Opinion
La Syrie,
objet de toutes les attaques
Alain Corvez
Walid Al-Mouallem : "Les Européens ont ajouté une nouvelle page
noire à leur passé colonial
par des mesures portant atteinte aux intérêts du peuple syrien".
Mardi 24 mai 2011
A l’image des révolutions « orange » ou d’autres
couleurs qui, au nom de la démocratie érigée en valeur suprême
et universelle, visaient en Europe orientale, dans le sillage de
l’effondrement du communisme soviétique, à renverser des
pouvoirs même élus démocratiquement mais qui n’étaient pas
favorables à ce qu’on appelle « l’Occident », autant
dire les Etats-Unis d’Amérique, les révolutions arabes baptisées
du jasmin ou printanières, utilisent l’aspiration sincère des
populations pour l’égalité, la justice, la fin du népotisme, et
surtout des emplois pour pouvoir vivre décemment, pour renverser
les régimes qui contestent la vision américaine du monde et
notamment du règlement du conflit israélo-palestinien.
Les ONG des droits de l’homme
contrôlées par des Etats
ou des multinationales
De nombreuses organisations internationales, non
gouvernementales, brandissant l’étendard des droits de l’homme
ou de la démocratie, agissent en réalité grâce aux soutiens
multiples des Etats-Unis, pour déstabiliser les régimes
considérés comme hostiles à Washington, s’appuyant sur quelques
revendications légitimes des populations.
Lors d’un colloque récent à l’Assemblée Nationale sur ce sujet,
un représentant des services français indiquait qu’ils avaient
un inventaire de ces organisations soucieuses du bien de l’homme
qui montrait que 70% d’entre elles étaient contrôlées par des
Etats ou des multinationales. Le député Bernard Carayon
précisait quelques minutes plus tard qu’en réalité 100% des plus
importantes étaient dans ce cas.
L’amiral Lacoste me disait juste avant le colloque que les
Etats-Unis avaient une longue expérience de l’utilisation
d’ennemis pour combattre d’autres ennemis, depuis les islamistes
Afghans contre les soviétiques et qu’Israël en suscitant la
création du Hamas pour contrer le Fatah avait fait de même. Les
ONG soutenues par Washington utilisent aujourd’hui les slogans
des droits de l’homme qui permettent à des islamistes de se
glisser dans la peau de démocrates.
Il ne faut d’ailleurs pas faire d’amalgame trompeur entre les
salafistes du Machrek et ceux du Maghreb qui n’ont ni les mêmes
motivations ni les mêmes ambitions, ni les mêmes modes
opératoires. L’Arabie Saoudite, alliée de l’Amérique et en
accord avec elle, soutient depuis des années les groupes
extrémistes musulmans qui permettent les interventions
américaines, ce qui a failli se retourner contre elle lors du 11
septembre 2001, et notamment les organisations salafistes
hostiles au Baas, le parti laïc au pouvoir en Syrie.
Désinformation
sur
Al-Jazeera
et
Al-Arabiya
Les moyens modernes de communication, l’Internet et les SMS
permettent de développer rapidement des slogans revendicatifs
réalisant ainsi une « agit-prop », une propagande, qui
n’a jamais été aussi efficace. Elle ne fut cependant pas
suffisante en Libye qui a nécessité cette calamiteuse
intervention militaire sous le faux prétexte de protéger les
civils et qui finira par chasser Kadhafi du pouvoir après bien
des difficultés et des tragédies humaines, car l’expérience
prouve qu’il avait des soutiens importants, mais débouchera sur
un vide politique qui mènera à la partition du pays et à son
cortège de catastrophes.
Les médias arabes les plus importants comme Al-Jazeera
et Al-Arabiya, associés aux intérêts américains,
diffusent des images, authentiques ou transformées, soutenant
les révoltes quand elles vont dans le sens de leurs objectifs,
ou les passant sous silence dans le cas inverse. Ensuite, l’AFP
et les autres agences occidentales n’ont qu’à reprendre ces
images en les agrémentant de témoignages de « militants des
droits de l’homme ».
La Syrie est l’objet de toutes les attaques car le régime a
depuis toujours soutenu la cause arabe en accueillant les
Palestiniens exilés, respecté la culture musulmane du pays mais
combattu fermement l’islam politique radical, et rassemble des
communautés diverses, sunnites, chiites, alaouites, chrétiennes,
druzes, kurdes, en une nation au destin commun.
Depuis qu’il est arrivé au pouvoir sans l’avoir recherché, le
jeune Président Bachar El Assad, a annoncé et décidé qu’il
voulait réformer le pays pour l’adapter aux temps modernes et
s’il a pu réaliser certaines réformes dans les domaine de
l’économie, de la finance, de l’administration, les évènements
extérieurs pressants comme l’assassinat en février 2005 de Rafic
Hariri dont son pays fut aussitôt accusé, la guerre
israélo-libanaise de juillet août 2006 et d’autres, l’ont
empêché de les réaliser dans le calme indispensable à une telle
politique. Mais il a réitéré encore récemment son désir
d’évolution sans révolution.
D’ailleurs, la population syrienne forte de près de 20 millions
d’habitants est restée silencieuse, les autorités craignant que
des manifestations de soutien entraînent des chocs avec des
opposants, notamment les groupes salafistes armés et entraînés
de l’extérieur qui espèrent une revanche de leur écrasement dans
les années 82 ; les manifestants montrés sur les chaînes arabes
ne sont que quelques milliers au plus, 50.000 lors du
rassemblement le plus important. On a eu la preuve de la
désinformation de Al-Arabiya et Al-Jazeera le
jour où elles diffusaient « en direct » des images
d’une manifestation sous le soleil de Damas alors qu’il tombait
au même moment des trombes de grêle sur la ville, fait assez
rare en Syrie.
