En direct de Gaza
Gaza en 2020
D'une région
« invivable » à un havre de paix
Ziad Medoukh
Jeudi 18 juin 2020
En 2018, les
organisations internationales, notamment
celles de l'ONU, ont lancé une alerte
sur la situation humanitaire dans la
bande de Gaza. Elles ont affirmé, dans
leurs rapports publiés, que cette région
pauvre et isolée, en souffrance
permanente, ne serait pas vivable en
2020, pour plusieurs raisons : blocus
renforcé, eau contaminée, trop forte
densité de population, manque de
ressources naturelles, économie
effondrée, système sanitaire défaillant,
population éprouvée par plusieurs
offensives militaires israéliennes. «Gaza pourrait
devenir "invivable" d'ici 2020», tel
était le titre de ces rapports, en
particulier celui de l'organe de l'ONU
chargé des questions de développement et
de commerce (CNUCED) qui s'est alarmé
que Gaza, ce territoire exigu de 365
km2, long de 41 km et large de 6 à 12
km, où s'entassent deux millions de
Palestiniens, pourrait devenir
inhabitable en 2020.
Suite à ces
rapports, quelques palestiniens de Gaza,
en particulier des jeunes qui souffrent
du chômage, de l'absence de perspectives
et qui rêvent d'une vie meilleure
ailleurs, ont commencé à quitter leur
région pour s'installer à l'étranger.
Selon une estimation de la direction du
passage de Rafah (le seul point de
passage possible qui relie les habitants
de la bande de Gaza à l'extérieur),
quelques 39.000 palestiniens de Gaza, en
majorité des jeunes moins de 30 ans, ont
quitté l'enclave entre mai 2018 et
septembre 2019, en payant très cher pour
sortir, vu les conditions très difficile
pour quitter cette enclave devenue
prison.
Et même si plus de
27.000 d'entre eux sont revenus à Gazas
fin 2019 et début 2020 – n'ayant pas
trouvé à l'étranger ce qu'ils espéraient
et jugeant que, malgré toutes les
difficultés, Gaza reste un endroit où
ils peuvent vivre dignement - quitter
Gaza était devenu ces deux dernières
années un phénomène inquiétant, vu
l'attachement des Palestiniens à leur
terre en dépit des agressions
israéliennes et des mesures atroces de
l'occupation.
Le problème est que
les organisations internationales n'ont
pas fait pression sur les autorités
israéliennes pour exiger la levée du
blocus, accélérer les efforts de
reconstruction (qui restent très lents
face à l'ampleur des dévastations) et
pour améliorer les conditions de vie de
ces deux millions de Palestiniens qui y
vivent. Oui, la population est laissée à
son sort par l'occupation et par une
communauté internationale officielle
silencieuse et donc complice.
Dans mon dernier
livre «Être non-violent à Gaza», sorti
en France en novembre 2019, j'avais
écrit un article intitulé «Gaza, une
ville enfermée mais une ville qui
impressionne » pour montrer la capacité
extraordinaire de cette population
civile à supporter l'insupportable dz
cette région isolée et délaissée. Je
disais que Gaza est une ville
contradictoire, où personne ne dort dans
la rue ni ne meurt de faim, même si la
moitié de la population vit en dessous
du seuil de pauvreté, et je confirmais
que Gaza restera toujours vivante et
débout, qu'elle n'abandonnera jamais son
élan de vie et d'espoir ; que les
Palestiniens de Gaza essaient simplement
de mener une vie aussi normale que
possible dans des conditions extrêmement
anormales.
Au début de
l'année2020, avec l'apparition du
coronavirus et la propagation de cette
épidémie partout dans le monde, causant
un nombre considérable de morts et de
personnes atteintes, surtout dans les
pays développés, tout le monde attendait
à une catastrophe épidémiologique dans
la bande de Gaza. Or, jusqu'à présent,
et après quatre mois, on déplore
seulement un décès et 67 individus
infectés. C’étaient tous des
Palestiniens qui rentraient de
l'extérieur. Il n' y avait aucun cas de
contamination de l'intérieur, contre
plus de 8 millions de cas et presque
450.000 morts au total dans le
monde . Et tout cela malgré un système
de santé absolument défaillant et le
manque cruel de moyens économiques et
médicaux dans une région qui souffre
d'un blocus total depuis plus de 14 ans.
Oui, la bande de
Gaza, cette région qui ne possède qu'un
seul hôpital équipé, quelques centres
médicaux, 55 lits en soins intensifs et
50 appareils de réanimation, Gaza a été
épargnée par ce virus mortel, et sa
population civile a démontré une fois de
plus sa capacité à s'adapter à une
situation humanitaire et sanitaire
extrême. Une population confiante et
consciente dans sa réaction et dans son
attitude face à cette épidémie malgré un
double confinement provoqué par la
maladie et le blocus.
Depuis la
découverte des premiers cas en mars
dernier, on constate qu'il n’y a pas eu
de panique, pas de pénurie de masques ni
de produits nécessaires sur les marchés
de Gaza, pas d'afflux de citoyens dans
les grandes surfaces et les
supermarchés. Les Palestiniens de Gaza
ont appliqué à la lettre les consignes
préventives malgré l'absence de cas
infectés de l'intérieur.
