Centre Palestinien
d'Information
Interview exclusive
La négligence médicale est de plus en plus pratiquée,
tout le
monde doit assumer ses responsabilités
Photo CPI
19 juin
2008
Gaza – CPI
Le captif Ali Ad-Dahbour vient de quitter les
prisons de l’occupation israélienne. Il nous apporte son
témoignage des conditions difficiles dans lesquelles vivent tous
les captifs palestiniens dans les prisons israéliennes. La
négligence médicale ronge les captifs, les malades en
particulier.
Tout le monde doit réagir face à cette
politique de négligence médicale appliquée par l’administration
pénitentiaire israélienne envers les captives et les captifs
palestiniens.
Un autre problème préoccupe énormément les
détenus palestiniens dans les prisons de l’occupation
israélienne : c’est le phénomène des « pigeons ». Ce sont les
collaborateurs avec l’occupant qui se montrent être des
patriotes honnêtes pour tirer des aveux des prisonniers.
Ces propos, entre autres, ont été donnés par
Ad-Dahbour, deux semaines après sa sortie de la prison dans
laquelle il avait passé quinze longues années, à l’envoyé de
notre Centre Palestinien d’Information (CPI). En voici la
traduction de certains extraits :
L’arrestation
CPI :
Quand et pourquoi a eu lieu votre arrestation ?
Ali Ad-Dahbour :
Les Israéliens m’avaient arrêté le 12 novembre 1993, six mois
avant la mise en place de l’autorité palestinienne. On m’a
accusé d’avoir poignardé un colon israélien sur le barrage
militaire de Beit Hanoun…
CPI :
Comment se sont passées les années d’enfermement ?
Ali Ad-Dahbour :
Les plus difficiles étaient certainement les premières années.
C’est un grand changement entre la vie de liberté et celle
d’enfermement entre quatre murs. Tout captif ne doit que s’y
adapter.
Le problème le plus dangereux pour les captifs
reste ce phénomène des « pigeons ». [Ce sont des collaborateurs
avec l’occupation israélienne. Ils sont appelés ainsi du fait
qu’ils rentrent et sortent des prisons à leur guise.]
Les pigeons
CPI :
Voulez-vous nous donner un peu plus de détails sur ces pigeons ?
Ali Ad-Dahbour :
… Ces collaborateurs travaillent de façon bien élaborée. Ils
pratiquent des pressions psychologiques, beaucoup plus
dangereuses que la torture physique.
99% des aveux sont retirés par ces pigeons.
Quasiment dans chaque prison, il y a une division comportant
trente à cinquante collaborateurs. Ceux-là se cachent derrière
un masque d’honnêteté, de nationalisme, de patriotisme. Ils
deviennent des professionnels en la matière… Souvent, les
captifs leur font confiance et leur avouent certains de leurs
actes. Le lendemain, l’officier israélien de renseignements leur
montre les feuilles. Ils ne peuvent alors que les confirmer…
D’ici, je m’adresse à toutes les factions
palestiniennes pour qu’elles travaillent pour mettre le peuple
en général et les cadres en particulier au courant de ce qui se
passe dans les prisons, pour avertir tout le monde de ne rien
écrire dans la prison, pour ne pas s’y vanter.
Quinze ans !
CPI :
Vous avez passé quinze ans dans la captivité. C’est un temps
perdu de votre vie ?
Ali Ad-Dahbour :
Pas du tout. Dieu merci, la prison m’a beaucoup aguerri. C’était
dans la prison que j’ai rejoint le Hamas, ce mouvement résistant
et créatif dans tous les domaines. La prison est une expérience
enrichissante. D’aucuns disent que la prison est une école. Moi,
je dis qu’elle est plus grande que cela. C’est une usine
d’hommes…
CPI :
Qu’avez-vous fait dans la prison ?
Ali Ad-Dahbour :
J’ai beaucoup travaillé ma culture générale. J’y ai appris
plusieurs parties du saint Coran. J’y ai appris l’hébreu… Des
relations fortes avec des hommes venant de plusieurs horizons
sociales, de plusieurs villes, y ont été tissées.
CPI :
Le moral dans la prison ?
Ali Ad-Dahbour :
La prison reste en fin de compte une privation, une tristesse.
Mais il faut tout supporter. Le conflit est un combat de
volontés.
CPI :
Avez-vous rencontré une scène drôle, ou exceptionnelle ?
