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Cirepal
Interview de Ramadan Shallah
« Israël n'a aucun avenir
dans la région »
Ramadan Shallah
- AP Photo/Bassem Tellawi
A l’occasion du 15 mai, date commémorative de la création de
l’Etat sioniste sur la terre de Palestine et, de ce fait, de la
Nakba palestinienne, le Centre d’Information sur la Résistance
en Palestine (CIREPAL) a jugé utile de présenter ce document,
une récente interview de dr. Ramadan Shallah, secrétaire général
du Jihad Islamique en Palestine, accordée à deux quotidiens du
Golfe.
Dans cette interview, dr. Shallah traite de la
situation dans son ensemble, soixante ans après la création de
l’Etat usurpateur : où en est-il ? pouvons-nous libérer la
Palestine ? Où en sont les Arabes, et notamment les
Palestiniens ? Comment comprendre l’attitude des Etats-Unis ?
Questions et réponses s’adressent évidemment à un public arabe
et musulman, et notamment à un public soumis à des campagnes
médiatiques pro-américaines incessantes où les résistants sont
perçus, sinon comme des ennemis, du moins comme des aventuriers,
face à la toute-puissance américano-sioniste dans la région. Dr.
Shallah répond à tout un courant d’intellectuels et de
politiciens arabes et musulmans qui continuent à agiter la
toute-puissance de l’Etat sioniste et de ses alliés pour
fustiger la résistance, la rendant responsable de l’accentuation
de la crise actuelle. En présentant ce document, nous pensons
qu’il est important que la logique et la réflexion des
dirigeants de la résistance palestinienne, et la pensée qui
anime les mouvements de la résistance soient connues telles
quelles et non en passant par des filtres qui faussent souvent
la réalité et empêchent de comprendre.
Interview de Ramadan Shallah, secrétaire
général du Jihad islamique
(Watan
– Oman / Sharq – Qatar)
Traduction CIREPAL
Question : soixante ans après la
création de l’Etat d’Israël, qu’est-ce qui a changé quant la
vision israélienne d’abord de son existence dans la région, du
point de vue stratégique, et sa vision ensuite de la paix avec
les Palestiniens et les Arabes, plus généralement ?
R. Shallah : A notre avis,
concernant la vision israélienne relative à l’existence de
l’entité israélienne dans la région, nous pouvons distinguer
trois étapes essentielles : la première est celle du refus
absolu d’Israël, où le conflit était dénommé conflit
arabo-israélien. Cette étape fut caractérisée par l’unanimité de
la nation à refuser l’existence d’Israël, malgré les failles
limitées réalisées par Israël en nouant des relations secrètes
avec quelques parties arabes. Mais ces failles n’ont pas changé
la réalité de cette étape, qui est celle du refus absolu, où le
fait de contacter Israël était considéré comme une trahison
suprême. La seconde étape commence en 1979, avec la signature
par Sadate du traité de paix avec Israël. Dès cette date,
certains marquent la fin de ce qui a été dénommé le conflit
arabo-sioniste ou israélien, et le début de ce qui a été appelé
le conflit palestino-israélien. Au cours de cette étape, le
régime arabe est sorti du conflit, et la région est entrée dans
ce que nous pouvons appeler la reconnaissance ou l’admission
d’Israël par la contrainte. Cette reconnaissance débuta avec
Sadate et atteint son apogée avec la signature de l’accord
d’Oslo, suivi par d’autres Etats arabes qui signaient des
accords officiels, ou établissaient des relations non
officielles avec Israël. C’est l’étape dominante jusqu’à
présent. Mais il y a aussi une autre étape, dans la conscience
ou l’imaginaire israélien, qui n’a pas commencé, celle de
l’admission d’Israël volontairement, dans le sens où l’image
d’Israël, en tant qu’Etat envahisseur, étranger et implanté dans
le cœur de la nation, malgré elle, soit supprimé de la
conscience des peuples et des dirigeants de la région, et qu’il
soit perçu comme un Etat normal, voisin, ami, comme tout autre
pays arabe ou musulman. C’est le prix qu’Israël veut obtenir
pour faire la paix dans la région, selon la vision israélienne.
La paix qui se base sur la liquidation de la question
palestinienne et l’ancrage d’Israël en tant que grande puissance
dans le cœur de la région.
Mais, malheureusement pour Israël et ses
alliés, le projet de règlement dont il a rêvé pour parvenir à la
troisième étape a fait face à une résistance et un refus
puissants, et même plus, car la région a assisté, avec les
mouvements de la résistance islamique, à un retour à l’étape du
refus absolu d’Israël. Dans le cadre de la lutte entre deux
visions dans la région, le refus absolu ou l’acceptation absolue
d’Israël, l’entité sioniste a reçu des coups douloureux lors de
la victoire de la résistance au Liban en 2000, le déclenchement
de l’intifada al-Aqsa en 2000 et la défaite cuisante lors de la
guerre de juilllet 2006, au Liban… Tout ceci a porté un coup au
prestige d’Israël et de son armée, en touchant à la force de
frappe israélienne, modifiant du coup la priorité d’Israël, et
décevant ceux qui appelaient à un règlement en comptant sur lui.
