Actualité
Coronavirus : face à l'injonction
d'unité nationale,
les oppositions
refusent de se taire
RT
Emmanuel Macron
lors de son intervention à Mulhouse le
25 mars 2020,
a fustigé tous ceux qui
provoqueraient la division et la
fracture dans le pays.
© POOL Source:
Reuters
Samedi 28 mars 2020
Source :
RT
Si les Français
attendent chaque jour les annonces
gouvernementales, les oppositions
tentent d'exister pour livrer leurs
réponses face à la crise. Une mission
délicate. Alexis Corbière, Patrick
Kanner et Lydia Guirous nous livrent
leur point de vue.
La crise du Covid-19
a relégué le débat politique au second
plan. L'épidémie et les mesures de
confinement ont en effet placé l'urgence
sanitaire au sommet de l'agenda. Dans
cette optique, Emmanuel Macron a
précisément employé le terme de «guerre»
pour décrire la situation, demandant
l'unité et s'attaquant aux «facteurs de
divisions» et à tous «ceux qui
[voulaient] fracturer le pays». Selon
ses mots, il faudrait même
s'«immobiliser dans l'unité». Dans ce
contexte, il n'est pas simple, pour les
différentes oppositions de critiquer les
choix faits par le gouvernement, sous
peine d'être rangées du mauvais côté,
ciblé par Emmanuel Macron. «Cette mode
saugrenue de l'union nationale pendant
les crises n'est qu'une énième ineptie
et soumission à la dictature de
l'émotion médiatique collective, mélange
de mièvrerie et d'entre-soi
contre-productif... On a pu le vérifier
durant les attentats islamistes»,
déplore, pour RT France, la porte-parole
des Républicains (LR) Lydia Guirous,
notant que «la Chine n'a jamais parlé de
guerre lors du Sras [épidémie qui a
causé des centaines de morts en Asie
entre 2002 et 2003]».
Cette mode
saugrenue de l'union nationale pendant
les crises n'est qu'une énième ineptie
et soumission à la dictature de
l'émotion médiatique collective, mélange
de mièvrerie et d'entre-soi
contre-productif
Le chef de file des
sénateurs socialistes (PS), Patrick Kanner, critique, lui aussi pour RT
France, mais de manière plus mesurée,
l’expression d’unité nationale : «Je
préfère l’expression de responsabilité
nationale. La responsabilité n’empêche
pas d’être critique. Par exemple, nous
nous sommes abstenus sur le projet de
loi sur l'état d'urgence sanitaire.
Cette abstention ne signifie pas qu’on
ne reconnaît pas l’urgence qui est
devant nous, mais doit nous permettre de
dire que nous ne sommes pas totalement
d’accord avec les mesures prises,
d’abord en matière du droit du travail
ou sur les insuffisances de financement
de l’hôpital public.»
Car,
effectivement, la majorité
présidentielle semble bien décidée à ne
pas laisser l'opposition monter au
créneau sur les éventuels défauts de la
gestion de la crise par l'Etat. Dans un tweet publié le 26 mars, le président
des députés de La République en marche,
Gilles Le Gendre est clair. Pour lui,
«les Français ne comprennent pas le
double langage de l'opposition :
l'étendard de l'unité dans une main ; la
dague politicienne dans l'autre».
«Veulent-elles gagner la guerre contre
le coronavirus ? Qu'elles le prouvent
par leur courage. La controverse
démocratique, c'est après !»,
s'exclame-t-il.
Interviewé par nos
soins, le député La France insoumise
(LFI) Alexis Corbière met pour sa part
en garde le gouvernement : «A aucun
moment la démocratie ne doit être
suspendue. Vu que le président a eu un
vocabulaire un peu martial, en évoquant
la "guerre", je rappellerai que même
pendant la Première Guerre mondiale – je
mesure la comparaison – le Parlement
jouait son rôle. Nous sommes des
Républicains et c’est un cas à toujours
garder en tête.» «Que veut-on ? Que
l’opposition se taise ? Qu’on dise bravo
à tout ? Non, je ne suis pas d'accord
!», ajoute l'élu de Seine-Saint-Denis.
