Opinion
Christophe Oberlin
: Lettre ouverte à la Ministre de la
recherche et de l'enseignement supérieur

Lundi 18 juin 2012
Le professeur
Christophe Oberlin répond ici à la
polémique ouverte contre lui par le
Conseil représentatif des institutions
juives de France (CRIF) qui a jugé
"scandaleuse", incitant à "la haine
d’Israël" une question posée aux
étudiants de la Faculté de Médecine de
l’hôpital Bichat, à Paris, dans le cadre
d’un examen de médecine. Cette question
qui présentait le cas d’un bombardement
de civils à Gaza par Israël devait
tester les connaissances en droit
international des étudiants. (S.Cattori)

Lettre Ouverte à la
Ministre de la Recherche et de
l’Enseignement Supérieur
«
Consternation, contravention à l’esprit
de neutralité et de laïcité, vive
émotion des étudiants et des enseignants
»… La presse s’en saisit, des
milliers d’internautes réagissent, des
sanctions sont demandées. Diable, de
quoi s’agit-il ?
Enseignant à la
faculté de médecine Denis Diderot à
Paris, j’ai depuis plus de trente ans
participé en parallèle à mes activités
de chirurgien et d’enseignant, à des
activités de type humanitaire. Et c’est
à ce titre que les étudiants en médecine
de la faculté sont venu me trouver il y
a quinze ans : « Nous
fondons une association humanitaire,
donnez-nous des idées et des projets ».
Quinze ans plus tard près d’un tiers des
étudiants partent ainsi en mission au
cours de leur cursus, certains
programmes que j’ai initiés fonctionnent
toujours, et certains de ces étudiants
travaillent à temps plein dans de
grandes ONG. Ce sont les mêmes étudiants
de la faculté qui sont venus me voir il
y a trois ans : « La
faculté vient de créer des certificats
optionnels, lancez un certificat de
Médecine Humanitaire ». Et ce
certificat optionnel fonctionne depuis
trois ans, avec un certain succès : 85
inscrits cette année.
Alors de quoi
s’agit-il ? Tout d’abord il s’agit d’un
certificat optionnel. Personne n’est
obligé de s’y inscrire. L’intitulé
initial de ces certificats était :
« certificats optionnels
obligatoires ». Ce qui signifie que
les étudiants doivent obligatoirement
valider un certain nombre de ces
certificats, mais que l’éventail du
choix est plus large que le nombre à
valider. La formule «
Certificat Optionnel Obligatoire »
n’étant pas très heureuse, elle a été
par la suite remplacée par la formule «
Certificat
Complémentaire Obligatoire ». Il
n’en demeure pas moins que nul n’est
obligé de s’inscrire au cours de son
cursus au certificat de Médecine
Humanitaire dont j’ai la responsabilité.
Quel est le
programme ? J’ai essayé de sortir du
cadre des cours magistraux de médecine
où quelques étudiants mutiques se
collent en haut de l’amphithéâtre,
enregistrent le cours et le diffusent
aux absents qui le «
bachoteront » la veille de l’examen.
Le titre des enseignements est
d’ailleurs « Conférences
ouvertes ». Vingt heures
d’enseignement, dix cours de deux heures
avec à chaque fois plus de trente
minutes de discussions avec les
étudiants. J’anime moi-même la totalité
des cours et des discussions, quels que
soient les thèmes et les orateurs. Et
mon message répété maintes fois aux
étudiants est : «
Laissez tomber vos crayons, on vous
demande d’être présents, d’écouter, de
réfléchir et de participer ».
Alors on écoute
parler un psychiatre ou un journaliste
du choc psychologique post traumatique.
Les nouveaux enjeux de l’action
humanitaire sont évoqués. Des
logisticiens parlent de
l’approvisionnement en eau, des médecins
de l’hygiène dans les camps de réfugiés,
de la transfusion sanguine, de la
gestion d’une pharmacie improvisée. Il y
a des cours techniques sur le traitement
des fractures ou l’anesthésie en
situation précaire. Mais aussi des
sujets plus généraux comme
« Médecine humanitaire
et formation », ou encore
« Humanitaire et
développement » ou « Humanitaire et
culture ». Ou encore «
l’Humanitaire hexagonal
» : eh oui, dans la France du XXIème
siècle, une partie de la médecine de
soins et de prévention reste le lot des
organisations humanitaires… Et un cours,
donné par un membre chevronné d’Amnesty
International, est évidemment consacré
au Droit Humanitaire.
Ainsi les
étudiantes et les étudiants (il y a une
forte majorité féminine, et c’est
d’ailleurs celle-ci qui participe le
plus, et de loin, aux discussions) ont
la chance de pouvoir côtoyer et tisser
des liens avec des orateurs et oratrices
de premier plan : ancien présidents
charismatiques d’associations
mondialement connues, ancien directeur
de l’Institut de Veille Sanitaire,
membre fondateur d’une association ayant
reçu le prix Nobel de la Paix, excusez
du peu ! Et cet enseignement dure depuis
trois ans, avec assez peu de
modifications d’une année à l’autre,
liées essentiellement au fait que j’ai
d’autres sujets intéressants et d’autres
orateurs de talents à introduire.