Le sentiment d’être étranger dans la région et
la peur de l’avenir rendent Israël incapable de payer le moindre
prix pour la paix à laquelle les Arabes ont appelé par le biais
de l’initiative arabe. Donc, les priorités israéliennes dans la
région consistent à récupérer sa force de frappe militaire, à
élargir la zone de son acceptation par la contrainte, et la
réalisation de nouvelles failles dans le corps arabe. Il regarde
du côté des pays du Golfe, et notamment de l’Arabie saoudite,
pour réaliser un alliance américano-israélo-arabe pour faire
face aux forces de la résistance et du refus, représentées par
l’Iran, la Syrie, le Hezbollah, Hamas, le Jihad islamique et les
autres organisations de la résistance en Palestine, se préparant
à une guerre pour récupérer son prestige sioniste dans la
région.
En résumé, nous pouvons dire qu’Israël,
soixante ans après sa création, se prépare à mener de nouvelles
guerres, non à faire la paix. Il n’est pas nécessaire que la
guerre éclate demain ou dans quelques mois, mais cette guerre
est inéluctable, à notre avis, et le moment zéro sera atteint
lorsqu’il sentira que le prix à payer pour maintenir la
situation actuelle, avec le danger pour sa sécurité que cela
comporte, sera plus élevé qu’une guerre régionale qu’il
déclencherait. A notre avis, Israël n’est pas encore parvenu à
ce point, mais nous considérons qu’il l’atteindra.
Question : D’une manière concrète,
existe-t-il des facteurs ou des éléments dans les deux milieux,
social et institutionnel, gouvernant en Israël, qui peuvent
faire croire, dix ou cent après, à la possibilité de coexistence
réelle entre deux Etats, un palestinien et un israélien, surtout
qu’Israël envisage, stratégiquement, de faire de son entité un
Etat juif ?
R. Shallah : Il ne peut y
avoir aucune coexistence pacifique avec l’Etat israélien, et les
rapports de force actuels ne génèrent pas une paix, mais une
soumission dont les conditions sont imposées par la partie forte
sur la partie faible. L’entité n’est pas séparée, au niveau de
sa société et ses institutions, de la vision sur laquelle est
basé le projet sioniste, qui est un projet de déni de l’autre,
qui a fondé son entité d’une part sur des mythes, et de l’autre,
sur le feu, le fer et le sang, la violence et la terreur. A
partir de la nature belliqueuse et conflictuelle du projet
sioniste, Israël refuse la paix, comme l’a prouvé l’expérience.
Il a refusé tous les projets de règlement malgré leur bas niveau
et les concessions obtenues. Israël refuse l’initiative arabe
qui lui a cependant promis de vivre tel un Etat naturel et légal
dans la région en contrepartie de son retrait du Golan, de la
Cisjordanie et de la bande de Gaza, seulement. Il a nié les
accords d’Oslo qui furent une catastrophe pour le peuple
palestinien, et a même refusé la « feuille de route » qui est
fondamentalement un projet sécuritaire de destruction de la
résistance palestinienne. Finalement, il refuse le processus d’Anapolis
offert par les Arabes et y a répondu par la construction de
milliers d’unités de colonisation dans al-Quds et ses environs.
Donc, parier sur la paix avec Israël est un pari sur l’illusion
et le mirage, car ce qui s’appelle processus de paix au
moyen-Orient, comme l’a expliqué un écrivain et politicien juif
américain, Henri Sigman, est « la tromperie la plus excitante
dans l’histoire diplomatique contemporaine ». C’est un grand
mensonge qui a fait croire que les Palestiniens obtiendront un
Etat dans les limites des frontières de 67. Aujourd’hui, ce
mensonge est dévoilé et il est devenu clair que « l’Etat
palestinien » supposé dont ils parlent est « l’Etat des intérêts
sionistes » qui non seulement n’accorde pas aux Palestiniens un
Etat en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais prive 4
millions de réfugiés de retourner à leur pays, et menace
d’expulser près d’un million et demi de Palestiniens qui vivent
dans la Palestine occupée en 1948.
Pour résumer, l’idée de la coexistence sur la
base des deux Etats est finie, et Israël et les Etats-Unis, en
proposant l’idée de l’Etat Juif, coupent la route à ce qui
s’appelle la solution d’un seul Etat. Donc le conflit se
poursuit.
Question : quelle est votre vision
quant à l’avenir d’Israël dans la région ?
