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Areva, Armand Laferrère et Israël
Alain Gresh
22 juillet 2008
Dans le numéro spécial de Commentaire (printemps 2008)
paru à l’occasion du trentième anniversaire de la revue, Armand
Laferrère, présenté comme Conseiller référendaire à la Cour des
comptes et président d’Areva Canada, propose un article sur
Israël que chacun devrait lire. Il condense tous les préjugés
pro-israéliens et anti-palestiniens que l’on peut imaginer. Et
quelques mensonges à l’appui...
Nous apprenons que le passage d’Israël à un rythme structurel
de croissance rapide « a eu lieu au milieu d’une guerrre. il
date de 2003, alors que l’Arafada (la guerre terroriste lancée
en 2000 par Yasser Arafat sous le nom d’ “Intifada al Aqsa” ou
de “deuxième Intifada”) faisait encore rage ». M. Laferrère
ignore les déclarations des chefs des service de renseignement
israéliens affirmant qu’Arafat n’a pas déclenché l’Intifada, ou
le fait que le bilan du premier mois de l’Intifada se chiffre en
centaines de victimes palestiniennes contre quelques victimes
israéliennes – un déséquilibre difficile à comprendre si la
stratégie d’Arafat avait été planifiée (rappelons que les
premiers attentats-suicides datent d’après la victoire aux
élections législatives de M. Ariel Sharon, le 6 février 2000).
Comme l’auteur l’écrit plus loin, « l’Arafada a été
clairement gagnée par Israël : 15 victimes du terrorisme en
Israël en 2007 contre 451 en 2002 ». Effectivement... Mais
Laferrère ne parle pas des morts palestiniens ; sans doute que
le bilan de plus de 4 000 tués ne l’intéresse pas. Les
Palestiniens sont-ils des êtres humains ?
Une des raisons de cette victoire israélienne est la barrière
de sécurité. Cette barrière de sécurité « érigée depuis 2002
avait fait l’objet en son temps d’une campagne internationale de
condamnation dont le ton strident paraît, face aux vies sauvées,
bien indécent ». Cette campagne « indécente », rappelons-le,
avait été entérinée par la Cour internationale de justice dans
un jugement de 2004. Mais Israël n’est-il pas au-dessus du
droit ? Et cette barrière de sécurité, dont la longueur finale
sera deux fois celle de la ligne frontière entre Israël et les
territoires palestiniens, nécessite l’annexion de 10% de la
Cisjordanie. Pourquoi fatiguer les lecteurs avec de tels
détails ? Les paysans palestiniens coupés de leurs champs
sont-ils des êtres humains ?
L’auteur ne s’intéresse qu’aux menaces qui pèsent sur Israël,
petit Etat entouré de méchants ennemis. Vu du Liban, ces
remarques apparaissent dérisoires... Il suffit d’avoir visité le
sud du Liban, parlé avec ses habitants, chassés de chez eux à
plusieurs reprises (1978, 1982, 1996, 2006) par les invasions et
les bombardements israéliens, écouté leurs histoire, vu les
dizaines de personnes mutilées par les bombes à fragmentation
lancées par Israël le dernier jour du conflit de 2006 et qui ne
frappaient que des civils.... Mais les paysans libanais sont-ils
des êtres humains ?
Et quand Laferrère explique que la prise du pouvoir à
Beyrouth est la grande préoccupation du Hezbollah, on peut
mesurer son abyssale ignorance. Le Hezbollah a tous les moyens
miliaires pour s’emparer du pouvoir, il l’a montré en mai
dernier à Beyrouth. Mais il ne le souhaite pas. Dans le nouveau
gouvernement libanais d’union nationale, il s’est contenté d’un
ministère...
Bien que la France, selon l’auteur, ait adopté une position
plus ferme à l’égard de l’Iran, ce dont il se félicite, elle
doit, « si elle tient à son honneur, s’interroger sur la
manière dont la question d’Israël est présentée dans ses médias
et sa société ». Laferrère reproche d’abord aux médias de ne
pas désigner les auteurs d’attentats en Israël par leur nom, des
terroristes. Je ne pense pas qu’il aurait désigné Menahem Begin,
Itzhak Shamir ou leurs collègues, dans les années 1940, par ce
terme-là. Mais, il faut le reconnaître, ce ne sont pas des
Arabes. Et quant à la violence d’Etat israélienne, elle est
évidemment « démocratique ». Le caractère démocratique d’une
bombe lancée par un F-15 sur le sud du Liban ou sur un camp
palestinien peut ne pas être perçu par ceux qui la reçoivent,
mais ce ne sont que des Arabes....
Et, évidemment, on revient à
l’affaire al-Dura. La presse, paraît-il, « refuse tout
débat » au sujet de l’enfant tué par des balles israéliennes
aux premiers jours de l’Intifada. Sans doute Armand Laferrère,
qui pantoufle au Canada, ne lit-il pas la presse française, et
on peut lui pardonner son ignorance. Mais ce qu’il ne supporte
pas dans cette affaire, c’est ce que l’image symbolise : une
armée israélienne qui tire sur des enfants. Rappelons-lui
quelques faits : entre le début de l’Intifada et juin 2002,
116 mineurs ont été tués à Gaza et 253 en Cisjordanie, selon la
journaliste israélienne Amira Hass. Et Le Monde du
24 novembre 2000 nous rapportait cet entretien avec un soldat
israélien : « Vous ne tirez pas sur un enfant qui a 12 ans ou
moins. Au-dessus de 12 ans, c’est autorisé. » Mais les
enfants palestiniens sont-ils des enfants ?
Durant la guerre d’Algérie, des intellectuels français se
mobilisaient pour défendre l’honneur de l’armée terni par ces
traîtres qui dénonçaient les tortures. Au moins, on sait dans
quel camp Armand Laferrère aurait été dans ces années-là...
Terminons par deux questions.
La note signature explique que l’auteur est Conseiller
référendaire à la cour des comptes : n’est-il pas tenu au devoir
de réserve ?
Elle signale aussi qu’il est président d’Areva Canada. Dans
quelle mesure Areva Canada est-il engagé par ses propos ?
Et une précision sur sa biographie. De 2002 à 2004, il a été
conseiller personnel de Nicolas Sarkozy (alors ministre français
de l’Intérieur), et responsable du budget du ministère et des
réformes de la fonction publique.
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