Résumé du rapport conjoint de HaMoked et
B’Tselem, octobre 2017
Sans protection :
La détention des adolescents
palestiniens à Jérusalem-Est
CPI
Photo :
CPI
Mardi 31 octobre 2017
Par
B’Tselem/HaMoked
Les adolescents
palestiniens de Jérusalem-Est sont tirés
de leur lit en pleine nuit, inutilement
menottés puis obligés de passer beaucoup
de temps à attendre que leur
interrogatoire ne commence. C’est
seulement alors, quand ils sont fatigués
et brisés, qu’ils sont emmenés pour de
longues sessions d’interrogatoire, sans
avoir eu la possibilité de parler à un
avocat ou à leurs parents avant le début
de l’interrogatoire et sans comprendre
qu’ils ont le droit de rester
silencieux. Ensuite ils sont détenus
dans le centre de détention dans des
conditions très dures, pendant des jours
et des semaines, même une fois
l’interrogatoire terminé. Dans certains
cas, tout ce processus est accompagné de
menaces, de violences verbales et
physiques – avant et pendant
l’interrogatoire. Arrestation d'un
adolescent à Jérusalem-Est (source photo
Addameer)
Une fois que les
garçons sont officiellement arrêtés,
leurs parents sont exclus de la
procédure. A aucun moment les autorités
chargées de l’application de la loi ne
les considèrent comme importants dans
l’instruction ou comme des personnes
habilitées à protéger leurs enfants. Ils
ne reçoivent qu’un minimum
d’informations sur ce qui se passe pour
leur fils ou sur ses droits. Ils ne sont
autorisés que très rarement à rencontrer
leur enfant. Les parents sont laissés
dans l’impuissance, incapables d’aider
leur propre enfant.
Sans la protection
de leurs parents ou de tout autre adulte
en qui ils peuvent avoir confiance, et
au mépris total de leur jeunesse, les
garçons doivent endurer tout ce
processus loin de leur famille, loin de
leur vie quotidienne et de ce qui leur
est familier. Ils se retrouvent dans une
situation menaçante et déstabilisante,
aucun des adultes autour d’eux ne
prenant la peine de leur dire ce qui se
passe. Personne ne leur explique où ils
sont emmenés, de quoi ils sont
soupçonnés, quels sont leurs droits,
avec qui ils peuvent s’entretenir,
combien de temps durera le processus et
quand ils retourneront dans leur famille
et leur foyer. Pire encore, les
témoignages des garçons indiquent que
les adultes qui les entourent –
policiers, agents du service sécuritaire
israélien (Israël Security Agency, ISA),
gardiens de prison et juges - les
traitent comme s’ils n’avaient
strictement aucun droit. Quand les
garçons font des demandes légitimes –
que ce soit à boire et à manger, une
serviette, aller aux toilettes ou parler
à leurs parents – la réponse est
considérée comme un geste de bonne
volonté, à la totale discrétion de qui
est en fonction.
Ces pratiques
laissent les services d’application de
la loi libres d’avoir recours aux
pressions pour les forcer à avouer. Et
en effet, beaucoup de mineurs détenus
signent des aveux involontaires (parfois
les aveux sont faux et parfois écrits
dans une langue qu’ils ne comprennent
pas) et ils sont ensuite utilisés comme
base de leur inculpation.
On retrouve cette
réalité sur 60 déclarations sous serment
que B’Tselem et HaMoked ont recueillies
auprès d’adolescents de Jérusalem-Est
qui ont été arrêtés et interrogés au
cours d’une période d’un an et demi, de
mai 2015 à octobre 2016. Certains de ces
garçons ont été libérés après
l’interrogatoire, tandis que d’autres
ont été inculpés. Les constatations qui
se dégagent de ces affidavits,
conjuguées aux nombreuses informations
rassemblées par HaMoked, B’Tselem et
d’autres organisations de défense des
droits de la personne, démontrent que la
situation décrite dans le présent
rapport est le mode principal de
conduite adopté par l’Etat d’Israël pour
traiter les garçons soupçonnés de jets
de pierre. Nous n’avons pas affaire à
quelques enquêteurs dévoyés ou à des
gardiens de prison qui enfreignent les
règlements. Il s’agit au contraire
purement et simplement d’une politique
suivie par les différentes autorités :
la police qui procède aux arrestations,
le service pénitentiaire israélien
(Israël Prison Service, IPS) qui
maintient les garçons dans des
conditions très dures et enfin les
tribunaux, où les juges prolongent
automatiquement la détention provisoire
des garçons, même dans les cas où, pour
commencer, l’arrestation était
injustifiée, même quand l’interrogatoire
est déjà terminé, et même dans les cas
où les garçons se plaignent d’être
soumis à des violences physiques.
