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Interview
L’erreur monumentale de l’Occident
Ahmed Bensaada
Photo Le
journal de Montréal, Amélie St-Yves
Samedi 21 novembre 2015
Selon un auteur montréalais, le chaos
actuel proviendrait de l’influence
américaine sur le Printemps arabe.
Amélie St-Yves
Ahmed Bensaada devait
repartir en Algérie en 1994, après
avoir obtenu son doctorat en
physique à l’Université de Montréal.
Mais l’assassinat de son frère
Hocine dans son pays natal par les
islamistes la même année a
bouleversé ses plans. Il a choisi de
rester au Québec, d’où il surveille
la politique du Moyen-Orient.
Dans la deuxième édition de son
livre Arabesque$, l’auteur
montréalais tente de démontrer que
le Printemps arabe de 2011 a été
fortement influencé par les
États-Unis. Il avance que des
organisations américaines ont
recruté, formé et payé des
cyberactivistes pour orienter les
révolutions et qu’ensuite, les
Américains ont aidé certains groupes
islamistes à prendre le pouvoir.
Selon M. Bensaada, il s’agit d’une
«erreur monumentale» qui coûtera
cher à l’Occident, puisque certains
islamistes sont devenus terroristes,
plongeant le monde dans le chaos
comme on l’a vu à Paris.
Selon vous, les récents
attentats de Paris sont-ils
intimement liés à l’influence
américaine lors du Printemps arabe
?
Ce qui se passe en France est une
conséquence du Printemps arabe qui a
mal tourné, en particulier en Syrie.
Ce que je reproche au Printemps
arabe, c’est qu’au lieu de ramener
l’espoir et la paix, ça n’a amené
que le mal dans le monde.
Vous soutenez que le but
premier des révolutions n’était pas
d’instaurer la démocratie. Quel
était-il alors ?
Ce qui était recherché en premier
lieu, c’était d’avoir des
gouvernements proaméricains,
pro-occidentaux, avec lesquels les
Américains pourraient faire ce
qu’ils veulent en fait, en matière
de commerce, de relations
politiques, de position
géopolitique.
Est-ce que les États-Unis
ont quelque chose à se reprocher par
rapport aux attentats de Paris ?
Les États-Unis ne sont pas
directement impliqués dans les
attentats de Paris, mais
indirectement, ils le sont très
certainement. Tout d’abord, les
États-Unis ont financé l’opposition
syrienne dès 2006 à hauteur de
plusieurs millions de dollars.
D’autre part, les États-Unis ont
ouvertement financé, formé et appuyé
des rebelles syriens pour combattre
Bachar al-Assad. Ainsi, les
États-Unis ont, pendant des années,
largement contribué à la
déstabilisation de la Syrie et y ont
créé un chaos qui a considérablement
affaibli le gouvernement syrien et
permis l’émergence de Daech (État
islamique) en Syrie. Rappelons
aussi que Daech a été créé sur le
territoire irakien, à la suite de
l’invasion américaine sous le
fallacieux prétexte de la présence
d’armes de destruction massive,
invasion qui a provoqué la
destruction de l’Irak.
Diriez-vous que la
volonté des États-Unis de
démocratiser le Moyen-Orient a
provoqué la montée de l’État
islamique ?
En fait, peut-être pas l’État
islamique, mais disons qu’elle a
provoqué la montée de l’islamisme,
et elle l’a même favorisée.
Est-ce que le fait de
favoriser les islamistes au
pouvoir, c’était une erreur de
l’Occident ?
C’était une erreur
monumentale selon moi. On ne
peut pas jouer avec des
islamistes. Ce sont des gens qui
ont été aidés par différents
pays dans un contexte précis,
mais après, on ne les contrôle
plus.
Mais n’est-ce pas la
population qui les a élus ?
Vous ne pouvez pas avoir le
pouvoir actuellement dans les
pays arabes si vous n’avez pas
l’aval des Occidentaux. Ce n’est
pas très compliqué. On peut
aider un mouvement de
différentes manières.
Premièrement en le
crédibilisant, ensuite en lui
donnant de l’argent.
Qu’est-ce qui s’est
passé à Paris ?