R. Shallah : J’affirme
catégoriquement qu’Israël n’a aucun avenir dans cette région,
mais pour répondre à cette question, il n’est pas important de
savoir comment nous, nous voyons l’avenir d’Israël. L’image du
Super Israël, implanté dans la terre comme si cela était un
décret divin auquel nul ne peut s’opposer, dans l’esprit de ceux
qui en ont peur, de lui et des Etats-Unis, ne leur a pas laissé
l’occasion d’écouter notre point de vue ou de lire notre vision
sur l’avenir d’Israël, surtout lorsqu’ils y perçoivent les
traces du Coran ou de l’histoire. C’est pourquoi il est
nécessaire d’étudier d’abord comment Israël et ses alliés et
amis voient son avenir, cela nous rapprochera probablement d’une
lecture objective sur l’avenir de cette entité. Il ne fait aucun
doute qu’Israël réalise qu’il a atteint sa soixantième année
dans la région et qu’il a dépassé toutes les tempêtes qui ont
essayé de l’en extraire, et a même fait subir des défaites à ses
ennemis. Mais il ne nie pas être entré dans la phase de
vieillesse, dont les signes apparaissent dans les défaites, même
limitées, qu’il a subi au Liban et en Palestine. Ils commencent
à parler de danger existentiel, et même la fin d’Israël devient
une idée partagée. A aucun moment encore de l’histoire de cette
entité, ses dirigeants n’ont ressenti un danger planant sur
l’existence et l’avenir de leur Etat comme c’est le cas
aujourd’hui. C’est de cette manière qu’en parlent les
politiciens, les intellectuels, les historiens, les
journalistes, les élites de cette entité et des Etats qui le
soutiennent, dans le monde aujourd’hui. C’est de cette manière
qu’en a parlé le journaliste américain Jeffrey Goldberg dans une
série d’articles, disant : « je suis inquiet sur l’avenir
d’Israël au cours des dix ou quinze prochaines années » et
demande aux Israéliens de commencer à poser les questions
décisives, telles que l’utilité du projet sioniste, est-ce qu’il
a été bénéfique ou non ? Est-ce qu’Israël est viable ou non ?
Peut-il vivre dans un milieu hostile dont les peuples ne
supportent pas sa présence et ne souhaitent pas en entendre
parler ? Ce sont des questions posées aussi par Abraham Burg et
d’autres Israéliens, ou des amis et alliés d’Israël dans le
monde. Deux journalistes américains avaient publié un rapport le
2 avril 2002 (soit avant même la défaite de juillet 2006) dans
Newsweek, disant : « beaucoup de juifs pensent que l’avenir et
la place d’Israël dans le moyen-Orient sont menacés aujourd’hui,
comme il n’a jamais été. Est-ce que l’Etat juif va rester en
vie ? A quel prix ? Avec quelle identité ? Peut-il jamais
connaître la paix ? » L’historien juif Amos Aylon, dans une
autre étude parue le 17 mai 2002 répond à ce genre de questions,
disant : « je suis désespéré car je crains que la question ne
soit finie… puis il poursuit déclarant, ce qui peut sembler
étrange pour certains gouverneurs arabes, mais qui est devenu
l’angoisse de la majorité des juifs : « Pour Israël, la
confiance en la possibilité de demeurer est devenue très
mince » ! Ce n’est pas le Jihad islamique, le Hizbullah ou le
Hamas qui le dit, ce sont les paroles d’un historien israélien
qui décrit la réalité d’Israël, malgré sa force militaire :
« …la force nucléaire d’Israël est devenue inutile… » Lorsque la
force nucléaire d’Israël devient inutile pour empêcher la
société de s’effondrer et de tomber, psychologiquement, le
premier ministre sioniste Olmert accourt pour menacer et
susciter la peur dans la région, le 11 décembre 2006, parlant de
son arme nucléaire, sans pour autant lever le voile sur l’avenir
d’Israël lui-même..
Lorsque cet historien déclare que sa confiance
dans l’avenir d’Israël est devenue mince, il n’a pas consulté
l’avenir sur les paumes ou dans une tasse de café, mais s’est
appuyé sur un ensemble de facteurs qui prouvent les signes de
vieillesse du projet sioniste et de l’entité israélienne. Bien
sûr, le projet sioniste a réussi à installer Israël pour qu’il
devienne une patrie ou une entité pour les juifs du monde, mais
il n’a pas réussi à la rendre sécurisée comme l’avaient promis
les dirgeants de ce projet. Dans le monde entier, le juif peut
vivre en paix et bénéficier de la sécurité, mais pas le juif qui
vit en Israël. Le projet sioniste a débuté en Palestine, une
base à partir de laquelle il devait se déployer pour former le
grand Israël, du Nil à l’Euphrate. Où est le grand Israël
aujourd’hui ? Il est tombé du fait de la victoire de la
résistance islamique, du retrait de l’armée sioniste du Liban en
2000, et même le rêve d’Israël sur toute la terre de la
Palestine est fini. Il est tombé avec le retrait israélien de
Gaza en 2005, sous les coups de la résistance. Le puissant
Israël, qui possède la plus forte armée dans la région, y
compris les armes nucléaires, a perdu et a été humilié au cours
de la guerre de juillet/août 2006 face à la résistance des
combattants du Hizbullah et de la résistance islamique.
