Entretien avec Moshir Al-Masri
Ceux qui nous
qualifient de « terroristes » se
trompent; ils doivent reconsidérer leur
appréciation
Moshir al-Masri,
porte parole du Hamas
Vendredi 13 janvier
2012
La venue en
Suisse d’un parlementaire palestinien -
Moshir al-Masri, porte parole de
l’Administration Hamas élue en 2006,
lors des premières élections libres et
régulières en Palestine occupée par
Israël – et son invitation à parler à
l’Université de Genève, le 18 janvier
2012 (*), indignent le genevois Pierre
Weiss, vice-président du Parti libéral
radical suisse, et Président de
l’Association Suisse-Israël. Le « porte
parole d’un mouvement », se plait-il à
rappeler, « considéré comme terroriste
par l’Union européenne.
Le gouvernement
suisse, qui a accordé un visa à Moshir
al-Masri, n’est pas de cet avis. Il
entretient des échanges avec le
mouvement Hamas, n’en déplaise aux amis
d’Israël ; et à Johanne Gurfinkiel de la
« Coordination
Intercommunautaire Contre
l’Antisémitisme et la diffamation »
qui, sans surprise, se félicite des
protestations de M. Weiss [1].
M. Weiss invoque la
Charte du Hamas de 1988, alors que
celle-ci est caduque [2].
« On invite un
spécialiste de la théorie de la
lapidation des femmes adultères et des
mains coupées pour les voleurs ! »
déclare-t-il à un quotidien local
(journal papier Le Matin
du 13 janvier 2012) [3].
Nous n’avons jamais
entendu que l’administration Hamas ait
coupé des mains ou lapidé des femmes. Le
politicien M. Weiss, et ses amis
pro-israéliens, en répandant
régulièrement des informations calquées
sur la propagande des autorités de Tel
Aviv, de manière à discréditer, comme
ici, l’un des représentant de la seule
autorité politique jamais élue par le
peuple palestinien, se mettent au
service d’un État tiers, Israël. Ils
participent ce faisant, activement, à la
désinformation qui veut rehausser
l’image d’un État occupant que ses
crimes ont définitivement noircie auprès
de l’opinion publique. Cette
désinformation de la part d’un homme
politique suisse doit être condamnée.
Au moment où Moshir
al-Masri est l’objet, bien malgré lui,
d’une polémique destinée à le
discréditer, nous portons à la
connaissance des lecteurs ce que cet
homme humble et posé, très aimé et
respecté à Gaza, nous disait dans un
remarquable entretien en
2006. Cela
permettra à chacun de juger de la valeur
intellectuelle de ses propos.
Militants
du Hamas portant des banderoles,
le dernier jour de la campagne
éléctorale
Quel est le programme politique du Hamas
aujourd’hui ?
Interview de Moshir
al-Masri réalisée en janvier 2006
Les élections
législatives palestiniennes du 25
janvier 2006 s’annoncent comme un séisme
politique : le Hamas pourrait emporter
la majorité des suffrages. Aussi les
médias traditionnels s’efforcent, par
avance, de diaboliser ce mouvement
politique. Répondant aux questions de
Silvia Cattori, Moshir al-Masri,
porte-parole du mouvement Hamas, parle,
avec une douceur bien éloignée du
fanatisme qu’on lui impute, de la
souffrance de son peuple confronté à une
occupation d’une extrême cruauté.
Silvia Cattori :
Après le meurtre du
Cheikh Yassine, leader spirituel du
Hamas, en 2004, les autorités
israéliennes ont justifié sa liquidation
en affirmant qu’il était le Ben Laden
palestinien. Ils ont répandu l’idée que
le mouvement islamique du Hamas était
lié à Al Quaida. A l’extérieur, quand
les journalistes parlent du Hamas, c’est
généralement pour présenter ses membres
comme des « terroristes », et non pas
comme des résistants. On vous a reproché
d’avoir refusé le processus de paix
d’Oslo, ce en quoi les faits vous ont
donné raison. L’idée est largement
répandue que « le Hamas n’accepte pas
l’existence d’Israël…qu’aucun juif ne
pourra rester en Palestine… que tout
juif est une cible et doit être éliminé
». Que répondez-vous à ceux qui vous
accusent de vouloir « jeter les juifs à
la mer » et de refuser « le droit
d’Israël à exister » ? Pouvez-vous
préciser votre position politique sur
ces points ?
Moshir al-Masri : Tout d’abord,
permettez-nous de remercier tous les
journalistes étrangers qui partagent les
souffrances et la tristesse du peuple
palestinien, qui sont dotés d’une
conscience humaine, qui comprennent
l’injustice qui pèse sur notre peuple et
le défendent. Merci à tout journaliste,
homme ou femme, qui accomplit sa mission
professionnelle de manière objective et
fidèle, sans biais pro-israélien.
En ce qui concerne le
prétendu rejet de l’existence d’Israël
et le refus du maintien des juifs en
Palestine, permettez-nous de faire une
distinction entre les juifs en tant que
tels, c’est-à-dire en tant qu’adeptes
d’une religion, que nous respectons et
avec lesquels nous avons en partage une
histoire honorable à travers l’histoire
musulmane, et une occupation présente
sur notre territoire.
Le problème n’est
donc pas un problème avec les juifs.
