Massacres à Gaza
Témoignage du Dr Régis Garrigue la nuit dernière, à Gaza
Photo Help Doctors
Jeudi 15 janvier 2009
4h du matin. Il fait un froid glacial. Tous les patients valides
et le personnel de l’hôpital Al Quds de Gaza sont cachés dans
les couloirs. Depuis 23h, les bombardements sont
incessants. Ils viennent de redoubler d’intensité. Le
bâtiment tremble. Les chars Israéliens sont à quelques centaines
de mètres. Une détonation plus forte que les autres nous
précipite dans les couloirs. Avec beaucoup de sang froid, les
infirmiers du service de chirurgie apportent des masques de bloc
opératoire à tout le monde. «Mettez cela, ils utilisent des
gaz», me conseille Ahmad, jeune infirmier, dans un anglais
parfait.
Dans cette ambiance indescriptible, je retrouve Ibrahim. Un
vieil ami avec qui j’avais déjà travaillé dans les ambulances du
Croissant Rouge en 2001. Il est venu se réfugier à l’hôpital
avec ses enfants. « La maison en face de la mienne vient
d’être bombardée et détruite. Mes 5 enfants devenaient fous. Ils
avaient peur et m’ont demandé de faire quelque chose, alors on
est sorti en courant dans la nuit, et nous voilà », me dit
il en ajustant cette ridicule protection de papier sur son
visage.
J’ai mal au crâne. L’odeur est très forte. Ca sent le
souffre, comme dirait des vieux grognards, c’est « l’odeur du
canon ».
On ne sait plus très bien où l’on est et ce qui se passe.
Chacun traine, dans le couloir en marchant ou fumant pour se
réchauffer. La fatigue accumulée n’arrange rien. En 3 nuits,
nous avons dû dormir 5 ou 6h. Il n’y a plus rien à
manger. Nos collègues nous ont trouvé pour diner un peu
de pain, du fromage et une tomate. C’est tout.
Alors que depuis quelques minutes, les tirs de char ont
cessé, le bruit typique des bombardements des F 16 viennent de
reprendre. Un sifflement très long, un grand moment
d’angoisse où on se demande « où cela va tomber », puis une
explosion d’une violence rare qui sidère tout le monde.
L’hôpital Shiffa de Gaza, annonce déjà 10 morts et de
nombreux blessés. Nous proposons immédiatement de
recevoir les victimes les plus proches de nous. Nos deux
chirurgiens peuvent opérer toute la nuit s’il le faut. Mais cela
n’est pour l’instant pas possible car les chars sont trop près.
Le « 101 », le numéro unique des urgences, a reçu de très
nombreux appels pour des blessés graves gisants sur le sol. Pour
l’instant, ils ne sont pas accessibles et vont devoir attendre
des heures que la Croix Rouge Internationale obtienne
l’autorisation de l’Armée Israélienne d’envoyer une ambulance.
Comment est-il possible que ce soit ceux qui bombardent
qui décident à quel moment les blessés peuvent être pris en
charge ?
A Gaza, il n’y a ni accès libre aux blessés, ni
protection des civils. Ce sont deux violations
manifestes du Droit Humanitaire International.
La frustration est forte pour notre équipe.
Nous sommes venus pour réanimer et opérer les blessés. Mais
cette nuit, ils ne peuvent même pas arriver jusqu’à nous !
Comment concilier la passion de notre engagement médical et la
frustration de ne pas soigner ce soir ?
Nous savons les dégâts que font en ce moment ces terribles
armes de guerre sur des civils sans défense. Une des
horreurs de cette guerre, c’est l’impuissance face à autant
d’injustice. Ceux qui tirent les bombes sont
invisibles, inaccessibles ou bien cachés dans un tank. Ils
devraient regarder de plus près les effets de leurs armes sur
les femmes et les enfants de Gaza. Je ne suis pas persuadé que
les mères et les enfants des soldats puissent être très fiers de
ces exploits guerriers et meurtriers.
Avec plus de 1000 morts et 4000 blessés en 3 semaines, cette
guerre sur Gaza ne servira à rien.
Tous ces pauvres gens sont morts pour rien. Le
Hamas n’a aucune raison de quitter le pouvoir et Israël n’a
aucune raison de libérer les frontières.
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