Israël aujourd’hui n’est plus le jeune Israël
dont la force a atteint l’apogée au cours de la guerre et de
l’expansion en 1967. Israël aujourd’hui est un Etat décrépit qui
souffre du retour des peuples de la région à la culture du refus
absolu de son existence, comme nous l’avons dit. Israël
aujourd’hui, souffre du complexe de la résistance et de la
présence palestiniennes, qui lui crée une crise existentielle.
Israël aujourd’hui n’est plus celui de Ben Gourion, de Dayan, de
Rabin et des autres, mais c’est un Israël qui n’a pas de
dirigeants politiques et militaires. Certains ont affirmé que
Sharon fut le dernier roi d’Israël, et après lui, le pays est
tombé…
Israël aujourd’hui, dans le cadre de la
mondialisation, souffre d’une crise d’identité et de la
faiblesse de la doctrine de sa société où la fuite du service
militaire est devenue très visible et sensible dans l’armée
israélienne. Le plus grave, pour lui, c’est l’affaiblissement du
niveau de l’armée elle-même.. Depuis 1973, que ce soit au Liban
ou en Palestine, l’armée israélienne a subi des coups et des
défaites, et elle n’est plus l’armée infaillible comme cela se
disait avant. Le prestige de l’armée israélienne a été entamé et
la force de frappe israélienne a dégringolé à un niveau jamais
vu, dans son histoire. Si l’armée israélienne a perdu son
prestige, que reste-t-il d’Israël ? Nous savons qu’Israël est
une caserne militaire, un Etat militaire dans son organisation
et sa vie, l’armée est la population, et la population est
l’armée, ce qui veut dire qu’Israël est une armée ayant un Etat
et non un Etat ayant une armée. Quand l’armée est défaite,
l’Etat est défait.
Historiquement, Israël vit de l’aide étrangère
et des rapports de forces internationaux plus que sur ses
propres capacités ; cette aide a atteint son apogée dans le
cadre du système unipolaire et de la domination américaine sur
la politique internationale. Cet unipolarisme est cependant en
train de craquer et les rapports de force changeront ; le rêve
de l’empire américain, après son échec et sa défaite en Iraq,
est en train de s’effondrer, le projet de nouveau moyen-orient
n’a pas vu le jour ; Israël vit dans le cadre de la faiblesse,
de l’impotence et de la division arabes, mais aussi du manque de
volonté et d’initiative arabes officielles pour faire face à
Israël, mais cela ne durera pas. Ce qui ne change pas, c’est le
regard de la population de la région, envers Israël, pour qui
cette entité reste étrangère, coloniale, et refusée. Le refus
absolu de sa présence se développe de pair avec le développement
des courants islamistes, des mouvements de la résistance
islamique en Palestine, au Liban et en Iraq, et du soutien dont
ils bénéficient dans la région.
Pour nous, Israël subira le même sort subi par
toutes les entités étrangères implantées par les guerres des
Francs, les croisés, dans nos pays et il disparaîtra comme elles
ont disparu.
Question : Est-ce que la démocratie
israélienne représente réellement une démocratie dans la
région ?
R. Shallah : Pour répondre à
cette question, nous devons prendre en considération deux
questions importantes :
La première est quelle est la relation entre
la nature du pouvoir en Israël et notre conflit avec le projet
sioniste en Palestine ? En d’autres termes, si la nature du
pouvoir en Israël était dictatorial ou fasciste, est-ce que cela
change notre vision, nous, les Arabes et les musulmans ? Et à
l’intérieur du système démocratique lui-même, quelle est la
différence pour nous si arrive à la tête du pouvoir Olmert,
Barak ou Netanyahu ? Ceux qui ont parié sur l’arrivée de Barak
après Netanyahu ont récolté l’amertume de l’effondrement des
négociations de Camp David II, car les Israéliens sont les
mêmes, et les conditions israéliennes de Madrid à Annapolis
durcissent, et parier sur la marge ou les différences entre les
partis israéliens, dans leur comportement avec les Palestiniens,
est presque impossible, car ils veulent tous garder la terre et
les maisons, qui est l’axe principal du conflit en Palestine et
dans la région.
