Al-Ahram Hebdo
Le Christ et
l'occupation
Mohamed Salmawy
Photo Al-Ahram
Mercredi 1er juillet 2009
Je suis revenu en arrière plus de 2000 ans, alors que je me
trouvais à l’endroit où saint Jean-Baptiste avait baptisé le
Christ dans les eaux sacrées du Jourdain. Au cours d’une récente
visite en Jordanie, je me suis dirigé vers la région de la mer
Morte pour voir ce qui restait de ce fleuve évoqué dans la
Bible. Jean-Baptiste a baptisé Jésus, dont le
Ciel avait fait don, avec les eaux limpides du Jourdain. En
effet, Jésus avait pour mission de changer la face de la terre,
après quoi son âme devrait remonter à nouveau au ciel alors
qu’il avait à peine dépassé la trentaine.
Dans une précédente visite, qui remonte à
plus de 15 ans, j’avais vu les eaux du fleuve qui s’étaient
rétractées parce qu’on les pompait de manière régulière vers
Israël pour finir par devenir un petit lac semblable aux
ramifications de fleuves.
Au cours de cette visite, j’ai remarqué que
le lac s’était rétréci davantage, entraînant une baisse du
niveau de l’eau. L’espace entre ses deux rives s’était rétréci à
tel point que l’on ne voyait plus le fleuve, sauf si l’on
regardait en dessous du niveau de la terre.
Cependant, si l’on lève le regard vers le
haut en direction de l’autre rive du fleuve, on aperçoit le
drapeau israélien brandissant avec défi et insolence au-dessus
d’un point de passage militaire, pour nous rappeler que
l’occupation abjecte a dépassé plus de 60 ans, âge de la
retraite pour les êtres humains. Une occupation qui peut
vraisemblablement perdurer si personne ne tente de lever ce
lourd fardeau qui pèse sur cette terre bienveillante.
Je me suis détourné de cette scène sinistre
vers le bord du fleuve pour voir ses eaux couler dans son cours
historique. Mais je n’ai trouvé que des eaux stagnantes. Comme
si le pouls de ses petites vagues successives s’était arrêté
tristement à cause de ce qui lui est advenu ou, plus
probablement, de ce qui est advenu à l’homme arabe qui habite
voilà plus de 60 ans sur ses deux rives est et ouest.
A l’instant même où je suis parvenu au point
le plus proche de la rive d’eau stagnante, mon portable a sonné
et j’y ai trouvé un message de salutation du réseau auquel je
venais d’être connecté, me disant en toute insolence : «
Bienvenue à Israël ... Le réseau de communication israélien vous
souhaite la bienvenue, vous pouvez faire vos appels comme à
votre habitude, mais le tarif international y sera appliqué ! ».
J’ai rapidement fait marche-arrière de
l’endroit où je me tenais debout et j’ai fermé le portable que
j’ai failli jeter dans ce qui restait des eaux du fleuve. La
scène du point de passage militaire sur lequel était brandi le
drapeau israélien était suffisante pour susciter mon indignation
et je n’avais pas besoin de recevoir de message sur mon portable
pour me dire que je me trouvais en Israël.
Un ami originaire du pays a remarqué l’effroi
qui se dessinait sur mon visage et m’en a demandé la raison. Je
lui ai dit : C’est un message qui a fait fausse route. Il ne
m’était certainement pas envoyé. Et lorsque je lui ai lu le
contenu, il m’a dit : « C’est normal. Ne savez-vous pas que
l’expansion colonialiste est le moteur n°1 des Israéliens ? ».
J’ai rétorqué : Mais je suis ici debout sur
une terre arabe et non pas israélienne ...
— Et la Cisjordanie qui est devant nous où se
trouve le drapeau israélien est une terre arabe également. Que
devient-elle maintenant ? Israël l’a engloutie dans son
expansion illimitée, comme il avait englouti l’eau de ce triste
fleuve. Vous avez reçu ce message parce que vous vous êtes un
peu approché de la rive du fleuve, ce qui a amené l’occupation
israélienne à entrer en contact avec vous car elle considère
cette parcelle de terre comme sa propriété.