Alors évidemment
qui dit enseignement universitaire dit
contrôle des connaissances. Ce n’est pas
un examen sélectif qui est proposé. Tout
étudiant qui est simplement venu aux
cours en ressort avec un bagage
suffisant pour pouvoir passer l’examen
avec succès. Ainsi, pour la session de
juin de cette année (les copies ont été
corrigées avant la polémique), 80
étudiants sur 85 sont admis. Il y avait
quatre questions : deux questions
courtes « techniques »,
sur quatre points chacune. Deux
questions longues, sur 6 points. La
première : « Comment
monter un projet humanitaire » et la
seconde : un cas pratique de droit
humanitaire tiré d’un rapport d’Amnesty
International et déjà utilisé pour
l’enseignement dans les facultés de
Droit. Cas pratique qui avait été
présenté sous forme strictement
identique et discuté en cours, dans la
plus grande sérénité. Les cas pratiques,
appelés « cas cliniques
» sont largement utilisés pour
l’enseignement et les évaluations en
médecine (comme pour l’examen final de
fin des études médicales, le classique
« internat »). De
même que les questions à choix multiples
où d’ailleurs aucune des propositions
proposées par le jury d’examen n’est
nécessairement exacte. L’avantage des
cas pratiques par rapport aux Questions
à Choix Multiples est qu’on demande à
l’étudiant de discuter chacune des
réponses possibles, ce qui lui donne
l’occasion de montrer ses connaissances
et sa capacité d’analyse. Dans ce cas il
ne s’agissait donc pas d’un QCM. Il
était même précisé dans l’intitulé :
« Question longue ».
Alors, que ce cas
pratique, transmis par un étudiant
anonyme (étudiant du certificat ou pas
?) au CRIF ait produit une réaction du
même CRIF, rien de plus banal. Il y a
longtemps que nombreux sont ceux,
notamment dans le milieu des médias, qui
font abstractions de ses outrances, et
ce sera bien mon attitude.
Par contre, qu’un
président d’université, sans avoir
étudié l’enseignement dispensé, sans
avoir contacté l’enseignant responsable,
sans information autre que celle du
CRIF, se permette de s’adresser en
urgence à la presse, pose un premier
problème. Et pour dire quoi ? Condamner
un enseignant, parler de devoir de
réserve et d’atteinte à la laïcité,
provoquant le rire de tous les étudiants
en droit de France ! Son intervention
est évidemment politique, et s’il est un
devoir de réserve, le président devrait
sans doute montrer l’exemple !
Mon travail
humanitaire dans de nombreux pays et
depuis des décennies est connu. Mon
travail à Gaza l’est aussi, ainsi que
mon témoignage, qui a fait l’objet de
plusieurs livres. Le dernier en date,
« Chroniques de Gaza »,
est sorti il y a plus d’un an. Il a fait
l’objet de plusieurs dizaines de
conférences en France et à l’étranger,
dans des locaux associatifs, des
bibliothèques, des mairies, des
universités, des grandes écoles, sans
provoquer le moindre incident ! Et
cependant, il y a à peine quelques
semaines, une conférence, annoncée
publiquement depuis plusieurs mois,
devait avoir lieu un soir au lycée de
Lannion (sous- préfecture des Côtes
d’Armor). La veille le recteur de
l’académie de Rennes a interdit cette
conférence au motif «
qu’il s’agissait d’une période
électorale » ! Je ne savais pas que
Gaza était un enjeu électoral à Lannion
! J’ai envoyé au recteur mon livre et
une lettre aimable, dont j’espère
recevoir une réponse. On voit en tous
cas que, faute de pouvoir s’attaquer à
mes écrits, on s’attaque à la personne.
Cette affaire
excessive soulève plusieurs questions.
La première est celle de la formation
des responsables administratifs
universitaires. Une formation minimum
devrait sans doute être exigée dans les
domaines de l’administration, de la
gestion des ressources humaines, de la
communication et du droit. On ne peut
être surpris de déclarations absurdes
provenant d’une personne, surement
talentueuse, qui a passé une grande
partie de sa vie à rédiger une thèse de
physique sur « la
théorie des avalanches » !
L’autre question
soulevée est celle du droit d’enseigner,
inscrit dans la constitution française,
mais ceci est une autre affaire.
Christophe OBERLIN
- Professeur à l’Université PARIS VII
Paris, 18 juin 2012.
Christophe
Oberlin, chirurgien spécialisé
dans la microchirurgie et la chirurgie
de la main. Responsable de missions de
chirurgie réparatrice des paralysies
auprès des blessés palestiniens depuis
décembre 2001. Professeur des
Universités. Une centaine de
publications, deux livres traduits en
anglais, et en chinois. Responsable de
deux Diplômes d’Université. Auteur de
deux livres sur Gaza : “Survivre
à Gaza”, et “Chroniques
de Gaza 2001-2011”.
Source : Christophe
Oberlin
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