Interview
« La position de Hollande
vis-à-vis des Palestiniens est ignoble »
Christophe Oberlin
Le
Professeur Christophe Oberlin - D.R.
Dimanche 20 juillet 2014
Algeriepatriotique :
Professeur Oberlin, vous êtes connu pour
vos missions humanitaires dans la bande
de Gaza. Vous trouvez-vous sur les lieux
du conflit ? Sinon, avez-vous des échos
sur la situation actuelle dans les
territoires occupés ?
Professeur Christophe Oberlin :
Je vais trois fois par an à Gaza et,
d’habitude, j’y vais début juillet. Mais
cette fois-ci, j’y suis allé un peu plus
tôt, puisque c’est la période de
Ramadhan, et donc je m’y trouvais du 13
au 23 juin. A ce moment-là, il y avait
des bombardements épisodiques et tout le
monde, quelle que soit la tendance
politique, pensait que l’affaire était
enclenchée et qu’une guerre allait avoir
lieu. Des échos, j’en ai parce que j’ai
quelques contacts personnels et,
heureusement, les SMS continuent à
passer. J’ai eu plusieurs longues
conversations téléphoniques ces
jours-ci, mais je pense qu’il n’y a rien
d’original par rapport à ce que
rapportent les médias, en particulier
Al-Jazeera qui est présente sur place.
Depuis 13 ans, j’ai lié beaucoup
d’amitiés là-bas et j’espère qu’aucun de
mes amis ne va se faire tuer. Ce n’est
pas évident, vous savez. Un ami, dont
l’immeuble qui jouxte le sien est une
annexe du ministère de l’Intérieur,
m’avait dit – quand j’y étais, il y a un
mois – que quand la guerre va arriver,
la première bombe sera pour cet
immeuble. Evidemment, l’immeuble en
plein cœur de Gaza était vide, flambant
neuf, et mes amis et tous les habitants
des immeubles environnants se sont
retrouvés dans la rue, à 2h du matin,
pour aller se réfugier ailleurs. C’est
effrayant, surtout avec le système
absolument horrible qu’utilisent les
Israéliens : quand il y a un missile qui
tombe, on sait que dans les dix minutes
qui vont suivre, il y en aura un autre.
En tant que chirurgien et
responsable de missions de chirurgie
réparatrice auprès des blessés
palestiniens, vous avez dû assister à
des scènes et voir des images
insoutenables. Pouvez-vous nous en
parler ?
J’évite d’en parler parce que ça me
choque personnellement. Je n’aime pas
raconter cela, mais pour vous donner une
idée, j’ai fait, ces jours-ci, une vidéo
assez sévère contre la position de notre
président qui est absolument ignoble
vis-à-vis des Palestiniens. J’ai assorti
cette vidéo de certains photos et films
qui correspondent à des choses que je
n’ai pas filmées, parce que je ne filme
pas, mais qui ont été filmés pendant que
j’étais à Gaza durant les bombardements
lors de la guerre de 2008-2009. J’étais
sur place, à ce moment-là, et ces images
correspondent à des blessés qui ont été
ramassés et filmés. Nous pouvons voir
sur ces images des blessures horribles,
liées à ce qu’on appelle les «DIME» (Le
Dense Inert Metal Explosive). Je ne suis
pas expert, mais ce sont des bombes
faites pour tuer les personnes.
C'est-à-dire des bombes très puissantes
qui traversent le plafond et le béton et
qui, en explosant, s’attaquent au corps
humain. Elles ne sont pas faites pour
détruire les infrastructures, mais pour
tuer des personnes. Une bombe tombe dans
une pièce où il y a vingt personnes, ils
se retrouvent tous avec une amputation
des deux cuisses. Ce sont des scènes
épouvantables. J’ai vu des patients
présentant ces blessures, et ce n’est
pas récent, cela date des années
2006-2008. Sur mes vidéos, j’ai mis
quelques photos de ces blessés qui
meurent pratiquement tous. Ce sont des
explosifs très particuliers qui laissent
sur les blessés qu’on nous amène une
odeur très caractéristique ; ils sont
carbonisés et leurs membres sont
amputés. Je constate qu’on dénonce,
aujourd’hui, l’utilisation de ces bombes
DIME, malheureusement, c’est une vieille
habitude.
En dehors de l’enceinte des
hôpitaux palestiniens, avez-vous assisté
à des violences sur la population civile
?