Le second point, si la démocratie représente
un critère de l’attitude occidentale envers Israël, comme le
pensent certains, que signifie cette démocratie pour les
occidentaux et les Américains ? Est-ce que la démocratie à
l’intérieur peut-elle coexister avec un esprit expansionniste et
belliqueux envers l’extérieur, qu’Israël met en pratique depuis
sa fondation ? Ou bien Israël est-il conforme à la manière
occidentale et coloniale pratiquée par les Etats occidentaux
coloniaux, anciens et nouveaux, tel le nouveau colonialisme
revenu avec l’invasion américaine de l’Iraq ou de l’Afghanistan,
sous le slogan de guerres préventives ? Est-ce que la démocratie
fait-elle bon ménage avec le slogan de l’Etat juif, soutenu par
Bush et auquel appellent les Israéliens aujourd’hui ? Dans ce
cadre, Israël est-il un Etat pour tous ses citoyens ou un Etat
pour les citoyens juifs seulement ? En d’autres termes, Israël
est-il réellement un Etat « démocratique » ou un Etat
« religieux » ? Dans tous les cas, quelle est la situation de la
population arabe dans l’Etat d’Israël et de la discrimination
raciale que ne nient pas les Israéliens eux-mêmes ? Tout cela
signifie que la vraie « démocratie », aux yeux d’Israël et des
Etats-Unis, est celle qui réalise les intérêts d’Israël et des
Etats-Unis, sans considération aucune pour le contenu et la
nature du processus démocratique. Nous savons que les
Etats-Unis, dans leur comportement avec les autres, considèrent
que leurs propres intérêts constituent le premier critère pour
formuler leur politique… Ils ont toujours eu des relations avec
des régimes dictatoriaux pour leurs propres intérêts qu’ils
placent au-dessus des principes de la démocratie et des libertés
des peuples. La démocratie louée dans les régions de l’autorité
autonome, dans le cadre de l’occupation, a été refusée
lorsqu’elle a amené Hamas… La démocratie qui a amené Ahmadinajad
en Iran est refusée aussi, elle est même entièrement refusée
parce que l’Iran ne fait pas partie de l’alliance américaine qui
admet Israël et veille sur l’intérêt américain dans la région ;
Finalement, il est probable que la démocratie
permet à l’entité israélienne d’avoir un mécanisme meilleur pour
la passation du pouvoir et l’administration de son conflit dans
la région…
Question : Est-ce que la coexistence
palestino-israélienne est possible dans le cadre d’un Etat laïc
et démocratique unique ?
R. Shallah : L’alternative de
l’Etat démocratique et laïc a été proposée par l’OLP à la fin
des années soixante et au début des années soixante-dix, mais
Israël l’a refusé, et aujourd’hui, on parle beaucoup de l’Etat
unique bi-national. Beaucoup pensent que si Israël et les
Etats-Unis ont accepté la solution de deux Etats, avec les
conditions israéliennes évidemment, c’est par crainte d’arriver
à l’Etat unique, surtout que l’équilibre démographique en
Palestine sera bientôt favorable aux Palestiniens, certainement
et clairement, à partir de 2010, selon certaines estimations. A
partir de là, certains pensent que l’adoption de la solution de
l’Etat laïc unique constitue la meilleure solution au conflit,
dans le cadre de la situation internationale qui n’accepte et ne
permet pas l’idée de la libération de la Palestine, qui signifie
la disparition ou le démantèlement de l’entité raciste qu’est
Israël.
Pour nous, nous n’acceptons pas cette
alternative, pour plusieurs raisons :
1) D’abord, elle accorde à Israël et aux Juifs
la légitimité de leur présence sur la terre de la Palestine,
légitimité qu’ils n’ont pas. La nation a lutté, dès le début,
sur la base de l’illégitimité de la présence sioniste en
Palestine.
2) propager cette alternative supprime la
culture de la lutte et de la résistance, et propage la culture
de la soumission au fait accompli et à se préparer à vivre avec
Israël, au moment où Israël refuse cette question et poursuit
son agression pour consolider son projet en fixant Israël en
tant qu’Etat purement juif.. Ce qui signifie qu’Israël prendra
des défenseurs de cette alternative la reconnaissance de sa
légitimité et de son droit à l’existence sur toute la Palestine,
pour que notre terre et notre patrie la Palestine deviennent une
seconde Andalousie, où Israël se consolide sur ses ruines en
tant qu’Etat stable et sûr, en n’ayant pour d’autre but ou
espoir que le fait d’y être acceptés, en tant que sujets, même
de dixième zone !
