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Annapolis

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En
attendant l’après-Annapolis
Ahmed Loutfi et Chaimaa Abdel-Hamid
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Proche-Orient.
La réunion organisée aux Etats-Unis sur le règlement de la
crise palestino-israélienne prend l’aspect d’un congrès cérémonial
à l’heure où les divergences sur les dossiers fondamentaux
paraissent insurmontables.

Photo Al-Ahram
Mercredi 28 novembre 2007
Ça passe ou ça
casse ... C’est un peu la question clef de cette conférence
d’Annapolis, où le président américain George W. Bush a invité
des responsables israéliens, palestiniens et de 40 autres pays,
dont 15 pays arabes, à une réunion censée relancer le processus
de paix au Proche-Orient en panne depuis sept ans. Le chef de
l’exécutif américain qui agit un peu comme une sorte
d’empereur romain voulant mettre de l’ordre dans les marches
orientales de l’empire où les populations locales sont en colère,
se révoltant parfois contrés par une garnison qui n’est autre
qu’Israël, a choisi la ville d’Annapolis pour ce congrès.
C’est la capitale de l’Etat du Maryland. Située en bord de
mer, sur la baie de Chesapeake, elle fait partie intégrante de la
grande agglomération qui regroupe Washington DC et Baltimore, la
plus grande ville du Maryland. En 2000, sa population était de 35
838 habitants.
La ville abrite
l’Académie navale d’Annapolis (en anglais United States Naval
Academy) et le St John’s College. Aujourd’hui, elle est célèbre
pour son architecture géorgienne et le nautisme à voile dans la
baie de Chesapeake. Là peut-être, le climat sera favorable à
quelque chose, un point de départ vers des négociations. Oui des
négociations nouvelles. il y en a tellement eu de manifestations
de ce genre que l’on peut oublier l’une ou l’autre (lire
page 5). A des milliers de kilomètres d’Annapolis à Gaza, lieu
enclavé où les Palestiniens sous la maîtrise d’un Hamas
diabolisé, vivent les moments difficiles, sans grand espoir de
changement, minés aussi par la direction bicéphale avec l’Autorité
palestinienne (en Cisjordanie) la seule internationalement
reconnue. Pour eux, c’est justement « ça passe ou ça casse ».
D’ailleurs, un marchand de souvenirs de Gaza propose à ses
clients un « mug » à casser si les attentes suscitées par
cette réunion ne sont pas au rendez-vous. Symbole d’espoir, la
tasse « ça passe ou ça casse » est ornée d’une colombe et
d’un rameau d’olivier, mais signe de doute, elle est vendue
avec des instructions pour la briser si la conférence fait un «
flop ». « Ce souvenir est fait pour être conservé, mais, en
cas d’échec de la conférence, brisez-le », est-il écrit sur
le « mug » du marchand Tareq Abou-Dayya à Gaza, qui se vend
comme des petits pains malgré son prix relativement coquet de
2,50 dollars la pièce.
En fait, chacun
s’est rendu avec son propre agenda bien connu de tous pour une
rencontre protocolaire où déjà l’on savait que ce qui compte
c’est ce qui interviendra après.
L’après-Annapolis
compte bien plus qu’Annapolis même. D’ailleurs, ce sont les
Etats-Unis eux-mêmes qui l’ont affirmé d’emblée et bien
avant la réunion. Washington table sur ce qui viendra après et
la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, estime que
« le lancement des négociations palestino-israéliennes
suffirait en soi à faire de la réunion un succès ». Et tout se
passe comme si le président Bush voulait redorer son blason et
faire quelque chose. D’ailleurs, le négociateur palestinien
Ahmad Qoréi à son arrivée avec Mahmoud Abbass à Washingon a
bien émis l’espoir que l’on arrive à un règlement vers 2008
avant la fin du mandat du président Bush. Même son de cloche
chez les Israéliens. Le premier ministre Ehud Olmert a jugé
possible de parvenir à un accord définitif en 2008.
Un flou
artistique
Des espoirs
lointains comme cela était le cas dès le départ. Dès Camp
David pour ne pas remonter à plus loin. Nombre d’experts jugent
que la situation est plus complexe encore que lors de Camp David
en 2000. L’opposition d’Israël au partage de Jérusalem est
plus intense, car les colonies juives ont été agrandies. De
plus, Israël table sur les roquettes tirées à partir de Gaza
par les miliciens du Hamas et de la division interpalestinienne
pour retarder toute ouverture. « A part des discours et une déclaration
commune, pas grand-chose », soulignait le quotidien Maariv : un
énième appel du président américain George W. Bush à la création
d’un Etat palestinien viable, la fin des violences, le gel de la
colonisation et bien d’autres.
Quelle utilité
donc ? N’est-ce pas des choses décidées ? Le politologue Saïd
Okacha du Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS)
d’Al-Ahram récuse même l’idée qu’Annapolis va préparer
quelque chose pour un prochain avenir. « Il n’est même pas
question de l’après-Annapolis que ce soit pour les Américains
ou pour les participants dont les déclarations et communiqués ne
reflètent qu’une idée : il ne s’agit que d’un forum de
discussions. Voire, c’est le contraire qui est vrai. Cette
rencontre marquera la fin du mécanisme des négociations qui a
commencé avec Camp David et s’est terminée par la Feuille de
route en passant par bien d’autres ». Il justifie son
pessimisme par le fait que « le minimum des exigences