Le revirement brutal
du Président Sarkozy
Quels sont d’ailleurs ces « manifestants pacifiques ou
représentants des droits de l’homme rencontrés par l’AFP »
qui ont tué par balles des dizaines de représentants des forces
de l’ordre ?
Il est clair que la masse du pays soutient les dirigeants
nationaliste actuels, même si elle aspire à plus de libéralisme
économique et politique, à davantage d’emplois et à un meilleur
niveau de vie, mais elle comprend qu’il s’agit d’un complot
visant à détruire l’unité du pays pour installer des rivalités
ethniques et confessionnelles, qui permettront ensuite de dicter
une autre politique plus conciliante envers celle de l’Amérique.
Dans cette conjoncture, le revirement brutal du Président
Sarkozy est incompris des Syriens qui avaient vu dans le
rapprochement entre les deux pays suivi d’échanges importants
dans tous les domaines, le contre pied de l’obstination
anti-syrienne de Chirac, et que le raisonnement stratégique du
nouveau locataire de l’Elysée réalisait qu’une grande politique
arabe de la France ne pouvait se faire en refusant de parler à
la Syrie, que la question iranienne était liée aux bons offices
de Damas, comme le règlement du conflit israélo-palestinien. Le
Président Assad avait d’ailleurs offert ses services dans ce
domaine lors de son passage à Paris en novembre 2010.
Le rôle central de la Syrie dans les équilibres du Moyen-Orient
est encore renforcé par son influence sur l’avenir de son voisin
de l’est : depuis le début de l’intervention américaine en Iraq
et jusqu’à aujourd’hui, elle a accueilli un nombre très
important de réfugiés ayant fui leur pays pour des raisons
multiples, les estimations les plus sûres annonçant 1,5 million
installés en Syrie, peut-être plus. En dehors de l’aspect
humanitaire à mettre au crédit du régime syrien, il est évident
que cette masse de réfugiés doit jouer un rôle dans l’avenir de
l’Iraq toujours en recherche de stabilité.
La diplomatie française
donne l’impression
d’être systématiquement pro-américaine
« Les gendarmes du monde » étant
occupés et enlisés ailleurs, le régime syrien n’a pas à craindre
une intervention militaire, qui serait d’ailleurs catastrophique
pour tout le monde, et devrait parvenir à museler les acteurs
internes du complot sans avoir à redouter autre chose que des
déclarations vertueuses et lénifiantes de Washington, Bruxelles
et Paris, ou des sanctions économiques sans grand effet
stratégique à court terme.
La France a tout intérêt à comprendre rapidement que les
tentatives pour mettre des régimes favorables à la tête des pays
arabes, idée de Washington, n’est pas conforme à la volonté des
peuples concernés qui, tôt ou tard la rejetteront, et qu’elle
doit retourner aux fondamentaux d’une politique étrangère
indépendante, respectueuse du droit des peuples à décider
eux-mêmes de leur sort.
Le mondialisme a vécu. L’Union européenne est exsangue et l’on
assiste au retour des seules réalités qui comptent que sont les
nations qui rassemblent des peuples aux passés et aux destins
communs. Les nations peuvent s’entendre entre elles et coopérer
sur des objectifs partagés et définis mais le « village
mondial » n’a pas aboli les rivalités d’intérêts et ceux
qui renoncent à leur souveraineté au nom d’un utopique idéal
d’union devront un jour rendre compte de leurs abandons. C’est
la loi inexorable des relations internationales de ne prendre en
compte que les réalités sensibles. La France doit retrouver son
indépendance et sa souveraineté, y compris sur ses espaces
maritimes lointains, même si certains Etats s’en émeuvent,
répondant ainsi à son destin mondial de puissance
traditionnellement opposée à l’impérialisme quel qu’il soit.
Elle s’inscrira alors dans les prévisions visionnaires de
Teilhard de Chardin qui envisageait des ensembles de plus en
plus grands mais constitués de cellules de plus en plus
structurées et complexes.
La diplomatie française doit à nouveau prendre le recul
indispensable à la compréhension du sens de l’histoire du monde
et ne plus donner l’impression d’être systématiquement associée
aux intérêts d’une Amérique qui a du mal à s’adapter à
l’émergence d’un monde nouveau et qui n’a rien à offrir à ses
alliés sinon une participation à des aventures guerrières
coûteuses à tous points de vue. Les changements de caps récents
dans le monde arabe ne montrent pas une réflexion stratégique
globale et pour revenir sur l’exemple syrien, nous aurions tort
de croire que la contestation entretenue artificiellement
parvienne à ses fins dans un pays où les habitants sont
ombrageusement nationalistes et fiers de leur riche passé.
Quelques dizaines de milliers de manifestants, même cent mille,
ne sont rien par rapport à presque 20 millions qui assistent
pour l’instant silencieusement à la déstabilisation d’un pouvoir
qui, paradoxalement, a annoncé des réformes mais attend le
retour au calme pour les mettre en œuvre et est le mieux placé
pour les faire.
Alain Corvez, conseiller en stratégie
internationale (21/5/11)
Titre et intertitres : France-Irak Actualité
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 23 mai 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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