Carnets du diplo
Que
s'est-il passé à Gaza ?
Alain Gresh
14 novembre 2007
Que s’est-il passé à Gaza lors de
l’anniversaire de la mort de Yasser Arafat ? A écouter la
radio le 14 novembre, à lire la presse, la cause est entendue :
les « méchants » islamistes ont tiré sur les
« gentils » manifestants du Fatah qui défilaient
pacifiquement.
Sakher Abou El-Oun écrit dans une dépêche de l’AFP du 12
novembre :
« Les heurts ont éclaté alors que des centaines de
milliers de Palestiniens se dispersaient à la fin du
rassemblement organisé par le Fatah, le parti du président
Mahmoud Abbas, pour commémorer la mort il y a trois ans du chef
historique des Palestiniens. Des miliciens en civil ou en uniforme
du Hamas, qui a pris le pouvoir par la force en juin à Gaza, ont
ouvert le feu sur les manifestants, dont certains scandaient des
slogans contre le mouvement islamiste et lançaient des pierres
sur sa police, selon des témoins. »
« "Assassins, chiites", criaient les
manifestants, en allusion au soutien apporté par l’Iran chiite
au Hamas. Six Palestiniens ont été tués par les tirs et 130
autres blessés, dont des femmes et des enfants, ont indiqué des
sources médicales. Un septième, âgé de 65 ans, qui participait
à la manifestation est décédé à l’hôpital. Des images de télévision
ont montré des hommes armés du Hamas ouvrir le feu sur des
manifestants qui fuyaient ou d’autres rouant un jeune homme de
coups de matraque. »
On peut souligner que Le Figaro, Le Monde et Libération
reprennent en titre cette information rendant le Hamas
responsable. Pourtant, à lire les articles, on mesure que la réalité
est bien plus complexe que celle que mettent en scène les titres.
Ainsi, Libération du 14 novembre publie un article de
Delphine Matthieussent, titré « Le Hamas tire sur la foule ».
Mais si on prend le soin de lire l’article, il y est écrit :
« Des policiers et des hommes armés du Hamas ont ouvert
le feu sur les manifestants, selon les responsables du Fatah, le
parti du président Mahmoud Abbas. Le Hamas affirme quant à lui
que ses membres ont été pris à parti par des hommes armés du
Fatah et ont répliqué. » (notons que, dans la presse,
les titres des articles ne sont pas faits par les journalistes qui
écrivent les articles).
Le Monde daté du 14 novembre titre en première page,
« Le Hamas fait tirer sur un meeting à la mémoire d’Arafat ».
Pourtant, l’article du correspondant à Jérusalem du quotidien
du soir, Michel Bôle-Richard, lui aussi titré « A
Gaza, le Hamas tire sur le Fatah qui célébrait de Yasser Arafat »,
est beaucoup plus prudent :
« Les heurts se sont produits à la fin du
rassemblement sans que l’on en sache véritablement l’origine.
Des groupes de manifestants auraient commencé à lancer des
pierres sur les forces de l’ordre qui n’ont pas hésité à répliquer
à balles réelles, poursuivant même les protestataires dans les
rues, en lâchant des rafales de kalachnikov. Le Hamas a mis en
cause des francs-tireurs du Fatah qui se seraient postés sur les
toits pour tirer sur les membres de la Force exécutive. Sami Abou
Zhouri. »
Une intéressante analyse en anglais, datée du 12 novembre et
signée Tony Sayegh, « The
Yellow "Revolution of Mahmoud Abbas and Mohammad Dahlan »
donne un autre son de cloche. L’auteur explique que l’Autorité
palestinienne avait envoyé 45 000 drapeaux jaune à Gaza pour préparer
la manifestation (les drapeaux jaunes sont ceux de cette
organisation). Ils étaient chargés dans des camions censés
apporter de la nourriture à la population affamée, mais, à
l’inspection, il s’avéra qu’ils transportaient ce matériel
de propagande. Le Hamas ne s’opposa pas à l’arrivée de cette
nourriture très particulière. Tony Sayegh explique, par
ailleurs, que le Fatah n’avait pas organisé une telle
manifestation à l’occasion du premier ou du deuxième
anniversaire de la mort d’Arafat ; il souligne aussi que
cette manifestation a été bien plus importante que celles que le
Fatah a organisé en Cisjordanie.
Il poursuit en expliquant que le Hamas a autorisé la
manifestation à Gaza alors que le Fatah a réprimé toutes les
tentatives du Hamas de manifester en Cisjordanie. Le correspondant
de l’AFP affirme que la manifestation s’est déroulée
pacifiquement, mais que, à la fin, ce sont les responsables du
Fatah qui ont ouvert le feu les premiers.
Notons que les titres et les comptes-rendus de la presse
anglo-saxonne sont bien plus prudents que ceux de la presse française.
Le quotidien britannique The Guardian titre le 14 novembre :
« Six
die in clashes as Fatah emerges onto streets of Gaza ». The
Independent titre lui « Five
killed during Arafat rally »
Pour ceux qui sont intéressés au point de vue du Hamas, lire
« Hamas
holds Fatah leadership fully responsible for Gaza events »
Que l’on se comprenne bien. Le Fatah, comme le Hamas portent
une lourde responsabilité dans la détérioration de la situation
des Palestiniens. Les deux organisations ont été accusées par
les organisations palestiniennes de défense des droits de
l’homme de graves violations du droit humanitaire. Les deux
organisations portent une lourde responsabilité dans
l’affaiblissement des capacités de résistance des
Palestiniens.
Et pendant ce temps, le blocus de Gaza se poursuit dans
l’indifférence générale. Et personne n’a repris la dépêche
de l’AFP du 12 novembre :
Israël va restreindre la fourniture d’électricité à la
bande de Gaza (Barak) :
« Israël va procéder à des coupures d’électricité
dans la bande de Gaza en riposte à la poursuite des tirs de
roquettes en dépit de l’opposition du conseiller juridique du
gouvernement, a affirmé dimanche le ministre de la Défense, Ehud
Barak. "La fourniture d’électricité à la bande de Gaza
va être réduite", a affirmé M. Barak en Conseil des
ministres, cité par un haut responsable. "Les coupures d’électricité
vont être appliquées prochainement et seront incluses dans la série
de mesures prises à l’encontre du (mouvement islamiste) Hamas"
qui contrôle la bande de Gaza après son coup de force à la
mi-juin, a ajouté M. Barak. »
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