90% des patients que je soigne, et c’est
la même proportion à chaque fois, sont
des civils. Vous voyez arriver toute la
famille, avec le grand-père, la
grand-mère, les enfants, etc. Il est
clair qu’il y a une volonté de tuer des
civils. Ce ne sont pas des bavures même
si Israël dément. Il faut une enquête
indépendante pour chacun de ces crimes
de guerre, qu’on peut qualifier de
crimes contre l’humanité. Je vous
rappelle la définition que tout le
monde, je l’espère, doit avoir en tête :
tuer un civil, c’est un crime de guerre,
tuer un civil intentionnellement, c’est
un crime contre l’humanité. Il n’y a
aucun doute, depuis toutes ces
années,Israël commet des crimes de
guerre et des crimes contre l’humanité
qui sont passibles de la Cour
internationale de justice et du TPI. Le
crime de génocide, c’est quand on tue
quelqu’un uniquement parce qu’il
appartient à un groupe, une religion,
etc. Il est aussi question de crime de
génocide juridiquement. On tue le
Palestinien parce qu’il est palestinien.
On tue les populations civiles
palestiniennes parce qu’elles sont
palestiniennes. Donc, il y a trois
niveaux juridiques qui devraient être
envisagés dès maintenant concernant la
guerre actuelle.
Vous êtes connu pour avoir des
liens d’amitié avec de hauts
responsables du Hamas. Ce dernier
pense-t-il être en mesure de repousser
l’armée israélienne qui a commencé son
offensive terrestre contre Gaza ?
Absolument, et ce n’est pas un secret.
Avec beaucoup de courage, ils répondent
avec des tirs de roquettes aux attaques
israéliennes qui se répètent. Et toutes
ces attaques se sont soldées par des
cessez-le-feu qui n’ont rien réglé sur
le fond et en particulier depuis le coup
d’Etat en Egypte. Dès le premier jour –
j’étais à Gaza en ce moment-là – le
premier message qui a été passé c’est
que la frontière entre la bande de Gaza
et l’Egypte sera fermée jusqu’à ce que
le Hamas chute. A partir de ce moment,
l’économie a été asphyxiée. Ce que
souhaite le Hamas, c’est quand il y a un
accord de cessez-le-feu, c’est à eux de
le signer et non M. Abbas ou Al-Sissi.
C’est bien dommage que M. Abbas n’ait
pas le courage d’aller à Gaza
aujourd’hui. C’est au Hamas de signer le
cessez-le-feu qui ne sera respecté que
s’il y a la libération des mille
prisonniers qui avaient été libérés au
moment de l’échange avec le soldat
Shalit en 2011 et qui ont été capturés
ces jours-ci. Et aussi l’ouverture des
frontières sous quelle que forme que ce
soit, et le plus facile serait
certainement d’ouvrir celle avec
l’Egypte. Voilà les deux conditions qui
vont permettre qu’il ait un
cessez-le-feu. Pour ce qui est
l’offensive terrestre, à ma
connaissance, les forces terrestres
israéliennes se limitent à ce que les
Israéliens appellent la zone tampon, et
c’est toujours terrible de constater la
différence de vocabulaire qu’il y a
entre les deux camps. Je connais très
bien la zone tampon qui est en fait une
zone agricole où les agriculteurs se
font tirer dessus par les soldats
israéliens. Pendant mon séjour du mois
de juin, j’ai opéré trois jeunes
agriculteurs qui ont pris pour l’un une
balle dans le dos, pour l’autre une
balle dans la cuisse et pour le
troisième une balle dans le nerf
sciatique. Ainsi, lorsqu’on pose ses
tuyaux pour arroser ses concombres, il y
a de temps en temps un soldat israélien
qui commet un crime de guerre en se
payant un carton en toute impunité.
Donc, cette zone qualifiée par les
Israéliens de zone tampon est en fait
une zone agricole, car les engins
israéliens ont peur d’entrer en ville,
parce qu’en ville, ils seront bien
reçus. Pour l’instant, il n’y a pas eu
d’affrontements, mais il n’y a pas de
doute que dès que les chars entreront
dans les rues, il va y avoir des combats
très sévères.
Selon vous, cette agression
contre la population de Gaza est-elle
une réaction à l’assassinat des trois
étudiants israéliens, à l’accord pour un
gouvernement national entre le Fatah et
le Hamas, ou bien est-ce une attaque qui
était prévue depuis longtemps ?
