Il parle en
marchant autour de la table, les mains dans le dos, le
regard à la fois
concentré et tourmenté. Professeur de français au lycée al-Aqsa,
Ziad Medoukh était à Gaza au moment de l'offensive
israélienne. Titulaire d'une bourse du Quai d'Orsay et
coordinateur du Centre pour la paix de Gaza, ce Palestinien
de 42 ans attendait déjà depuis trois mois que l'Etat hébreu
l'autorise à sortir de la bande de Gaza pour rejoindre la
France et y faire sa thèse. Confronté au refus répété des
autorités, malgré les efforts du consulat de France à
Jérusalem et une pétition internationale en sa faveur, il
s'est heurté à un mur infranchissable une fois l'opération «
Plomb durci » enclenchée. « Tout était bloqué, se
souvient-il. Or à Gaza, il n'y a pas de bibliothèque, pas de
livres en français et des coupures d'électricité en
permanence. » Faute de pouvoir se mettre au travail, Ziad
Medoukh s'est donc consacré à ce qu'il pouvait encore faire
: témoigner. « Au début de l'offensive, les journalistes
n'avaient pas le droit de rentrer à Gaza. J'étais très
sollicité par téléphone pour raconter ce qu'il se passait. »
Pour recharger son portable, il se rendait tous les jours à
l'hôpital de Gaza, qui avait le seul générateur de la ville.
Ce qu'il y a vu revient désormais le hanter la nuit. « Des
corps déchiquetés, des têtes arrachées, murmure-t-il. Pour
ne plus faire de cauchemars, je ne dors plus que quelques
heures. Comme ça, je suis tranquille. » Epris de littérature
française « engagée » de Malraux, Sartre et Camus, Ziad
Medoukh a fini par arriver en France en mars dernier, six
mois après la rentrée universitaire. « On m'a conseillé de
choisir entre faire ma thèse ou participer à des conférences
sur la Palestine. J'ai choisi les deux. » Conférences le
jour, thèse la nuit, « entre minuit et quatre heures du
matin ». Un travail récompensé par une mention « très
honorable » début septembre à l'université Paris-VIII. «
C'est un aboutissement et une étape, confie-t-il. J'espère
que ça encouragera mes élèves à poursuivre leurs études et
leur donnera de l'espoir. » Préoccupé par « l'occupation
israélienne » et les divisions interpalestiennes, il s'est
assigné la tâche d'éduquer une jeunesse sans horizon et
tentée par l'extrémisme. « Moi j'ai choisi la résistance
pacifique, et non la résistance armée, bien qu'elle soit
légitime face aux colons », explique-t-il.
Lors de son séjour parisien, il a dépeint
le contraste entre Paris et Gaza sous forme de poèmes. Il
écrit : « En deux mois, j'ai fait des milliers de kilomètres
de voyage. Or à Gaza, en deux ans de blocus, je n'ai même
pas fait des dizaines de kilomètres. » Mais, à quelques
jours de son retour dans sa « prison à ciel ouvert », prévu
début octobre, il reste serein. « Ça ne me perturbe pas de
passer de Paris à Gaza parce que je savais en quittant ma
ville que j'allais y revenir. La France reste un pays de
passage. » Son seul regret ? « Ne pas avoir eu le temps de
flâner au bord de la Seine ou d'aller au cinéma. Mais ma
priorité c'est la paix pour la Palestine. »
F. V.