3) je ne pense pas que la laïcité peut régler
ce conflit saturé de symboles religieux, des deux côtés… Israël
a été fondé et continue à utiliser les signes bibliques,
talmudiques et les mythes pour les mettre au service du
mouvement sioniste et créer Israël, et en face de cette
invasion, l’arabité et l’islamité de la Palestine ont été
affirmées. Le bagage religieux constitue, pour les deux parties,
une force de mobilisation importante dans le conflit, du côté
sioniste, pour attaquer et du côté palestinien, pour se défendre
et résister. Que fait la laïcité de l’Etat unique avec l’arabité
et l’islamité de la Palestine dans les cœurs et les consciences
arabes et islamiques ? Comment se débarrasse-t-elle de « la
judaïté » de l’Etat dans la conscience israélienne et le projet
sioniste ? Qui peut convaincre un laïc en Israël, avant le
religieux, de devoir abandonner une partie non négligeable des
mythes fondateurs de cette entité, ou d’abandonner l’idée de la
reconstruction du temple présumé sous la mosquée al-Aqsa ? En
face, est-ce que le plus laïc parmi les musulmans ou les arabes
peut abandonner une seule pierre de la mosquée al-Aqsa, ou de
l’église de la Nativité ou du St Sépulcre ?
Ce conflit est assurément saturé de symboles
et de croyances religieuses et idéologiques, et la démocratie
laïque ne peut constituer un cadre pour le résoudre, surtout
qu’Israël n’a pas occupé la Palestine au moyen des urnes, mais
par le fer et le feu, en tuant et en expulsant son peuple vers
toutes les parties du monde…. La solution est, à notre avis, de
poursuivre le conflit, même par les moyens les plus simples,
jusqu’à relever la nation et modifier le rapport de force..
Au cours de l’intifada des pierres, en 1987,
le peuple palestinien a adressé un message très profond à
Israël, et à tous ceux qui le soutiennent dans le monde, ce
message dit que cette entité, son occupation et sa spoliation de
notre terre et de notre partie sont refusées. Nous devons y
résister par tous les moyens, et nous ne pouvons coexister
avec…. La génération qui a grandi sous l’occupation a étonné le
monde parce qu’elle se bat contre Israël, parce qu’elle poursuit
ses soldats avec des pierres comme on poursuit un voleur en
fuite. Mais la signification encore plus profonde, c’est que nos
enfants ont lapidé Israël avec des pierres et le châtiment de la
lapidation, dans notre culture et notre loi, est réservé à
l’adultère. Israël est, aux yeux des peuples de la région, celui
qui a commis l’adultère envers notre géographie, notre histoire
et il mérite la lapidation et le châtiment jusqu’à la mort et la
disparition de la carte de la région, pour que la Palestine
revienne dans la géographie et l’histoire.
Q. Est-ce que les Etats-Unis peuvent
se situer autrement que dans le rang israélien, ou être un juge
équitable dans le conflit arabo-israélien ?
R. Shallah :
Je ne pense pas que les Etats-Unis, dans les conditions
régionales et internationales actuelles, puissent être autrement
que dans le rang israélien et je doute qu’ils puissent l’être
dans tous les cas, plusieurs facteurs historiques et réalistes
nous amènent à le dire.
Sur le plan doctrinal, Israël est issu de la
civilisation occidentale,…car la civilisation occidentale est
saturée de l’esprit juif, tout comme Israël est saturé de
l’esprit occidental ou américain. Quant à ce qu’on appelle la
tradition judéo-chrétienne, elle a fait du soutien à Israël, en
occident, et plus particulièrement aux Etats-Unis, une question
qui ne se limite pas aux anglicans ou ce qu’on appelle les
chrétiens sionistes ; du point de vue doctrinal et historique,
les Etats-Unis voient dans Israël leur propre enfance, à cause
de la manière dont les Etats-Unis se sont formés en tant
qu’Etat, la réalisation de la prophétie biblique comme l’ont cru
les pères fondateurs des Etats-Unis, au moyen des colons blancs
venus au détriment des habitants autochtones du pays, les
Indiens, exterminés par les nouveaux colons. C’est la même
manière utilisée pour fonder Israël, la différence toutefois
étant que les Palestiniens ne sont pas les Indiens, ils furent
massacrés et expulsés, et non entièrement exterminés…
Historiquement aussi, nous savons que le
président américain Truman a reconnu Israël onze minutes après
la déclaration de la fondation d’Israël, le vendredi 14 mai
1948, puis les reconnaissances internationales se sont
succédées… ce qui confirme que les Etats-Unis furent la
sage-femme pour la naissance de l’Etat juif après que la
Grande-Bretagne ait semé la graine par la déclaration Balfour en
1917.