Ali Ad-Dahbour :
Une fois, des policiers sont entrés dans une cellule pour
agresser les prisonniers. Mais ce sont eux qui ont été frappés
par ces derniers, à un point qu’ils ont oublié leur chef dans la
cellule avant de s’enfuir. L’officier a eu la part de punition
qu’il méritait, avant qu’il ne puisse s’en tirer en rampant sur
le sol.
Par contre, les moments les plus difficiles
vécus dans les prisons israéliennes étaient l’époque de la grève
de la faim générale pratiquée en 2004, 18 jours durant… Les
autorités sionistes, dirigées à l’époque par Sharon, ont
confisqué même le sel, l’unique nourriture des grévistes…
Les souffrances des captifs
CPI :
Comment qualifiez-vous la situation dans les prisons ?
Ali Ad-Dahbour :
Objectivement, la situation est pratiquement calme, même s’il y
a toujours un état de conflit entre les captifs et
l’administration pénitentiaire. La question la plus inquiétante
reste cette négligence médicale. Elle prend de plus en plus
d’ampleur. Un phénomène de plus en plus dangereux et explicite.
CPI :
Que font alors les détenus malades ?
Ali Ad-Dahbour :
Trop difficile est leur cas. Catastrophique est le cas de
beaucoup de blessés. Je lance donc un appel aux brigades d’Al-Qassam
pour se concerter sur le sujet et essayer de les libérer.
Les relations
CPI :
Et pour ce qui est des relations entre les captifs eux-mêmes ?
Ali Ad-Dahbour :
Formidables sont ces relations. Ces sont des combattants qui
travaillent pour la même cause : l’honneur, le sacrifice, le
nationalisme. Mais après les évènements de juin 2006,
l’administration pénitentiaire a séparé les captifs selon leur
appartenance, en vu de semer un esprit d’antagonisme entre eux…
De grands évènements
CPI :
Comment décrivez-vous les sentiments des captifs pendant les
évènements suivants :
- Le retrait israélien de Gaza ?
Ali Ad-Dahbour :
C’était vraiment la grande joie. Nous n’y croyions pas. C’était
une grande surprise, un échec retentissant du projet sioniste.
Il nous a donné une force supplémentaire.
- La tombée
en martyre du cheikh Yassine et du président Arafat ?
Ali Ad-Dahbour :
La tombée en martyre a provoqué chez nous des sentiments
mitigés. Les Israéliens nous ont surpris en tuant un vieillard
handicapé. La tristesse nous a envahis. Toutefois et malgré le
choc, un sentiment de soulagement nous a effleuré l’esprit : le
cheikh a eu le martyre qu’il attendait à la fin de son parcours.
Quant à la tombée en martyre du président
Yasser Arafat, je reconnais maintenant ses valeurs après ce qui
s’est passé après lui. Il lui suffit le fait qu’il n’ait pas
cédé à Camp David, en 2000. Je sens qu’il est parti sans être
déshonoré.
- La signature de l’accord de la Mecque ?
Ali Ad-Dahbour :
Là aussi, un sentiment agréable nous a envahi. Nous suivions
l’évènement sur la chaîne satellitaire Al-Jazeera, minute par
minute. Les scènes d’allégresse de la bande de Gaza est arrivée
à nous. Mais ce n’était pas si long que cela. L’accord n’a pas
été appliqué.
- L’évènement militaire de juin 2006 ?
Ali Ad-Dahbour :
De ma cellule, j’ai remercié Allah pour avoir libéré Gaza à deux
reprises. Une fois des Israéliens. Une autre de leurs
collaborateurs, les corrompus.
- Le blocus de Gaza ?
Ali Ad-Dahbour :
Franchement, les captifs m’avaient chargé d’un message adressé
au président égyptien Hosni Mobarak et à la république
d’Egypte : C’est le moment pour que vous brisiez le blocus. Nous
savons que beaucoup de pressions sont exercées sur vous, et que
les situations sont complexes. Toutefois, il ne faut pas oublier
les souffrances d’un million et demi d’âmes.
Messages
CPI :
Portez-vous d’autres messages ?
Ali Ad-Dahbour :
Je porte un message au président Abbas, à Ramallah, et au
premier ministre Ismaël Haniyeh, à Gaza. Les captifs leur disent
que le passé est le passé, prenez le Liban comme exemple. Malgré
toutes les différences ethniques et religieuses, les Libanais se
sont réunis…
Et moi-même, je demande au président Abou
Mazen d’accepter la main tendue par le mouvement du Hamas ; si
tu comptes sur Olmert, sache qu’il est fini, corrompu.
Mon dernier appel, je l’adresse à toutes les
factions de la résistance pour enlever plus de soldats
israéliens ; c’est le seul moyen pour libérer nos captifs.
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