Opinion
Analyse
géostratégique de la situation en Syrie
Colonel
Alain Corvez
Colonel
Alain Corvez
Jeudi 20 juin 2013
« La
crise syrienne n’est pas une guerre
civile entre Syriens mais une guerre
entre grandes puissances au travers des
Syriens. »
C’est ainsi que présentait la crise
syrienne de façon magistralement
synthétique un homme qui ne peut être
accusé d’être un suppôt du régime de
Damas, lui qui dénonça en son temps
l’occupation militaire de son pays par
Damas. Je veux parler du Patriarche
maronite du Liban et de tout l’Orient,
Béchara El Raï lors de la venue du pape
Benoît XVI à Beyrouth en septembre 2012.
Cette affirmation est chaque jour
vérifiée un peu plus. Le nombre de
combattants « takfiristes » de
nationalités étrangères, notamment
européennes, soutenus et armés
principalement par le Qatar et l’Arabie
Séoudite avec le soutien de la Turquie,
de la Jordanie et des services
occidentaux ayant atteint des dizaines
de milliers de non syriens, prouve que
nous sommes en présence d’un complot
international pour renverser le régime
en place à Damas, jugé indésirable par
les monarchies du Golfe dont la doctrine
féodale wahhabite est à l’opposé de
l’islam sunnite modéré qui a toujours
caractérisé la Syrie, comme la
cohabitation harmonieuse entre de
nombreuses confessions religieuses
différentes.
Bien sûr, une frange irréductible de
Syriens sunnites proches ou membres des
Frères Musulmans, héritiers des insurgés
de 1982 à Hama, ajoutés à ceux de la
révolte commencée il y a deux ans sont
décidés à renverser le pouvoir par les
armes, moins pour établir la démocratie,
déjà proposée dans les nouveaux textes
constitutionnels, mais par hostilité
fondamentale à Bachar El Assad.
Il faut en effet prendre un peu de recul
pour porter un regard serein et objectif
sur cette crise dramatique qui continue
à tuer de nombreux innocents en plus des
combattants des deux bords, souvent de
façon inhumaine et odieuse, et remonter
aux origines.
Dès son arrivée au pouvoir en 2000 alors
qu’il ne l’avait pas cherché, le jeune
Président Bachar El Assad s’est attelé à
la tâche énorme de moderniser son pays
pour l’adapter au monde présent, gêné
par la conjoncture internationale qui le
confrontait à d’autres priorités, comme
l’assassinat de Rafic Hariri en février
2005 puis la guerre entre Israël et le
Liban à l’été 2006, et par une « vieille
garde », lucide contrairement à ce qui a
été dit, mais obnubilée par la crainte
que les libertés accordées trop vite
dans divers domaines ne débouchent sur
une « perestroïka » qui entraînerait le
même écroulement qu’en URSS.
Le « printemps arabe » qui éclata en
Tunisie puis en Egypte fin 2010 ne
devait pas se produire en Syrie qui ne
présentait pas le même immobilisme
dictatorial que ces pays. Pourtant en
mars 2011 des manifestations pacifiques
au nom de la démocratie se produisirent
à Deraa, ville aux confins
jordano-israéliens, rapidement
instrumentées afin de tuer manifestants
et forces de l’ordre et provoquer
l’enchaînement de la violence.
Conscient de la gravité des évènements
le régime engagea alors un train de
réformes accélérées pour déboucher sur
une nouvelle Constitution totalement
démocratique avec la suppression du
parti unique et l’attribution des
libertés dans tous les domaines. Ces
réformes furent noyées par ceux qui
n’étaient pas intéressés par la
démocratisation de la Syrie mais par le
renversement d’un régime qui défend
depuis longtemps la cause arabe face à
Israël, accueillant des réfugiés
palestiniens et iraquiens par millions.
Paradoxalement, ce sont les états les
moins démocratiques au monde qui sont le
fer de lance des attaques pour renverser
le pouvoir de Damas, états qui se voient
encouragés par un Occident semblant
avoir perdu ses repères, armant ou
facilitant l’armement de djihadistes
qu’il combat partout ailleurs dans le
monde, notamment au Mali.
Mais le régime a montré sa force et sa
cohésion en résistant depuis plus de
deux ans à ces attaques brutales.
L’Armée constituée majoritairement de
sunnites est, dans son immense majorité,
restée fidèle et disciplinée, aux ordres
de ses chefs et avec le soutien de la
population qui l’appelle souvent pour la
protéger des exactions des rebelles ;
quant au monde politique et diplomatique
il est aussi globalement resté à son
poste.
Les takfiristes dominant depuis des mois
les mouvements rebelles, et l’opposition
politique extérieure, créée et soutenue
par les occidentaux, ne parvenant ni à
s’entendre ni à s’organiser, de nombreux
opposants déposent les armes depuis
quelques semaines, conscients que
l’islam prôné par les rebelles n’est pas
celui qu’ils souhaitent pour leur pays
et ne veulent plus être associés à ces
extrémistes.
D’autant plus qu’il existe maintenant
une quinzaine de partis politiques qui
proposent des programmes inspirés par la
démocratie et les libertés
fondamentales, et qu’un ministère de la
réconciliation nationale sous l’égide
duquel un dialogue constructif s’est
installé est à l’œuvre depuis plus d’un
an.
Le caractère international de la crise
syrienne est renforcé par les soutiens
extérieurs de Damas, Russie et Chine
ayant clairement signifié qu’elles
n’accepteraient pas un changement de
régime provoqué en Syrie, jugeant que le
nouvel ordre mondial multi polarisé
imposait la fin de ces affrontements par
une solution négociée entre les grandes
puissances. Après avoir cru possible une
chute rapide du régime, l’Amérique en a
convenu depuis peu et nous nous
dirigeons désormais vers cette issue
pacifique.
Il faut enfin que cesse la
désinformation propagée par les médias
d’un tyran sanguinaire qui prendrait
plaisir à tirer sur son peuple, et même
à employer les armes chimiques, pour
aller plus vite ou plus loin dans son
œuvre. La vérité est que le régime se
défend contre un complot international
visant à le renverser et qu’il combat
des forces militaires commettant des
exactions souvent insoutenables, avec
l’appui de la majorité de son peuple,
toutes confessions et ethnies
confondues.
La « paix des braves » a été déjà
proposée aux rebelles syriens et, comme
je viens de le dire a été acceptée par
certains ; mais reste à régler le sort
des milliers de combattants islamistes
étrangers qui pourraient transporter
ailleurs dans le monde leur soif de sang
et de massacres odieux, au nom d’un
dévoiement pervers des principes de
l’Islam, alimentant dramatiquement les
haines pour la noble religion des
fidèles du Coran.
© 2006 RPL
Publié le 20 juin 2013 avec l'aimable
autorisation du RPL
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