Les autorités
s’assurent que cette politique demeure,
techniquement, essentiellement, dans le
cadre des dispositions légales : elles
émettent des mandats d’arrêt (du moins
parfois), les séances d’interrogatoire
sont (habituellement) effectuées dans
les heures permises par la loi, les
tribunaux prolongent la détention
provisoire pour des périodes prévues par
la loi, et les garçons signent des
confessions écrites. En outre, le
système comprend un mécanisme de
surveillance qui a le pouvoir d’examiner
les plaintes déposées par des mineurs
sur la conduite des officiers de police,
des gardiens de prison ou des
enquêteurs.
Mais tout ceci ne
fait que créer une apparence de légalité
du comportement, pour légitimer ces
procédures. Dans la pratique, le
comportement lui-même est basé sur une
interprétation littérale et technique
des protections accordées aux mineurs
par la loi et sur le recours aux
exceptions qu’elle prévoit. En ce qui
concerne les mineurs de Jérusalem-Est,
les garanties prévues par la loi sur la
jeunesse sont systématiquement réduites
à néant par les policiers, les gardiens
de prison et les juges qui considèrent
qu’en suivant les dispositions d’un
point de vue technique et symbolique,
ils respectent le droit.
Quelques exemples
frappants :
- L’arrestation :
Selon le droit israélien, les mineurs ne
peuvent être arrêtés que dans de rares
exceptions, et même dans ces cas, pour
une période la plus courte possible.
Cependant, les affidavits recueillis
pour la présente recherche montrent que
l’arrestation est en fait la ligne de
conduite favorite de la police. Dans
seulement 13% des cas, elle s’est
abstenue d’arrêter les garçons et les a
plutôt convoqués pour un interrogatoire.
Dans tous les autres cas, les garçons
ont été appréhendés chez eux ou dans la
rue et emmenés pour interrogatoire. Des
mandats d’arrêt ont été émis à l’avance
dans certains cas, mais toutes les
arrestations ont été approuvées
rétroactivement par les tribunaux, qui
ont également approuvé à plusieurs
reprises la détention provisoire des
mineurs après l’arrestation initiale
(injustifiée), y compris après la fin de
l’interrogatoire.
- Contraintes
physiques : Les contraintes ne peuvent
être exercées sur des mineurs que dans
des cas exceptionnels et pour la durée
la plus courte possible. Les
déclarations sous serment recueillies
pour la présente recherche montrent que
placer les mineurs en contention est la
règle plutôt que l’exception : dans 81%
des cas, les garçons ont été menottés
avant d’être emmenés dans le véhicule
qui les a emmenés à l’interrogatoire.
70% des garçons ont été maintenus en
contention lors des séances
d’interrogatoire, parfois mains et
jambes entravées.
- Interrogatoires
nocturnes : Le droit israélien interdit
des interrogatoires nocturnes des
mineurs, à part certaines exceptions
spécifiques. Néanmoins, un quart des
garçons ont déclaré avoir été interrogés
la nuit. De plus, 91% des garçons qui
ont été arrêtés chez eux l’ont été la
nuit, la plupart déjà endormis dans leur
lit. Même si au moins dans certains cas
les interrogateurs ont attendu le matin
pour commencer l’interrogatoire, les
garçons y sont arrivés fatigués et
effrayés après une nuit blanche.