La protection occidentale et américaine de
l’Etat d’Israël s’est poursuivie dès le premier instant de sa
naissance… Mais les Etats-Unis ont occupé la première place dans
le soutien et la protection d’Israël au cours des décennies
passées, le soutien multiforme et illimité à Israël, le veto
face à toute résolution internationale dénonçant Israël ou
faisant justice aux Palestiniens, la menace américaine envers
toute partie dans la région et dans le monde qui menace Israël
et qui tente de lui faire échec. Décrire la relation entre les
Etats-Unis et Israël comme une alliance ou un partenariat, n’est
pas précis et reste insuffisant.. Israël est presque le 51ème
Etat américain au Moyen-Orient.
Quant à la discussion qui a lieu dans la
région et le monde, après la chute de l’Union soviétique, et
l’instauration du système mondial unilatéral, à propos de
l’importance d’Israël pour les Etats-Unis, se demandant s’il
constitue un apport ou un poids stratégique, les évenements ont
prouvé que la discussion n’a aucune valeur… jusqu’à présent, il
a lieu aux Etats-Unis, et sa dernière expression est
probablement l’article puis le livre sur le lobby israélien,
écrit par deux professeurs israéliens, Stephen Walt de Harvard
et John Mirchaymer de l’université de Chicago, qui tentent de
prouver que le soutien américain à Israël ne sert pas l’intérêt
américain, et que les intérêts et la politique américaine vont
tous dans le sens de l’intérêt d’Israël et sa sécurité et non le
contraire… Cet état d’esprit existe aux Etats-Unis, mais dans un
cercle très étroit et limité, et ne peut traduire le point de
vue américain, tant que les ennemis d’Israël dans la région ne
menacent pas les intérêts américains et qu’ils ne l’obligent pas
à choisir entre leurs intérêts avec les Arabes et les musulmans
ou la protection d’Israël… La réalité arabe ne se limite pas à
son incapacité à produire cette équation, mais le régime arabe,
dans sa majorité, se pose lui-même dans le panier américain et
constitue avec lui une alliance et un partenariat dans la
région, dont la principale priorité consiste à protéger
l’existence et la sécurité d’Israël. Le rôle ou la position
américaine, à notre avis, que ce soit les républicains ou les
démocrates à la Maison Blanche, va accentuer l’alignement envers
Israël, son soutien et sa défense, parce qu’il bénéficie d’une
couverture et d’un soutien arabes, et notamment d’Etats dont le
rôle est central, malheureusement, et nous ne voyons pas, à long
terme, une administration américaine non alignée envers Israël.
Question : Est-ce que les stratégies
actuelles, palestinienne d’une part et arabe de l’autre,
sont-elles parvenues au niveau d’affronter le danger représenté
par la stratégie israélienne ? Quelles sont vos propositions
pour les ou la modifier si elles ne sont pas au niveau de la
confrontation ?
R. Shallah : Il n’y a pas,
malheureusement, de stratégie palestinienne ou arabe pour
affronter Israël. La stratégie palesitnienne officielle, ou
celle de la présidence de l’Autorité et de l’OLP, menée par
Mahmoud Abbas, s’est achevée sur une seule expression, la
négociation.. Il semble que ce soit la négociation pour la
négociation, en toutes conditions et circonstances, quels que
soient les actes commis par Israël, les crimes commis et le sang
palestinien écoulé, cela qui n’empêche pas le président de
l’Autorité à se rendre à al-Quds occupée, avec toute la
symbolique qu’elle représente, de rencontrer le premier ministre
sioniste, Olmert, de l’embrasser et de lui serrer
chaleureusement la main, alors qu’elle est plongée dans le sang
palestinien, à Gaza, Nablus, Jénine et autres villes, villages
et camps palestiniens ! S’il ne s’agit pas de négocier pour
négocier, le cas est pire, car cela annonce des accords et des
nouvelles catastrophes pour le peuple palestinien, comme les
accords d’Oslo, et même pire !
Quant à la stratégie arabe, si nous pouvons
l’appeler ainsi, c’est d’accepter ce qu’acceptent les
Palestiniens, pas tous, mais les gens d’Oslo, et le soutien à la
légalité palestinienne, à leurs yeux, représentée par le
président de l’Autorité, Mahmoud Abbas. Ce ne signifie le
retrait de tout engagement envers la Palestine et sa cause
centrale, et envers son peuple arabe et musulman.
S’il est nécessaire d’évoquer comment modifier
ces positions, nous devons d’abord parler de la stratégie
israélienne en cette étape… Nous savons que la stratégie
actuelle d’Israël s’appuie sur plusieurs piliers, les plus
importants étant :
1 – assurer le devenir d’Israël et consolider
son existence en tant qu’Etat naturel et central dans la région,
jouissant d’une supériorité militaire, économique,
civilisationnelle qui lui garantit la domination et la
souveraineté incontestées sur la région.
2 – Nouer des relations de voisinage avec le
milieu arabe sur la base de la reconnaissance d’Israël et la
normalisation avec lui, et empêcher toute stratégie arabe basée
sur l’hostilité à Israël et empêcher les arabes et les musulmans
de s’unir, de posséder toute puissance ou capacité menaçant
l’existence d’Israël, notamment la capacité nucléaire.