Ce qu’on a vu en France, ce
sont des jeunes qui ont eu un
lavage de cerveau. Ils n’étaient
rien de plus que de la chair à
canon. Au moyen des médias
sociaux, on leur a inculqué de
faire la guerre sainte pour
l’Islam. Ce sont des jeunes
qu’on a choisis parce qu’ils
vont aller jusqu’au bout. On les
a formatés pour tuer.
En tant que musulman,
ça doit vous blesser tout ça.
L’attentat de Paris est venu
me chercher pour plusieurs
raisons. Premièrement, j’ai
perdu mon frère en 1994 dans un
attentat commis par des
islamistes. Ensuite, je pense
que les gens vont faire des
amalgames et dire que tous les
musulmans sont comme ça. Ils ne
feront pas la différence. Les
terroristes sont des gens qui
salissent la religion. Je
regrette, mais on ne peut pas
tuer au nom d’une religion. Eux
sont morts. Nous, on est encore
vivants, et on va être
stigmatisés. Ça nous touche au
moins autant que les autres
citoyens. C’est indélébile, ces
choses-là. Ça va rester
longtemps.
Propos recueillis par
Amélie St-Yves, Le Journal de
Montréal
Le livre
Arabesque$ en 4 points
-
Comment faire la
révolution chez vous -
Les États-Unis ont financé un
centre pour la formation de
jeunes révolutionnaires, selon
Arabesque$. Le Centre pour
l’application des actions et des
stratégies non violentes dans le
monde (CANVAS) a diffusé ses
enseignements sur le web en
publiant le document La lutte
non violente en 50 points. Le
directeur général du CANVAS,
Srdja Popovic, a reconnu dans un
journal suédois avoir formé des
jeunes en vue du Mouvement du 6
avril, créé en 2008, et qui est
devenu un fer de lance de la
chute de Moubarak en Égypte.
Dans le documentaire How to
Start a Revolution,
l’activiste Ahmed Maher
reconnaît que les activistes de
son groupe avaient téléchargé le
manuel américain.
-
L’instrumentalisation de
cyberactivistes - Ahmed
Bensaada tente de démontrer dans
son livre que de jeunes leaders
ont été recrutés et payés par
les États-Unis pour promouvoir
la démocratie et semer l’idée de
révolution sur internet. Dans
Arabesque$, on peut
lire qu’une compagnie américaine
a conçu le logiciel TOR, qui
propose ses services aux
activistes qui ne veulent pas
être retracés avec leur adresse
IP. L’auteur souligne par contre
que ces jeunes n’étaient pas
visés pour la suite des
événements. «Les gens qui font
la révolution disparaissent en
même temps que le dictateur. Ce
ne sont pas des jeunes
politisés. Ils ont semé la
révolution, mais ce sont des
islamistes qui ont pris le
pouvoir.» Qui plus est, Bensaada
affirme que les États-Unis ont
financé des groupes islamistes
pour les aider à prendre le
pouvoir.
-
Google et Twitter
dans le coup - Le
logiciel du web anonyme, TOR, a
été financé en grande partie par
Google, Human Rights Watch ainsi
que par le laboratoire de
recherche de la marine des
États-Unis, selon les
déclarations d’Arabesque$.
Par ailleurs, il est rappelé
qu’en pleine crise en Égypte,
quand le gouvernement a coupé
l’internet et la téléphonie
mobile le 28 janvier 2011,
Google et Twitter ont travaillé
ensemble pour permettre aux
cyberactivistes de communiquer.
L’application Speak2tweet est un
service qui a été créé pour
pouvoir appeler à un numéro et
laisser un message vocal qui
serait retransmis sur le fil
Twitter d’un cellulaire.
-
Le Printemps arabe,
rien de romantique -
Dans Arabesque$,
l’auteur Ahmed Bensaada détruit
l’illusion que les peuples
arabes se sont spontanément
délivrés. Il avance que tout
était calculé, que les
Américains finançaient depuis
quelques années des organismes
de la promotion des droits de la
personne et de la démocratie. De
plus, il est clair pour l’auteur
que les Américains n’ont pas agi
de la sorte par simple bonne
foi. «Les États-Unis n’ont pas
d’amis. Ils n’ont que des
alliés.»
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