Que veut-on ? Que l’opposition se taise
? Qu’on dise bravo à tout ? Non
A
entendre Gilles Le Gendre ou Emmanuel
Macron, on pourrait ainsi penser que les
oppositions, par leurs éventuelles
critiques, seraient en mesure de
fracturer le pays. De fait, faut-il que
l'opposition stoppe toute controverse
démocratique parce que l'état de
«guerre» est décrété ? Pour les
oppositions et nos interlocuteurs, cet
argument n'est pas valable. Au
contraire, pour Lydia Guirous «il faut
une opposition renforcée, innovante et
vigilante en période de crise». Alexis
Corbière constate de son côté que le
gouvernement est bel et bien à l'origine
des divisions, en cette période de crise
: «Je ne vois pas en quoi les débats que
nous posons aujourd’hui gênent. Quand on
voit l’état de saturation de nos
hôpitaux publics, dans l’incapacité à
distribuer des masques... S’il y a des
des gens qui doivent s’inquiéter dans le
rapport qu’ils ont avec la société,
c’est quand même ce gouvernement et,
peut-être, les précédents par leurs
mauvaises décisions. L’utilité même de
la période actuelle fait que tout ceci
ne doit pas être oublié. S’il y a des
leçons à tirer de tout cela, c’est qu’il
y a vraiment d’autres choix à faire, que
d’autres choix sont possibles. L’heure
viendra de cette discussion.»
Pour
Patrick Kanner, la crise exige que cette
discussion «revisite la notion de
service public, la notion de la place
des cols bleus dans notre société, la
reconnaissance de l’hôpital public dans
un grand système de santé, coûtant de
l’argent mais qui correspond à un modèle
de société».
Les oppositions politiques
veulent incarner une solidarité
constructive et critique
L'opposition
aimerait de ce fait une attention un peu
plus grande, d'autant plus que le
gouvernement a depuis plusieurs semaines
rétropédalé dans ses actions, tenu une
communication maladroite et posé, en
début d'épidémie, un diagnostic loin
d'être exact concernant le risque de
propagation au sein de la population.
Coronavirus : un collectif de soignants
réclame la publication des commandes de
masques et de tests
Alexis Corbière
explique que le but de l'opposition est
bien de «corriger» les actions
gouvernementales, en se rendant «utile
pour sortir de la crise» : «Nous
relayons les bonnes préconisations et je
saluerai les bonnes décisions, comme
lorsque des mesures de confinement ont
été prises. Sauf qu'on est souvent dans
le flou ! Je suis par exemple intervenu
à l'Assemblée pour dénoncer le manque de
définition claire et précise de ce
qu’est une activité essentielle sur le
plan économique [c'est à dire les
secteurs impactés par les nouvelles
ordonnances du droit du travail]. On est
aussi en face de réponses langue de bois
du gouvernement qui semble subir les
événements, sans les maîtriser. Et puis,
quand le président de la République dit
aux Français que s'ils veulent aider à
vaincre le rester à la
maison et, peu après, il invite les gens
à aller bosser... ce sont des
préconisations contradictoires. Pour
moi, ce n’est pas clair. Et le dire,
c'est utile au débat. Durant les
questions au gouvernement, on a relayé
les préconisations de l’OMS, qui
recommande de faire des tests. On nous
répondait que cela ne servait à rien.
Aujourd’hui, on dit que c’est utile. On
a demandé des masques... J’observe que,
d’une semaine à l’autre, dans les
réponses du gouvernement, les choses sur
lesquelles ils répondaient négativement,
sont aujourd’hui mises en place.»
Le
travail de parlementaire d'opposition ne
se limite d'ailleurs pas à l'Hémicycle
ou au Palais du Luxembourg, mais s'étend
sur le terrain, dans la circonscription,
pour le député du 93 : «J’ai des
relations assez régulières avec le
préfet pour l’alerter sur les
populations fragiles. Je pose les
questions : Que fait-on ? Les épiceries
sociales qui ferment, qu’est-ce qu’on
fait ? etc. Je crois que notre rôle,
c'est aussi l'interpellation, tout en
ayant des réflexions par des articles,
de déclarations sur d’autres choix
possibles, en matière d'investissements
publics notamment.»