- Violation des
droits : Les droits accordés aux mineurs
ont été consacrés par la loi pour les
aider à se protéger et à atténuer
l’immense déséquilibre des forces entre
eux et les enquêteurs. Ces droits sont
respectés d’une manière technique qui
les vide de leur sens :
° Le droit de
garder le silence : les interrogateurs
ont informé les garçons de leur droit à
rester silencieux dans seulement 71% des
cas, mais 70% d’entre eux n’ont pas
compris ce que ce droit signifiait et
ils ont craint que le fait de rester
silencieux leur porterait tort.
° Le droit à
l’assistance d’un avocat : Dans 70% des
cas, les enquêteurs ont permis aux
garçons de parler à un avocat avant
l’interrogatoire, mais ces conversations
étaient inadéquates et n’ont pas aidé
les mineurs à comprendre leurs droits et
la protection qu’ils leur garantissaient
– en particulier dans des cas où les
interrogateurs ont joint les avocats sur
leur propre téléphone, de sorte que les
garçons ont parlé à un avocat sur le
téléphone d’un enquêteur.
° Le droit à la
présence d’un parent pendant
l’interrogatoire : La loi garantit ce
droit aux mineurs soupçonnés d’avoir
commis une infraction, sous réserve
d’exceptions. Cependant, une fois en
état d’arrestation, la présence
parentale n’est plus un droit, bien que
la police ait le pouvoir de l’autoriser.
Dans 95% des cas, les garçons se sont
trouvés seuls dans la salle
d’interrogatoire, sans parents ni
proches.
- Dans la salle
d’interrogatoire : L’absence de
protection des droits des mineurs et le
fait qu’ils se retrouvent seuls dans la
salle d’interrogatoire signifient que
les enquêteurs peuvent leur nuire
physiquement et émotionnellement en
profitant des failles de la loi
israélienne qui autorise le recours à la
violence pendant un interrogatoire et le
fait que les mécanismes mis en place
pour enquêter sur les plaintes
concernant les mauvais traitements et la
torture sont inefficaces et non
dissuasifs puisque la plupart de ces
plaintes sont classées sans suite.
Confortés de savoir que leurs supérieurs
ne trouvent rien à redire à leur
comportement, qu’en réalité ils les
soutiennent et qu’aucune action ne sera
lancée contre eux, les policiers, les
gardiens de prison et les enquêteurs
peuvent continuer à nuire aux mineurs en
toute liberté. Les enquêteurs profitent
de cette situation. 70% des garçons
n’ont été interrogés qu’une ou deux fois
; 25% des garçons qui ont signé des
affidavits pour ce rapport ont déclaré
que les interrogateurs employaient un
certain degré de violence contre eux ;
55% ont fait état de cris, de menaces et
d’insultes de la part des interrogateurs
; 23% ont déclaré qu’on leur avait
refusé l’accès aux toilettes et 26% ont
dit que leurs demandes de nourriture ou
de boisson avaient été refusées. 43% des
garçons ont reçu leur premier repas plus
de 10 heures après avoir été placés en
détention. Cette méthode
d’interrogatoire est en partie ce qui a
amené 83% des garçons à signer des
aveux, dont 80% étaient en hébreu, de
sorte qu’ils n’ont pas compris les
déclarations qu’ils ont signées.
- Conditions de
rétention : La loi stipule que les
mineurs doivent être placés dans des
conditions adaptées à leur âge, ce qui
comprend une nourriture adéquate, des
services de santé, l’accès à
l’enseignement, des visites des
travailleurs sociaux et des membres de
leur famille et des communications
téléphoniques avec leurs proches. Dans
ce domaine aussi il existe des
exceptions qui permettent de refuser
certains de ces droits. Les conditions
de détention au poste de police du
Complexe russe à Jérusalem, où la
plupart des adolescents qui ont signé
des déclarations sous serment pour ce
rapport ont été emmenés, sont à des
années-lumière de ces dispositions, et
ne préservent pas la dignité des
détenus. La fourniture d’articles de
toilette était incomplète et
irrégulière. Aucun des garçons n’a reçu
de vêtements de rechange. En outre,
pendant leur détention au Complexe
russe, aucun des garçons n’a eu accès à
des activités intéressantes et la
plupart sont restés enfermés dans leurs
cellules la plupart du temps, de nuit
comme de jour. Les informations données
par les garçons indiquent qu’ils n’ont
été autorisés à contacter leurs familles
que dans de rares cas.
