
des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne
réunis le 14 juin dernier a enjoint au Hamas de laisser le CICR
visiter Shalit sans mentionner le cas des Palestiniens.
Précision : la décision israélienne n’a pas été prise en
représailles au traitement réservé à Shalit. C’est une « mesure
de sécurité » dixit la cour suprême en décembre 2009. »
Ignorance, écrit Barthe. Il a bien sûr raison, mais cette
ignorance reflète le fait que jamais, dans la pensée coloniale,
un Blanc n’équivaut à un basané. Le Blanc a toujours un visage,
une famille, une identité ; le basané est sans visage, regroupé
dans un collectif anonyme.
Mais Shalit a une autre caractéristique selon Lévy :
« Mais, surtout, surtout, il ne faut pas se lasser de
répéter ceci : Shalit n’a pas été capturé dans le feu d’une
bataille mais au cours d’un raid, opéré en Israël et alors
qu’Israël, ayant évacué Gaza, était en paix avec son voisin ;
dire prisonnier de guerre, en d’autres termes, c’est estimer que
le fait qu’Israël occupe un territoire ou qu’il mette un terme à
cette occupation ne change rien à la haine qu’on croit devoir
lui vouer ; c’est accepter l’idée selon laquelle Israël est en
guerre même quand il est en paix ou qu’il faut faire la guerre à
Israël parce que Israël est Israël ; et si l’on n’accepte pas
cela, si l’on refuse cette logique qui est la logique même du
Hamas et qui, si les mots ont un sens, est une logique de guerre
totale, alors il faut commencer par changer complètement de
rhétorique et de lexique. Shalit n’est pas un prisonnier de
guerre mais un otage. Son sort est symétrique de celui, non d’un
prisonnier palestinien, mais d’un kidnappé contre rançon. Et il
faut le défendre, donc, comme on défend les otages des FARC, des
Libyens, des Iraniens – il faut le défendre avec la même énergie
que, mettons, Clotilde Reiss ou Ingrid Betancourt. »
Vous avez bien lu, Israël était en paix avec son voisin après
son évacuation de ce territoire en 2005. Ce que Lévy oublie
c’est qu’Israël contrôlait « seulement » les frontières
maritimes (empêchant même les pécheurs d’aller en haute mer),
les frontières aériennes et les frontières terrestres (à
l’exception de celle avec l’Egypte). Ce qui a amené les
Nations unies à déclarer que Gaza restait un territoire occupé.
Le blocus auquel ce territoire est soumis en est une preuve
supplémentaire.
L’Egypte porte-t-elle une responsabilité dans ce blocus ?
Bien sûr répond Christophe Ayad dans « Si
BHL était allé à Gaza… », Libération (23 juin), dans une
réponse à la tribune de ce dernier publiée par le quotidien le
7 juin (« Pourquoi
je défends Israël », accompagnée d’un commentaire
complaisant de Laurent Joffrin).
« L’Egypte, note BHL, est “coresponsable” du blocus de
Gaza. Il n’ignore pas que les dirigeants égyptiens sont
aujourd’hui illégitimes aux yeux de leur propre population. Mais
à cette dictature-là, jamais il ne songe à reprocher quoi que ce
soit. Seul est fustigé “le gang d’islamistes qui a pris le
pouvoir par la force il y a trois ans”. Faut-il rappeler à
Bernard-Henri Lévy que le Hamas avait remporté, en 2006, des
élections unanimement considérées comme les plus transparentes
et pluralistes du monde arabe ? »
Revenons à Lévy et à Shalit, « cet homme au visage
d’enfant qui incarne, bien malgré lui, la violence sans fin du
Hamas ; l’impensé exterminateur de ceux qui le soutiennent ; le
cynisme de ces “humanitaires” qui, comme sur la flottille de
Free Gaza, ont refusé de se charger d’une lettre de sa famille ;
ou encore ce deux poids et deux mesures qui fait qu’il ne jouit
pas du même capital de sympathie que, justement, une Betancourt.
Un Franco-Israélien vaut-il moins qu’une Franco-Colombienne ?
Est-ce le signifiant Israël qui suffit à le dégrader ? D’où
vient, pour être précis, qu’il n’ait pas vu son portrait
accroché, à côté de celui de l’héroïque Colombienne, sur la
façade de l’Hôtel de Ville de Paris ? Et comment expliquer que,
dans le parc du 12e arrondissement où il a fini par être exposé,
il soit si régulièrement, et impunément, vandalisé ? Shalit, le
symbole. Shalit, comme un miroir ».