Un des aspects très
marquants de la situation ici est le
renforcement de la solidarité familiale
et sociale, malgré les conséquences
dramatiques du double confinement.
Beaucoup de commerçants, de magasins et
de boulangeries baissent les prix de
leurs produits en solidarité avec les
plus démunis. Des supermarchés proposent
l'acheminement des achats gratuitement
chez les habitants confinés chez eux. On
voit aussi la distribution de masques,
de savon et de produits de désinfection
ainsi que de colis alimentaires et
sanitaires et de repas aux familles
pauvres confinées directement chez elles
grâce aux dons de personnes aisées de
Gaza.
Il y a plein
d’exemples concrets de ces initiatives
et actions de solidarité exemplaires
dans la bande de Gaza face à l'épidémie.
Comme l'usine de fabrication des masques
médicaux par les personnes ayant un
handicap à Gaza pour les familles
démunies ; le projet des femmes de Rafah
au sud, de préparer des repas et des
gâteaux pour les familles dans le besoin
avec le soutien des hommes d'affaire de
cette région. Ou encore l'initiative
d'un groupe de professeurs de distribuer
100 colis alimentaire par jour partout
dans la bande de Gaza. Sans oublier les
jeunes de Gaza très mobilisés pour
l'acheminement des colis chez les
familles et leurs différentes campagnes
spontanées et bénévoles de
sensibilisation dans les rues de Gaza.
L'Autorité
palestinienne de Ramallah a envoyé des
médicaments à Gaza et l'Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) a fait don de
10.000 kits de dépistage pour aider à
faire face à la pandémie.
Sans oublier
quelques initiatives de pays et
d'organisations internationales qui ont
soutenu la population de Gaza dans cette
période particulière par l’envoi
d’équipements médicaux et des aides
alimentaires et sanitaires lesquels ont
contribué à apaiser la souffrance d'une
population qui affronte de nouveau une
crise économique et sociale
dévastatrice.
Les mesures
préventives prises dans cette région
depuis plus de 4 mois, le confinement,
la fermeture de beaucoup de lieux
publics et d'établissements, et l'arrêt
de la production de certaines activités,
ont aggravé la situation économique déjà
fragile, une économie à la croissance
limitée et aux faibles ressources.
Tous les secteurs
économiques et commerciaux de l'enclave
palestinienne ont connu un déclin
important : leur capacité de production
a diminué de 60 à 70 % ces derniers
mois.
Selon la Chambre de
commerce et d'industrie de Gaza, jusqu'à
fin mai 2020, les pertes économiques
directes liées à l'épidémie dépassent
les 50 millions d'euros.
L'Union Générale
des Travailleurs Palestiniens a confirmé
que plus de 45.000 travailleurs et
ouvriers de Gaza ont perdu leurs postes,
dont environ 6.000 employés dans les
écoles privées, les jardins d'enfants et
les centres éducatifs (
il y a environ 700 jardins
d'enfants, 52 écoles privées, et 345
centres éducatifs dans la bande de
Gaza), 5.600 travailleurs dans le
secteurs du tourisme et de la
restauration, plus de 11.700 ouvriers et
travailleurs journaliers dans des
ateliers et champs ,6000 conducteurs et
transporteurs et 14.200 travailleurs
dans le secteur privé, et presque 1.500
travailleurs sur les marchés populaires
et les commerces.
Le problème est que
90 % des travailleurs sont dépendants du
revenu quotidien, et leur contribution
au PIB a diminué de 37%, ce qui augmente
le chômage et la pauvreté dans la bande
de Gaza.
Dans son bulletin
de juin 2020, le Bureau palestinien des
statistiques indique que le taux de
chômage est passé à plus de 73 % et la
pauvreté à 54 %.et que plus de 77% de la
population de Gaza dépend de l'aide
internationale.
C'est vrai, les
mesures de précaution prises dans la
bande de Gaza ont permis de maîtriser le
risque d’épidémie du nouveau coronavirus
mais elles ont aussi accru les
souffrances des travailleurs et alourdi
leurs charges financières.
Même le plan de
revitalisation économique des petites,
moyennes et micro-entreprises initié par
l'Autorité palestinienne n’a pas été
efficace pour le moment à cause du
blocus et de la division
inter-palestinienne.
Depuis le mois
d'avril, l'Autorité palestinienne de
Ramallah et le gouvernement de Gaza
versent 200 euros par mois aux
travailleurs ayant perdu leur travail,
mais cela reste insuffisant pour faire
face à leurs besoins énormes. Et le
problème ne réside pas seulement dans
l'ampleur des pertes mais aussi dans la
durée nécessaire pour relancer
l'économie.
Côté politique, la
population de Gaza suit avec inquiétude
les évènements nationaux, elle organise
des manifestations et des rassemblements
contre le plan israélien d'annexer la
vallée du Jourdain et une partie de la
Cisjordanie, elle espère arriver à une
vraie réconciliation pour faire face à
cette épidémie certes, mais à ces plans
israéliens et américains qui visent tout
le peuple palestinien.