Ce comportement
démasque la politique israélienne, qui
autorise les autorités à continuer de
maltraiter les mineurs palestiniens tout
en recouvrant d’un voile de légalité des
abus généralisés, systématiques et bien
documentés des droits humains
fondamentaux de centaines de mineurs,
chaque année, depuis des décennies.
Il devrait être
évident que le système d’application de
la loi traite ces adolescents d’une
manière adaptée à leur âge, qui tienne
compte de leur maturité physique et
mentale, en reconnaissant que chaque
action peut avoir des répercussions à
long terme pour les garçons eux-mêmes et
pour leurs familles. Il devrait être
évident que le système traite les
garçons avec humanité et équité et leur
fournisse les protections de base. Mais
ce n’est pas le cas. Au contraire, le
système d’application de la loi les
traite comme les membres d’une
population hostile dont tous, mineurs et
adultes, sont présumés coupables jusqu’à
preuve de leur innocence, et emploie
contre eux des mesures extrêmes qu’il
n’oserait jamais utiliser contre
d’autres segments de la population. Le
système judiciaire israélien est, par
définition, d’un côté de la barrière, et
les Palestiniens de l’autre : les
policiers, les gardiens de prison, les
procureurs et les juges sont toujours
des citoyens israéliens, qui arrêtent,
interrogent, jugent et enferment des
adolescents palestiniens qui sont
considérés comme des ennemis nuisibles
aux intérêts de la société israélienne.
Cet aspect de la
vie à Jérusalem-Est ne peut pas être
séparé de la politique globale d’Israël
dans la ville. En 1967, Israël a
illégalement annexé environ 7.000
hectares de terres, soit environ 600
hectares qui constituaient la partie
jordanienne de Jérusalem, ainsi qu’une
partie ou la totalité des terres qui
appartenaient à 28 villages et villes
voisins. Il a toujours traité les
personnes vivant sur ces terres comme
indésirables et les autorités de l’Etat
et leurs agents ne les ont jamais
considérés comme ayant des droits égaux.
Toutes les
autorités israéliennes opérant à
Jérusalem-Est suivent une politique
visant à encourager les résidents
palestiniens à quitter la ville. C’est
pourquoi des interdictions draconiennes
sont en place sur la construction
résidentielle et les habitants de
Jérusalem-Est doivent vivre dans des
conditions de surpeuplement ou – en
l’absence de toute autre alternative –
risquer de construire sans permis et de
vivre dans la peur de la démolition.
C’est la raison
pour laquelle des politiques strictes
sont en place en matière de regroupement
familial, interdisant de fait aux
habitants de Jérusalem-Est qui ont
épousé des résidents d’ailleurs en
Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza de
vivre avec leur conjoint dans la ville.
C’est la raison pour laquelle la
discrimination institutionnelle et
systémique est pratiquée jusque dans la
budgétisation municipale et étatique,
les résidents de Jérusalem-Est souffrant
d’une infrastructure de qualité
inférieure et d’une pénurie chronique de
services publics.
Il n’y a aucune
justification aux mesures extrêmes que
le système d’application des lois
utilise contre les mineurs de
Jérusalem-Est. La réalité décrite dans
ce rapport fait partie des fondements du
contrôle israélien sur la population
palestinienne de Jérusalem-Est [*]. Tant
que ce contrôle se poursuivra, les
autorités israéliennes continueront
selon toute probabilité à traiter les
Palestiniens de Jérusalem-Est comme des
personnes indésirables et moins égales,
avec tout ce que cela implique. Un vrai
changement ne viendra que si la réalité
de Jérusalem-Est est complètement
révisée.
[*] et de
Cisjordanie occupée, ndt.
http://www.ism-france.org
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dossier Hamas
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