palestiniennes est le retour aux frontières de juin 1967. Ceci
est impossible pour Israël ». Pour ce spécialiste du dossier
palestino-israélien, il y aurait quand même une « nouvelle voie
de règlement qui s’articulerait sur des congrès internationaux
et l’élargissement de la question pour arriver à un échange
des territoires entre les pays de la région en tant que tels ».
Des échanges d’intérêts plus qu’un focus pour cette
question palestinienne. Des vues que pourrait confirmer l’état
actuel des choses dans la région. Une fois de plus, cette Amérique
embourbée au Moyen-Orient affrontant l’Iran voudrait se servir
de son gendarme qui est Israël pour tenter de s’en sortir. Des
vues que certaines évolutions ne manquent de confirmer. La
participation de la Syrie par exemple qui a donné pour condition
l’ouverture du dossier du Golan, une démarche en solitaire de
Damas naguère partisan pur et dur de la cause palestinienne (Lire
page 4).
D’ailleurs,
c’est presque en ordre dispersé que les Arabes ont participé,
et la ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni,
qui a salué les pays arabes participants à la réunion, a estimé
qu’ils ne devraient pas se mêler des discussions bilatérales
israélo-palestiniennes. « Le monde arabe n’est pas supposé définir
les termes des négociations ou s’y impliquer », a dit Livni.
De quoi ajouter à la confusion et au désaccord fondamental entre
les deux parties.
En fait, Israéliens
et Palestiniens se sont rendus à Annapolis sans s’accorder sur
un document commun fixant les contours d’un règlement en vue de
la création d’un Etat palestinien indépendant. Les négociations
ont connu de sérieuses difficultés, comme l’a déclaré le négociateur
palestinien, Saeb Eraqat. Mais toujours est-il que l’on regarde
au-delà de la rencontre. Emad Gad, rédacteur en chef d’Israeli
Digest publié par le Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques
(CEPS) d’Al-Ahram, considère que de « grandes chances sont
ouvertes. Ces négociations donnent lieu à plus haut degré
d’optimisme et constituent une approche réaliste de certains
dossiers comme celui des réfugiés et de Jérusalem. Cela accorde
une plus grande chance qu’Oslo et Camp David ». Pour lui, les
dernières rencontres, au nombre de dix, entre Olmert et Abbass
ont aidé « à une entente sur certains points, même si elles
ont révélé des divergences sur d’autres, dont ces
compensations de 85 milliards de dollars pour les réfugiés
palestiniens ». Pour Gad, deux facteurs importants jouent en
faveur de sa théorie. D’une part, après l’échec de Camp
David II, en 2000, sept ans de conflits et d’affrontements
sanglants ont suivi. De quoi donner à réfléchir à toutes les
parties. D’autre part, la personnalité d’Abou-Mazen fait de
lui un partisan des solutions réalistes. « Ses rapports avec les
Israéliens sont solides. Il n’a pas les mêmes calculs
qu’avait un Arafat quant à la prise de décision pour une
solution définitive », ajoute Gad.
Le facteur Hamas
S’empresser de régler
reste aussi justifié par une crainte d’une augmentation de
l’influence du Hamas. L’organisation fermement opposée à la
conférence a indiqué que le peuple palestinien « ne tiendrait
pas compte des éventuelles décisions prises à la réunion.
Elles n’engageront pas le peuple palestinien car celui-ci
n’autorise personne, qu’il soit arabe ou palestinien, à tirer
un trait sur ses droits », a lancé le porte-parole du Hamas,
Fawzi Barhoum. Tout aussi ferme, le chef du gouvernement du Hamas
à Gaza, Ismaïl Haniyeh, a déclaré que « personne n’est
mandaté pour renoncer aux droits du peuple palestinien, et en
particulier le droit au retour des réfugiés ». A ces prises de
position fermes, il a ajouté une volonté de résistance, de
multiplier les attaques contre les forces israéliennes à Gaza et
en Cisjordanie après la réunion. « La période qui va suivre la
conférence d’Annapolis verra une augmentation par tous les
moyens et les formes de la résistance, dans la bande de Gaza et
en Cisjordanie, contre l’occupation sioniste », a affirmé le
bras droit du chef du Hamas, Khaled Mechaal, Moussa Abou-Marzouk,
dans un communiqué publié sur le site Internet du Hamas.
Si le Hamas paraît
aussi résolu, c’est parce qu’il est sûr que le processus qui
a mené à Annapolis et qui en découlera ne mènera à rien.
Autrement il ne se serait pas aliéné un monde arabe qu’il
indispose et l’Occident qui le qualifie de terroriste. Fuite en
avant ? Pour Okacha, l’après-Annapolis pour le Hamas donne lieu
à deux possibilités : « La première serait qu’il craint un
accord entre Arabes et Israéliens qui l’isolerait davantage et
l’obligerait de se retirer de la scène. La deuxième serait
beaucoup plus de tension et de violence sur la scène
palestinienne ». Pour le politologue, ce mouvement doit voir les
choses de manière pragmatique, sinon « il serait le seul
perdant, Israël ayant les moyens de couper les acheminements de pétrole
et d’électricité ».
Le rideau est de
toute façon levé sur un premier acte d’un théâtre itinérant.
La suite se déroulera, mais l’épilogue est-il pour demain ou
après demain ou même plus tard encore ?
Droits de reproduction et de
diffusion réservés. © AL-AHRAM
Hebdo
Publié le 28 novembre 2007 avec l'aimable
autorisation de AL-AHRAM Hebdo

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