C’est une réaction à l’accord entre le
Fatah et le Hamas. La position des
dirigeants du Hamas est claire. Ils
étaient dans une situation où ils ne
pouvaient plus gérer le pays faute de
revenus, alors qu’ils le géraient de
manière remarquable depuis 2007. Les
importations d’Egypte constituaient la
plus grosse partie des revenus du
gouvernement, avec l’embargo total sur
le ciment décrété par Israël en plus de
l’embargo égyptien, l’économie a été
brutalement arrêtée. La construction
était le moteur de l’économie avec un
taux de croissance de 11% ces deux
dernières années. Quand j’ai rencontré
l’association des hommes d’affaires
palestiniens en mars, ils m’ont confié
qu’ils ne pouvaient assurer les salaires
que durant deux mois. Ce qui veut dire
que le collapsus économique est bien là.
Du coup, quand les responsables du Hamas
ont vu arriver une proposition du
gouvernement d’union nationale, ils ont
sauté dessus. De toute façon, ils
n’étaient plus en situation de dire
«nous sommes ceux qui gèrent la bande de
Gaza». C’est dès cette signature que
l’escalade a commencé du côté israélien.
Les circonstances, et sans doute pour
très longtemps, ne seront pas connues
concernant l’assassinat des trois jeunes
Israéliens. Le Hamas n’a jamais
revendiqué cela. Il était en position de
force politiquement en acceptant qu’il
ait seulement quatre ministres de Gaza
sur vingt. Il n’allait pas le lendemain
donner l’ordre d’assassiner trois jeunes
colons, c’était contre ses intérêts.
Vous avez adressé, récemment,
une lettre ouverte des plus virulentes
au président français François Hollande
concernant la énième agression d’Israël
contre la population palestinienne. Vous
a-t-il répondu ?
Bien entendu, il ne m’a pas répondu et
il ne répondra pas. Peut-être qu’il me
collera une enquête fiscale, je ne sais
pas (rire). Je l’attends de pied ferme.
Mais une chose est sûre et cela m’a été
confirmé par les responsables du Hamas,
le soutien de François Hollande à
Netanyahu a été un feu vert pour
l’invasion terrestre – Netanyahu s’en
est servi dans ses conférences de
presse. Avant que l’invasion terrestre
n’ait eu lieu, ils m’ont dit : «M.
Hollande a donné un feu vert (green
light) à Netanyahu.» Il est clair, de
plus en plus, que le vrai combat pour la
Palestine se situe chez nous, dans
l’Hexagone, et dans les pays
occidentaux. C’est la force du lobby qui
fait qu’Israël ose faire ce qu’il fait
aujourd’hui. Nos véritables ennemis ne
sont pas les racistes israéliens, mais
plutôt les racistes qui sont dans nos
propres rangs, ici en France, et qui
sont MM. Hollande et Valls. Ce sont ceux
qui bidonnent, par exemple, ce
pseudo-clash de la rue de la Roquette, à
Paris, qui est une véritable honte
nationale. Pensez que le Premier
ministre et le ministre de l’Intérieur
ont monté l’attaque contre une
manifestation pacifique en utilisant la
Ligue de défense juive (LJD) et en osant
mentir aux Français. Heureusement que
les réseaux sociaux ont fonctionné et on
s’est aperçu que MM. Hollande et Valls
étaient des menteurs. Heureusement aussi
que le rabbin de la synagogue rue de la
Roquette a lâché le morceau et refusé la
présence de cette petite milice
fascisante (LDJ) dans la synagogue. Il
ne voulait pas que les membres de la LJD
attaquent la manifestation pacifique,
affirmant qu’à aucun moment, il n’a été
nécessaire pour qui que ce soit de se
réfugier dans la synagogue. Ce qui est
dramatique, c’est qu’un journal très
important tel que The Independent a
titré, à ma connaissance, «Manifestation
anti-juive à Paris», une chose
monstrueuse.
Le gouvernement français a
approuvé le bombardement de Gaza et
vient d’interdire les manifestations de
soutien au peuple palestinien à la
demande du Crif, alors qu’elles sont
autorisées à Tel-Aviv. Pourquoi la
France se plie-t-elle ainsi aux
desiderata d'Israël ? Quel est son
intérêt à travers ce soutien
indéfectible à l'Etat hébreu ?
Je pense que la France, comme les
Etats-Unis d’ailleurs, se trompe
d’époque. Je crois que si demain
l’ensemble des Français se rend aux
urnes, et que tous les Hollande et
autres font campagne en allant au dîner
du Crif, ils n’obtiendraient aucune
voix. Je crois qu’il faut faire pression
sur ces personnages politiques pour
qu’ils se rendent compte que, quel que
soit leur arrivisme, ce dernier ne passe
pas par le Crif.