3 – Reprendre la force de frappe et le
prestige israéliens, en faisant face et en liquidant ce qui
menace l’existence d’Israël, représentée par les forces de la
résistance et du refus dans la région, représentée à leur avis
par l’Iran, la Syrie, le Hezbollah, le Hamas, le Jihad islamique
et les forces de la résistance en Palestine et toutes les forces
vives de la région.
4 – Imposer la solution israélienne dans le
conflit sur la Palestine, en aidant une entité chétive,
dépendante et au service d’Israël, dont la tâche serait de
protéger sa sécurité, et liquider toute résistance palestinienne
actuelle et future.
Mais il n’y a pas de stratégie arabe pour
faire face à cette stratégie… L’adoption par les Arabes du choix
de la paix ou du règlement comme choix stratégique, Israël l’a
depuis longtemps considérée comme signe de faiblesse,
d’incapacité ou de non souhait d’affronter.. Six ans après
l’initiative arabe, et les Arabes répondent au refus d’Israël de
cette initiative en la proposant de nouveau ! Celui qui souhaite
faire la paix ne doit pas laisser tomber le choix de la guerre,
mais doit s’y préparer, comme le fait Israël ! Mais le choix
unique et l’insistance à adopter la paix comme choix
stratégique, ne signifie pour l’esprit israélien que le fait que
le régime arabe a depuis longtemps levé le drapeau blanc, et
qu’il vit dans un état de soumission au projet israélien et
américain dans la région… Cette position arabe s’appuie sur une
équation fixe dans l’esprit de la plupart des dirigeants, s’ils
veulent préserver leurs trônes et rester à la tête du pouvoir,
ils doivent obtenir la satisfaction de Washington, et ne doivent
pas alors s’opposer à la stratégie américano-sioniste dans la
région, mais y collaborer et être en symbiose avec elle, et même
à son service…
A partir de là, nous ne pouvons parler de la
possibilité de mettre une stratégie arabe pour faire face à la
stratégie sioniste et américaine dans la région que si les
dirigeants réalisent que le soutien à Israël ou le silence sur
ses crimes, le soutien aux intérêts américains et à la stratégie
américaine dans la région n’est pas dans leur intérêt, en fin de
compte.
La stratégie américano-sioniste est un projet
colonial pour faire exploser la région… La liquidation des
forces de la résistance et du refus dans la nation, et le
soutien et la protection d’Israël sont une équation que ne
peuvent accepter les masses de cette nation, même si elles sont
exténuées ou marginalisées. Ce que prépare Israël pour les
forces vives de la nation nous fait dire que le déluge est
prochain, le moment de vérité et l’explosion de la région sont
prochains. Celui qui s’imagine qu’il est à l’abri ou qu’il sera
sauvé se fait des illusions. Le déluge et les tempêtes
emporteront tout le monde, et se préparer à l’affronter réclame
un éveil, plutôt un choc dans la conscience arabe. C’est le
premier pas réclamé pour formuler une stratégie arabe et
palestinienne officielles, afin de modifier l’image inversée
dans la vision des arabes d’eux-mêmes et de leur ennemi dans la
région… La stratégie arabe est aujourd’hui inversée et il faut
renverser la conscience et l’attitude arabes pour modifier la
politique et la stratégie arabes et commencer à dessiner à
nouveau la carte politique, en précisant qui est l’ennemi et qui
est l’ami. Il faut éviter que quiconque appartenant au système
arabe entre dans une alliance américano-sioniste pour faire la
guerre contre les forces de la résistance et du refus, dans la
nation, au profit d’Israël… il ne faut pas inventer une illusion
qui s’appelle « le danger iranien » dans la région, et se fermer
les yeux face au « danger israélien » qui est clair et qui nous
fait suffoquer, qui mord notre présent et menace et confisque
notre avenir.. Il ne faut pas qu’on nous invente un ennemi à
l’intérieur de la maison palestinienne, telle ou telle
organisation, et nous convainque que nous avons un voisin ou un
ami dans la région qui s’appelle Israël.
Si les Arabes se réveillent de l’état de cette
image inversée et du brouillage des concepts, où nous ne pouvons
distinguer l’ennemi de l’ami, la stratégie de la confrontation
peut être formulée, et les détails peuvent être discutés et il
sera facile de s’y mettre d’accord. L’essentiel au début est de
définir où poser les pieds, tu es avec ton peuple et ta nation
ou avec ses ennemis ? C’est la question posée et qui attend la
réponse de toutes les parties dans le régime arabe, aujourd’hui.
Centre d'Information sur
la Résistance en Palestine
Crédit photo :
AP Photo/Bassem Tellawi
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