On voit bien,
puisque nous sommes en temps de guerre,
que les munitions ne sont pas
suffisantes
Des critiques, les
oppositions en ont donc, tout en vantant
un esprit constructif. Patrick Kanner
insiste sur le fait que l'opposition
socialiste n'a absolument pas pour
objectif de «mettre de l’huile sur le
feu» en pleine pandémie, en renonçant
par exemple à déposer des recours devant
le Conseil constitutionnel sur le projet
de loi d'urgence sanitaire : «Il y avait
matière pour déposer des recours, mais
on ne l'a pas fait. On a pris nos
responsabilités. On ne remet donc pas en
cause l’urgence sanitaire et le fait que
le gouvernement doit avoir tous les
moyens pour agir. Cependant, tous les
moyens pour agir ne l’exonèrent pas de
ses responsabilités antérieures et
surtout dans un minimum de respect pour
nos libertés publiques.»
Lire aussi :
Bourdes, provocations...
la porte-parole du gouvernement Sibeth
Ndiaye est-elle sur la sellette ?
L'élu
PS évoque notamment une réunion tenue
fin février à Matignon, qui avait réuni
l’ensemble des partenaires, les
présidents de groupe parlementaires et
les chefs de partis : «On parlait de
pénurie de masques, de tests… Il y a un
mois tous les signaux étaient en train
de passer au rouge et pourtant les
élections municipales se sont tenues.»
Patrick qu’il y ait d’amnésie. Le président qui
s’exprime aujourd’hui ne doit pas
oublier les mesures que nous avons
combattues depuis deux ans et demi et
qu’il a prises dans ce pays… Ce n’est
certes pas le président qui a ramené le
coronavirus dans notre pays mais on voit
bien, puisque nous sommes en temps de
guerre, que les munitions ne sont pas
suffisantes.» «Tout le monde avec
humilité doit se remettre en cause,
comment se fait-il qu’un grand pays,
comme le nôtre, ne fabrique plus de
masques, qu'on soit devenu dépendant en
matière de médicaments, que l’hôpital
public soit dans une telle situation ?»,
poursuit Alexis Corbière, anticipant le
fait que le XXIe siècle sera «sans doute
celui des épidémies».
Sur les
responsabilités, on sent d'ailleurs les
oppositions passablement agacées. Elles
notent que le gouvernement et la
majorité LREM cherchent déjà à
culpabiliser l'ensemble de la classe
politique, lorsque le temps de
l'inventaire post-crise viendra. «Ils
essaieront de remonter le plus loin
possible dans les responsabilités des
autres gouvernements», prédit le
sénateur Patrick Kanner, qui pointe du
doigt les atermoiements du gouvernement
: «Entre-temps, il y aura eu des
milliers de morts, avec surtout un
exécutif qui était à la manœuvre. Or, le
confinement aurait dû être plus rapide.
Et personne ne m’expliquera qu’on
pouvait dire le jeudi [12 mars], avant
le premier tour de l'élection
municipale, qu’on pouvait faire croiser
des milliers de Français dans les
bureaux de vote le 15 mars et le lundi
soir [16 mars] confiner. Il y a quelque
chose qui ne colle pas.»
Il y a une
manière de nous embarquer pour dire
"tous responsables, donc finalement
personne responsable", c’est une
manœuvre politicienne
Pourtant,
à
entendre le gouvernement, les
oppositions s'étaient prononcées en
faveur de la tenue du premier tour. Les macronistes tentent de développer une
responsabilité collective en affirmant
que personne, politiques compris,
n'avait pu prévoir cette crise et donner
ses solutions. Un faux procès avec, de
surcroît, un «mensonge», selon Alexis
Corbière : «Il y a une manière de nous
embarquer pour dire "tous responsables,
donc finalement personne responsable",
c’est une manœuvre politicienne avec un
mensonge. Jamais Jean-Luc Mélenchon, ni
qui que ce soit, n’a été invité à donner
son avis sur le maintien ou non des
élections municipales. Nous n’avions
pas, par ailleurs, tous les éléments
scientifiques que le gouvernement avait
pour juger.» Le propos est corroboré par
Patrick Kanner, qui se permet de
défendre le président LR du Sénat Gérard
Larcher, aujourd'hui
accusé par certains macronistes d'avoir fait pression sur le
chef de l'Etat pour maintenir le premier
tour : «Ne demandez pas à l’opposition
d’avoir les mêmes informations que
l’exécutif peut avoir… Quand le
président de la République interroge
Gérard Larcher – qui n’est pas ma
sensibilité – pour essayer de le
convaincre qu’il ne fallait pas
organiser des élections municipales...