400 Français viennent de se
rendre en Israël pour s'y installer
définitivement dans ce qui s'apparente à
une opération de peuplement. Quel sens
donnez-vous à cette action ?
Il faut vraiment regarder les chiffres.
Il y a, à peu près, mille à deux mille
Français qui vont chaque année
s’installer en Israël. Ces chiffres sont
misérables. Il y a quatre cents
Palestiniens qui naissent chaque jour.
Quatre cents par jour. Alors, ces
quelques centaines de Français… Le côté
négatif, c’est que ce sont les plus
racistes qui vont s’installer là-bas.
Avec le système de la double
nationalité, beaucoup de délinquants
franco-israéliens qui ont des problèmes
avec la justice fuient en Israël. Israël
a mécaniquement une proportion de
racisme et de délinquance qui est plus
importante que dans les autres pays.
Donc, ces quatre cents constituent une
espèce de fer de lance raciste. On les
enverra s’installer dans la Cisjordanie.
Ce seront eux qui iront couper les
oliviers des Palestiniens. C’est vrai
qu’ils sont nuisibles, mais en termes de
chiffres, ces quatre cents ne
représentent quasiment rien. Et c’est
beaucoup moins que le nombre de Français
qui quittent Israël chaque année.
Pourquoi ?
Je crois qu’il y en a beaucoup qui se
rendent compte que c’est un pays
fondamentalement raciste dans ses bases,
et ce racisme est ressenti par toute
personne qui a un peu de sensibilité.
L’ambiance en Israël est détestable.
Quand vous allez à Gaza, vous rencontrez
des gens qui rigolent, en dehors des
moments où ils se font bombarder. Ils
ont une légitimité, des racines, une
histoire, des relations sociales alors
que les juifs israéliens sont un
amalgame de personnes avec des
mentalités complètement différentes, des
histoires différentes et des motivations
différentes aussi.
Vous avez déclaré un jour que
vous faisiez une corrélation entre ce
que vous voyez sur place et ce que
disent vos médias. Comment
expliquez-vous la soumission des médias
mainstream au lobby sioniste ?
Je crois qu’ils sont soumis comme nos
politiques. Je vous donne cet exemple.
Dernièrement, un journaliste de Paris
Match m’a sollicité, pensant que je
pouvais l’aider à entrer à Gaza, chose
qui était possible du temps de Morsi. Il
m’a dit qu’il a eu l’accord de sa
direction, mais qu’il n’était pas
question pour lui de faire un papier qui
soutienne de près ou de loin le Hamas.
Dans l’interview que nous a
accordée le président de Shalom Akhshav,
ce dernier impute l’entière
responsabilité de cette agression au
Hamas. Quelle est votre opinion ?
Shalom Akhshav représente typiquement
nos pires ennemis. En ce sens où les
humanistes et ceux qui ont de la
compassion pour les Palestiniens se
divisent en deux groupes : ceux qui
pensent que les Palestiniens ont droit à
l’existence et à leur terre, et ceux qui
disent qu’ils sont d’accord pour qu’ils
aient un certain nombre de choses, mais
à leurs conditions. Et quelles sont ces
conditions ? Un Etat juif. A toutes ces
personnes de Shalom Akhshav, il faut
leur poser cette question : est-ce que
vous acceptez que sur le territoire de
la Palestine tous les individus aient
les mêmes droits ? Ils ne sont pas pour
l’égalité des droits, ils sont pour deux
Etats avec un Etat ethniquement
majoritaire, ce qui ne correspond pas à
ma vision et à celle des humanistes. Ils
veulent garder une position de
supériorité intrinsèque sur les
Palestiniens qu’ils appellent d’ailleurs
les Arabes. Ils représentent une espèce
de bonne conscience israélienne qui
n’est pas totalement neutre, en tout
cas. Pour ma part, ce sont les juifs
israéliens qui portent l’entière
responsabilité de cette guerre.
Entretien réalisé par Mohamed
El-Ghazi
Biographie succincte
Christophe Oberlin est professeur en
médecine et chirurgien à l'hôpital
Bichat à Paris. Il effectue depuis dix
ans des missions humanitaires dans la
bande de Gaza, pour former et soigner.
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Publié le 23 juillet 2014
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