Opinion
Lettre de
l’intellectuel et universitaire Ahmed
Bensaada à Jamel Debbouze : «Pas
l’temps, mon frère!»
Dimanche 28 avril
2013 Non, le but de
cet article n’est pas de relater le
voyage de Jamel Debbouze en Israël, ni
de discuter de la kippa qu’il portait
devant le mur des lamentations. Ses
choix «touristiques» et vestimentaires
ne concernent que lui, surtout s’il a
des contacts privilégiés avec l’agence
de voyages qui lui a organisé son
escapade en terre «promise». Il n’a
pas aussi pour objectif de raconter ses
tribulations avec feu Jean-Paul Admette,
mort déchiqueté par un train alors qu’il
était en sa compagnie, accident
malheureux qui a coûté un bras à notre
humoriste. Il est vrai que les parents
du jeune décédé avaient déposé plainte
contre Jamel Debbouze pour homicide
involontaire, alléguant qu’il avait
poussé leur fils sous le train, mais il
serait bien malvenu de discuter la
décision de la justice française, qui
avait conclu l’affaire par un non-lieu.
Il n’a pas pour finalité, d’autre
part, de traiter de sa désolidarisation
vis-à-vis de son confrère et «ami» de
jadis, Dieudonné M’bala M’bala. On se
rappellera, néanmoins, de sa phrase, qui
restera dans les annales de l’improbité:
«J’ai compris, depuis, qu’on ne pouvait
pas rire de tout avec tout le monde.»
Non, Jamel Debbouze a le droit d’épouser
les causes qu’il juge justes et de
s’entourer des amis qu’il désire.
Surtout si ces derniers sont clients de
l’agence de voyages qui s’occupe de ses
déplacements ou font partie de ceux qui
ont été «légèrement» indiscrets sur ses
aventures ferroviaires lorsqu’il a
daigné compatir avec l’humoriste
persécuté.
Il n’y sera pas question, non plus, de
la polémique entourant le timing de sa
venue en Algérie et des allégations
selon lesquelles il voudrait «casser le
festival d’Algé’Rire», qui se déroulera
juste quelques jours après sa tournée.
Jamel Debbouze n’a-t-il pas le droit de
faire les spectacles qu’il veut, à
l’endroit qu’il désire et au moment
qu’il juge le plus opportun pour sa
carrière et ses finances?
Non, l’intention de cet article est
de narrer une histoire vécue, il y a
quelques années, par ma famille et
moi-même, et qui est très révélatrice
d’un aspect de la personnalité de Jamel
Debbouze, un des plus célèbres beurs de
l’Hexagone.
Pendant que nous attendions patiemment
dans un aéroport parisien que le
carrousel nous restitue nos bagages, mes
enfants aperçurent, un peu plus loin,
Jamel Debbouze en compagnie de sa douce
moitié. Lui aussi attendait ses valises
et, à part quelques regards curieux,
personne ne l’avait approché. Mon fils,
alors jeune adolescent, était aux anges
de voir une de ses plus grandes idoles.
Il voulait prendre une photo avec lui,
mais, intimidé et gêné, il n’osa pas
l’aborder. Nous l’encourageâmes
fortement, convaincus que cette «star»
ne pouvait refuser une chose aussi
banale à un de ses jeunes admirateurs.
Il prit alors son courage à deux mains,
mit un pas devant l’autre et,
finalement, réussit à lui demander
poliment la permission de se
photographier ensemble.
Jamel Debbouze le regarda et, d’un
air hautain, lui répondit : «Pas
l’temps, mon frère!» Drôle de réponse
pour quelqu’un qui, à ce moment, ne
savait que faire de son oisiveté. Mon
jeune adolescent de fils revint vers
nous tout penaud, blessé dans son
amour-propre, arborant un regard nous
accusant de l’avoir encouragé dans cette
humiliante entreprise. C’est à ce moment
que nous comprîmes que cet humoriste
n’était intrinsèquement pas drôle et
qu’il ne vouait aucun respect à son
public qui a fait de lui ce qu’il est
devenu. En fait, il ne jouait son rôle
d’amuseur public que devant un parterre
qui avait payé ses billets en espèces
sonnantes et trébuchantes!
C’est ce qui explique d’ailleurs les
prix d’entrée exorbitants fixés pour ses
spectacles algériens. Sait-il qu’avec
ces sommes demandées pour venir
«l’admirer», il excluait automatiquement
tous ces jeunes dont les parents ne sont
pas aisés et dont lui-même faisait
partie lorsqu’il vivotait dans sa
banlieue parisienne?
Il devrait prendre exemple sur
Dieudonné, de loin l’humoriste le plus
doué de sa génération, qui, lors de son
spectacle algérois, avait fixé le prix
des billets à des montants bien plus
modestes. Je me rappelle avoir
personnellement rencontré à Oran
l’actrice française Annie Girardot,
alors au faîte de sa popularité, après
la sortie de son film culte Mourir
d’aimer.
En ce temps, j’étais légèrement plus
âgé que mon fils lors de sa mésaventure
aéroportuaire et je me rappelle avec
quelle gentillesse cette réelle star
m’avait accordé de son temps. Nous
déambulâmes près d’une demi-heure dans
une des plus grandes artères d’Oran et
elle me raconta moult anecdotes sur elle
et Bernard Fresson, son compagnon de
l’époque. Encore aujourd’hui, je reste
impressionné par cette grande dame du
cinéma français qui m’a donné une leçon
d’humilité et de modestie qui devrait
être enseignée à certains banlieusards
starifiés. Mon fils est actuellement
étudiant dans une université canadienne.
Avant d’écrire cet article, je lui ai
demandé s’il aurait été intéressé de
voir un spectacle de Jamel Debbouze. Il
me répondit : «Pas l’temps, mon frère!»
Cela m’a fait sourire, mais je
m’attendais plus à ce qu’il me dise :
«J’ai compris, depuis, qu’on ne pouvait
pas rire de tout avec… n’importe qui!».
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