Cela veut donc dire que le président
estimait en son for intérieur qu’il ne
fallait pas faire les élections
municipales. Donc il ne fallait pas les
faire. S’il en était persuadé, en toute
conscience, en toute responsabilité, il
ne fallait pas les maintenir et ne pas
prétexter le comité scientifique. Mais
là, vous voyez bien qu’il y a eu des
milliers de contaminations pendant ces
élections.»
Le temps médiatique est à la
parole officielle...
au détriment des
opposants politiques
Malgré ce discours
d'alerte, l'opposition n'a pas une cote
de popularité flamboyante. 72% des
Français, dans un sondage
Odoxa du 27
mars, estiment ainsi que l'opposition
n'est pas à la hauteur de la situation.
Une étude qui relève malgré tout une
légère contradiction dans l'opinion : si
65% des sondés pensent en parallèle que
«le gouvernement n’est pas à la hauteur
de la situation», les cotes d'Edouard
Philippe et d'Emmanuel Macron
progressent. Pour Odoxa, cela reste
logique puisqu'il s'agirait d'«un
réflexe d’union nationale». Ces chiffres
peuvent probablement s'expliquer par
l'une des conséquences de cette crise :
le couple exécutif Emmanuel
Macron/Edouard Philippe, épaulé par le
ministre de la santé Olivier Véran et la
porte-parole du gouvernement Sibeth
Ndiaye, inondent les médias. Et
l'opposition a bien du mal à rester
visible. «Là il y a des effets
d’illusions, les gens écoutent
particulièrement la parole du
gouvernement, cela ne veut pas dire,
pour autant, qu’à long terme, les gens
considèrent qu’il n’y a rien de
critiquable dans toute cette période»,
analyse Alexis Corbière, qui en profite
pour mettre en cause le traitement
médiatique.
Il est évident que la crise
permet au gouvernement d'étouffer
l'expression de l'opposition et que par
ailleurs toute voix discordante sera
clouée au pilori médiatique avant même
d'avoir été analysée
Dans cette logique,
son collègue Adrien Quatennens a
d'ailleurs adressé un courrier au CSA le
27 mars «après avoir constaté la sous-représentation des forces
d’opposition dans les principales
matinales et émissions politiques depuis
le début de cette crise» : «Si la parole
des scientifiques est nécessaire dans
ces émissions, la parole politique
apparaît désormais presque réservée au
gouvernement. En citoyens avant tout,
les auditeurs et téléspectateurs ont
droit à la pluralité politique dans les
médias.» Alexis Corbière prolonge le
raisonnement : «On trouve qu'il y a
quand même une petite disparition des
oppositions au sens large. Le service
public a fait une émission [sur le
Covid-19, le 26 mars] où on a été
totalement effacés. Je ne défends pas
que LFI. Tout le monde doit participer
au débat, l’enrichir, faire entendre ses
critiques…» «Il est évident que la crise
permet au gouvernement d'étouffer
l'expression de l'opposition et que par
ailleurs toute voix discordante sera
clouée au pilori médiatique avant même
d'avoir été analysée, c'est
regrettable», avance Lydia Guirous, qui
prend l'exemple du débat sur la
chloroquine, qu'elle défend comme étant
«actuellement le seul traitement dont
nous disposons dans le monde...»
Je
pense qu’à un moment donné, on
s’expliquera devant la nation
Quant à
Patrick Kanner, il ne souhaite pas
cumuler les interventions médiatiques
pour exprimer «les défaillances et les
faiblesses d’appréciation du
gouvernement» : «Aujourd’hui ce qu’il
faut, c’est sauver des vies. Je pense
qu’à un moment donné, on s’expliquera
devant la nation. Ce sera le rôle du
Parlement que de contrôler l’action qui
a été menée par le gouvernement. Mais à
ce stade, il ne faut pas rajouter de la
crise à la crise. C’est inutile.»
L'opposition tente de trouver un juste
milieu dans cette phase incertaine :
elle redoute d'être accusée d'être dans
la politique politicienne en cas de
reproches trop virulents, tout en
s'efforçant d'apporter sa contribution
critique d'alerte. «Je crois qu'il ne
faut pas prendre les Français pour des
idiots, ils savent très bien voir
lorsqu'une opposition est productive en
termes d'intérêt général, cela a
toujours été le cas pendant les deux
conflits mondiaux ou la décolonisation»,
conclut Lydia Guirous. En plein climat de défiance politique, reste à convaincre les Français que les oppositions agissent bel et bien en ce sens.
Bastien Gouly
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Publié le 29 mars 2020
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