Mais alors,
le Franco-Palestinien Hamouri, ne devrait-il pas jouir de la
sympathie des autorités et de Lévy ? N’est-il pas emprisonné
depuis mars 2005, depuis plus longtemps que Shalit ? Mais peu de
gens se préoccupent de son sort, et surtout pas Lévy. Depuis que
le comédien François Cluzet a évoqué son cas en novembre 2009
devant un Jean-François Copé qui ne savait même pas qui était
Hamouri, le silence est retombé.
Et là aussi, on vérifie le deux poids deux mesures, mais pas
celui dont parle Lévy. Un Franco-israélien est un Blanc, il
mérite notre sympathie ; un Franco-palestinien, dans le fond, ce
n’est qu’un Arabe... En avril 2010, un citoyen
franco-palestinien est mort d’une crise cardiaque à la frontière
entre Gaza et Israël après avoir été retenu plusieurs heures par
les autorités israéliennes qui, selon Lévy, ne sont pas en
guerre contre Gaza. En avez-vous entendu parler ?
Paris a, paraît-il, demandé que toute la lumière soit faite sur
ce décès. On attend toujours, comme on attend toujours les
mesures françaises contre les nombreuses violations du droit du
personnel diplomatique français en Israël ou contre
l’utilisation par le Mossad de passeports français pour
l’assassinat d’un dirigeant du Hamas dans les Emirats arabes
unis.
Une dernière question, qu’il faut poser sans relâche aux
autorités françaises : des soldats disposant d’un passeport
français ont-il le droit de servir dans une armée d’occupation,
dans des territoires que la communauté internationale et la
France considèrent comme des territoires occupés ?
L’article de Lévy se termine par un hommage à la position
morale d’Israël qui, pour sauver ses soldats, est prêt à les
échanger contre des « assassins potentiels »,
c’est-à-dire des combattants palestiniens ou libanais.
« En 1982 déjà, Israël relâchait 4 700 combattants retenus
dans le camp Ansar, en échange de 8 de ses soldats. En 1985, il
en remettait dans la nature 1 150 (dont le futur fondateur du
Hamas, Ahmed Yassine) pour prix de 3 des siens. Sans parler des
corps, juste des corps, d’Eldad Regev et Ehoud Goldwasser, tués
au début de la dernière guerre du Liban, qui furent troqués, en
2008, contre plusieurs leaders du Hezbollah dont certains très
lourdement condamnés ! »
Rappelons que les combattants arrêtés en 1982 étaient des
membres de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et
des Libanais qui s’étaient opposés à l’invasion de leur pays par
les chars du général Ariel Sharon, invasion qui fit des dizaines
de milliers de victimes civiles et déboucha sur les massacres de
Sabra et Chatila. Doit-on comprendre des propos de Bernard-Henri
Lévy qu’Israël menait, à l’époque aussi, une guerre juste ?
Et quand il évoque des personnes lourdement condamnées par la
justice israélienne, que croit-il prouver ? Marwan Barghouti,
comme plusieurs autres milliers de Palestiniens ont été aussi
condamnés par une justice israélienne aussi « aux ordres » que
l’était la justice française du temps de la guerre d’Algérie.
Il y a 70 ans, en 1937, des journalistes et des intellectuels
expliquaient que la ville basque de Guernica n’avait pas été
détruite par l’aviation nazie mais par les républicains
espagnols eux-mêmes. Bernard-Henri Lévy durant la guerre contre
Gaza de décembre 2008-janvier 2009
paradait sur un char israélien pour prétendre que les
destructions étaient moins graves que ce que l’on prétendait. Il
réécrit désormais l’histoire et affirme que, contrairement à ce
que clamaient des centaines de milliers d’Israéliens en 1982, la
guerre du Liban était une guerre juste et que les combattants
qui s’opposaient à cette invasion étaient des terroristes.
Paraphrasant Voltaire sur les mercenaires, on pourrait écrire
de lui : « Dieu nous préserve de penser que vous sacrifiez la
vérité à un vil intérêt ; que vous êtes du nombre de ces
malheureux mercenaires qui combattent par des arguments, pour
assurer et pour faire respecter les puissants de ce monde. »
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