— Eloignons-nous donc de ce lieu qui ne fait
que susciter nos afflictions. L’eau qui coule entre les deux
rives a disparu à tel point qu’elle nous est quasiment
invisible. Le Jourdain, lié à une longue histoire, n’a
plus d’existence aujourd’hui. Cette Terre Sainte, qui a pris
dans son étreinte la plus importante opération de purification
dans l’histoire de l’humanité, est devenue dans notre époque
actuelle un symbole d’occupation, de spoliation de l’eau, de
violation de l’Histoire et de défiguration des aspects
géographiques qui ont duré des centaines d’années.
J’ai donné le dos à cette scène mélancolique
et me suis dirigé vers l’emplacement de l’église Saint-Jean
édifiée à l’endroit où le Christ a été baptisé dans les eaux du
Jourdain.
J’avais lu certains écrits rédigés par des
saints sur ce lieu, considéré comme l’un des plus sacrés de
l’histoire chrétienne. Je me suis rappelé ce qu’a écrit Théodose
en 530 après J.-C. disant qu’ « à 5 miles loin du nord de la mer
Morte, dans ce lieu où le Christ a été baptisé, il y a une
colonne sur laquelle est fixée une croix en métal. Il y a
également l’église Saint-Jean, édifiée par l’empereur Anastase.
C’est une église édifiée au-dessus de larges
chambres pour être à l’abri de la crue du Jourdain ».
Saint Antonin de Piacenza a écrit en 570
après J.-C. : « Sur la rive du Jourdain où le Christ a été
baptisé, au bord de l’eau, il y a des marches menant au cours du
fleuve ».
Quant au Français Arculfus, il a écrit en 670
après J.-C. décrivant ce lieu : « Sur la rive du fleuve, il y a
une petite église carrée édifiée au-dessus de 4 coupoles en
pierre pour que l’eau du fleuve coule en dessous ».
L’ami m’a amené au lieu où se trouve l’église
Saint-Jean dans laquelle les gens du Ve au XIIe siècles
priaient. C’est-à-dire à l’époque de l’islam. Cette église a été
découverte récemment dans ce lieu qui s’est transformé en forêt
après l’occupation de la Cisjordanie et l’entrée des forces
militaires, peu soucieuses de son histoire ancienne. Elle a été
le lieu où s’est déroulée l’une des scènes les plus sacrées du
christianisme. Un lieu qui est resté la destination de
l’humanité entière, dans lequel les gens s’y purifiaient
jusqu’au temps de l’occupation.
Je me suis arrêté longtemps devant la
mosaïque représentant la carte géographique des territoires
sacrés autour du cours du fleuve, probablement dans le même
endroit où nous nous trouvions. De l’autre côté du fleuve, il y
avait les vestiges de l’église. Cette carte était ornée de
motifs de certains animaux que l’on retrouve dans les champs des
alentours. Il y a également le symbole du poisson, autre
expression du baptême. Comme le poisson qui ne peut vivre en
dehors de l’eau, le chrétien croyant ne peut pas vivre sans les
eaux du baptême et c’est le sens de cette interprétation.
La carte comprend également un motif
représentant une belle gazelle pourchassée par un lion. C’était
Hérode, le tyrannique roi des juifs, qui pourchassait saint
Jean-Baptiste.
Quant aux poissons, ils étaient sur le point
de disparaître dans ce lieu où l’eau n’existe quasiment plus.
Les forces du mal, elles, existent toujours dans notre monde
pourchassant le bien, le vrai et le beau. La preuve de cela
n’étant autre que ce lieu, et ce qui en est advenu depuis que sa
pure histoire ancienne a été profanée par les militaires de
l’occupation.
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AL-AHRAM Hebdo
Publié
le 1er juillet 2009 avec l'aimable autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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