Opinion
Bourguiba le
recours désespéré
Ahmed
Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Lundi 9 avril
2012
Les Tunisiens ont été plus nombreux
(64,4%) à ne pas choisir les élus
d’aujourd’hui, en s’abstenant ou en
usant d’un bulletin nul, comme s’ils
pressentaient qu’ils allaient se
fourvoyer dans la légitimation d’un
pouvoir qui n’est pas exactement celui
qu’ils souhaitent. Ils commencent à
croire qu’ils ont eu raison de douter,
après avoir vu que le même flambeau est
passé de Zine El Abidine Ben Ali à Béji
Caïd Essebsi à Enahdha/Marzouki. Samedi
7 avril 2012 des milliers de jeunes
chômeurs, après s’être rassemblés à la
place Mohamed Ali, devant le siège de
l’UGTT, ont voulu se diriger vers
l’avenue Habib Bourguiba. Mal leur en
pris, la police en civil et en uniforme,
usant de matraques et de gaz
lacrymogènes, a chargé sans sommation.
Elle était « mille fois » plus violente
qu’avant le « printemps » disent les
témoins. Il le fallait bien, puisque
Salem Ayari, coordinateur général de la
marche, nous apprend, sur radio
mosaïque, qu’il était question de
demander au gouvernement de travailler à
rassurer le peuple au lieu des
affairistes. Le gouvernement a répondu,
à sa façon, qu’il n’en sera rien. La
veille, le président provisoire
Marzouki, du haut de ses 5% de voix,
avait décidé que « le peuple tunisien a
réhabilité le leader Habib Bourguiba
après le 14 janvier ». Illustrant,
par-là, la tendance en cours du pouvoir
en place, en mal de réponses à la
situation dramatique vécue par les
populations, de recourir à une « union
sacré » ancrée dans la bien connue «
paix sociale » bourguibienne. Le «
Combattant suprême », aseptisé, glorifié
et mis, bien à propos, à la tête de la
révolution, pourrait lui donner un sens
moins aventureux, du point de vue des
couches supérieures de la société et
d’une classe dirigeante terrorisées par
la pression insoutenable des insurgés,
qui ne démordent pas d’obtenir les
droits pour lesquels ils se sont
soulevés. Enahda ne dit pas grand-chose,
à ce sujet, mais cela ne semble pas
déranger le parti vert, sinon Marzouki
n’aurait peut-être pas osé se permettre
d’aller à l’encontre de sa volonté. Il
faut dire que Bourguiba est, aussi,
porté par les « modernistes » de tout
poil, en guise de réponse désespérée à
la montée en puissance des salafistes,
dans l’espoir de faire renaître dans la
mémoire des Tunisiens la rassurante
uniformité de pensée, agrémentée du doux
sentiment de quiétude sous la main de
fer tutélaire. « Bourguiba est mort,
vive la modernité ! » titre un journal,
dans une tentative dérisoire de conjurer
la menace intégriste. Un Tunisien, au
sens de l’humour bien trempé, fait ce
commentaire : il ne reste plus à ces "
azzamas " que de nous ressusciter " le
diable " de sa tombe(…) pour essayer de
nous ramener à la raison et nous
remettre sur le " bon rail ", celui
d'une troisième dictature plus
indulgente ». Pour autant que le pouvoir
en place puisse en concevoir une, ce
dont il semble bien incapable, au vu de
ce qu’il produit comme forme de
répression, alors que ses institutions
ne sont encore que provisoires et/ou
transitoires. Dans tout cela, les Frères
feraient bien d’exposer concrètement en
quoi la « solution » qu’ils proposent
peut contenter, à la fois, le pouvoir de
l’argent et ses victimes. Il y a
urgence.
Article publié sur
Les Débats
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