Les autorités
sanitaires de Gaza ont bien géré la
crise, malgré le manque de moyens, le
blocus et la division
inter-palestinienne. Elles ont créé des
centres de quarantaine pour héberger les
5.200 palestiniens rentrés d'Egypte
pendant l'ouverture du passage de Rafah
(trois fois en mars, avril et mai).
Ces personnes ont été mises à
l'isolement dans ces centres pendant 21
jours, sans aucun contact avec le reste
de la bande de Gaza.
Cette stratégie,
basée sur le renforcement des mesures de
précaution et de prévention, le
confinement, et la création de centres
de quarantaine, a réussi jusqu'à présent
à empêcher la propagation du Covid-19,
et a évité un possible désastre
épidémiologique dans cette région sous
blocus, très peuplée et très pauvre.
La bande de Gaza,
n’a pas connu de pénurie de masques, car
deux usines ont commencé à en fabriquer
dès la fin du mois de mars dernier pour
le marché local et même pour
l'exportation à l'étranger.
Il n'y a pas eu de
panique ni de manque de produits
alimentaires : de nouvelles grandes
surfaces ouvrent leurs portes partout
dans la bande de Gaza.
Le quotidien de la
population civile (médecins, jeunes,
autorités sanitaires, familles entières)
pendant l'épidémie a été et est d’une
volonté sans faille, mais les médias
étrangers ne parlent jamais de cela.
Fin mai, on est
passé à un déconfinement progressif,
avec la réouverture des lieux de cultes,
des salles de mariage et des plages.
Dans les
Territoires palestiniens, y compris dans
la bande de Gaza, les examens du
baccalauréat ont été passés début juin,
dans le respect des consignes
sanitaires, alors que les épreuves ont
été annulées dans plusieurs pays.
L'année universitaire s'est achevée en
juin, à distance et avec succès.
Hommage soit rendu
à ces médecins, infirmiers et personnels
de santé qui gèrent une situation dans
des conditions extrêmement difficiles !
Nous sommes dans la
deuxième moitié de l'an 2020 et Gaza est
toujours débout, elle continue à
s'accrocher à la vie même dans cette
nouvelle épreuve sanitaire et
humanitaire.
Malgré un double
confinement pour la population, en ce
début d'été les Palestiniens continuent
d'aller à la plage, alors que dans
beaucoup de pays les plages sont
fermées.
Les jeunes qui
voulaient quitter Gaza disent maintenant
que la bande de Gaza est devenue le lieu
le plus sûr au monde ! Les Palestiniens
qui avaient habitude de communiquer avec
les étrangers sont entrain de
communiquer entre eux, notamment les
étudiants et les enseignants.
Parmi les
Palestiniens originaires de Gaza qui
vivent et étudient à l'étranger beaucoup
sont actuellement bloqués, non pas à
Gaza, mais à l'étranger ! Ils rêvent de
revenir à Gaza «la région la plus sûre
au monde», selon le ministère
palestinien des affaires étrangères.
Plus de 10.000 palestiniens originaires
de Gaza, étudiants et résidents, veulent
revenir à Gaza, car dans cette situation
mondiale particulière, avec le
confinement et les mesures préventives,
Gaza est devenue pour eux un havre de
paix par rapport à d'autres pays.
Comment en est-on
arrivé là ?
Est-ce une volonté
en fer d'une population déterminée ?
Est-ce un
phénoménal paradoxal ?
Est-ce Gaza est une
ville contradictoire ?
Est-ce la faillite
des rapports d'experts ?
Les experts n'ont-ils rien
compris à la volonté de ce peuple
courageux ?
Est-ce la capacité
de la société civile de prendre en main
son destin ?
Est- ce une
maîtrise de la situation et une bonne
gestion de la crise ?
Est-ce l'expérience
de 14 années de blocus ?
Est-ce une façon à
compter sur ses propres forces ?
Est-ce c'est une
preuve de la vitalité du peuple
palestinien pleine de ressources ?
Est-ce une capacité
d'adaptation et d'inventivité ?
Est-ce la solidité
d'une population rendue plus forte après
les différentes épreuves : blocus,
pénuries, offensives militaires,
agressions israéliennes vécus au
quotidien ?
Est-ce l'amour de
la vie et l'attachement à leur terre ?
C'est vrai, il y a
eu une stratégie, des efforts, un
soutien international, mais c'est bien
la population civile très déterminée,
avec des liens sociaux très forts, qui a
montré de nouveau sa patience et sa
capacité d'adaptation, malgré une
souffrance permanente. Une population
qui tient bon et qui vit au jour le jour
dans l’attente et l'espérance.
C'est vrai, Gaza a
été épargnée jusqu'à présent par le
virus mortel. Mais des virus plus
dangereux pour la Palestine sont
toujours là : ils s’appellent
occupation, colonisation, l'annexion,
blocus et l'apartheid.
Les analyses et poèmes de Ziad Medoukh
Le dossier des prisonniers palestiniens
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