Nous souhaitons la bienvenue aux juifs
qui veulent vivre avec nous. C’est là en
l’occurrence une attitude permanente que
nous constatons tout au long de
l’histoire de l’Islam, y compris déjà à
l’époque de notre Prophète, Muhammad.
Le problème, c’est
qu’il y a une occupation qui pèse sur
notre terre. Notre problème est donc
avec cette occupation. Par conséquent,
notre résistance est légale, en vertu de
toutes les lois et règlements
internationaux. D’ailleurs, la
quasi-totalité des révolutions, dans le
monde, ont eu pour finalité de chasser
une occupation de leur territoire. Cela
a été le cas au cœur de l’Europe et en
Amérique et, par conséquent, nous avons
le droit de nous défendre et de chasser
l’occupant de notre sol.
Des allégations sont
soulevées, autour du mouvement Hamas,
selon lesquelles ce mouvement
chercherait à « jeter les juifs à la mer
». Ce sont là des propos fallacieux,
infondés. Nous respectons le judaïsme en
tant que religion et les juifs en tant
qu’êtres humains. En revanche, nous ne
respectons pas une occupation qui nous
chasse de nos terres et exerce à notre
encontre toutes les formes d’agression,
au moyen des armes les plus atroces,
utilisées contre notre peuple
palestinien.
Il en découle que la
présence de cette occupation, on ne
saurait l’accepter. Permettez-moi de
vous donner un exemple, à ce sujet : si
un homme possède une maison et que
quelqu’un vienne occuper cette maison,
et si ensuite le voleur accepte tout au
plus de concéder une toute petite pièce
de cette maison à son légitime
propriétaire, au cours de ce qu’il
appelle lui-même des « négociations »,
en lui disant : « tout le reste
m’appartient », quelqu’un peut-il
accepter une telle situation ?
Est-il acceptable
d’être chassé de chez soi et ensuite de
reconnaître que sa maison appartient à
celui qui l’a volée ? Et d’aller,
par-dessus le marché, négocier avec le
voleur pour tenter de récupérer une
minuscule chambre, et supporter ses
atermoiements ? Alors même qu’en plus,
le voleur tue vos enfants, défonce vos
cultures agricoles et détruit votre
gagne-pain ? Non. Aucune religion
n’accepte cela. Ni aucune personne dotée
de raison.
S.C. - Quand,
en 2003, j’ai rencontré le médecin Abdel
Azis Rantissi [4],
qui était alors le numero deux du Hamas,
vous n’étiez pas encore forcés de vivre
cachés. Depuis lors, les choses se sont
considérablement durcies : le Hamas sous
la pression d’Israël, a été inscrit sur
la liste noire des organisations «
terroristes ». Il y a eu l’assassinat
par l’armée israélienne du Dr Rantissi
et de centaines d’autres cadres
importants. Comment ressentez-vous le
fait qu’aucune instance, aucun Etat
occidental ne prenne en compte la
gravité des violations de la légalité
internationale par Israël, et fasse de
vous un ennemi ? Que dans le cas
d’Israël qui bafoue les principes de
justice et la vie humaine, qui a violé
plus de 65 résolutions du Conseil de
Sécurité, le droit international ne
s’applique pas ?
Moshir al-Masri : En ce qui
concerne la classification du Hamas dans
les mouvements « terroristes », je
répondrai qu’assurément cette
qualification n’est ni fondée, ni
admissible : le Hamas exerce une
résistance honorable et équilibrée. Dire
de lui qu’il s’agirait d’un mouvement «
terroriste » est inacceptable. Nous ne
sommes pas des « terroristes », nous ne
prônons pas l’assassinat, nous ne volons
pas autrui et nous ne sommes pas les
occupants, que je sache, pour être ainsi
qualifiés ? ! Nous nous défendons face
aux incursions, face aux arrestations,
face aux assassinats ciblés, face à
l’utilisation par Israël des armes les
plus cruelles pour frapper sans pitié et
arbitrairement des civils. Nous avons le
droit de nous défendre.
Mais il est évident
que les Etats-Unis sont ouvertement de
parti pris en faveur d’Israël. Et puis
il y a aussi cette faiblesse de l’Europe
face à la position américaine. Nous ne
pouvons que constater qu’il en découle
une connivence européenne avec Israël,
fondée sur l’alignement pro-israélien de
l’administration américaine.
Nous appelons les
citoyens du monde entier à réexaminer la
nature du conflit palestino-sioniste et
à comprendre, devant la trêve que nous
avons observée et que les Israéliens ont
violée, que le problème n’est pas du
côté du peuple palestinien, pas du côté
de sa résistance légitime, mais bien du
côté de l’agression dont notre peuple
est victime.
S.C. - Au
moindre acte de résistance non violente
ou armée, Israël vous envoie ses
bombardiers. Vous n’êtes pas sans savoir
qu’il vous harcèle pour vous pousser à
la faute et justifier ensuite aux yeux
du monde l’usage de la force. Face à la
domination d’Israël, à qui les instances
étatiques internationales donnent carte
blanche pour vous massacrer, n’est-il
pas suicidaire de vouloir riposter à ses
missiles par les armes ?
Moshir al-Masri : Au sujet de
ce qu’on a coutume d’appeler «
l’équilibre des forces », permettez-nous
d’insister sur le fait que tout pays
occupé, dès lors qu’il lutte contre une
occupation militaire, ne bénéficie
certainement pas d’un rapport de force
favorable. Sinon, si les forces étaient
équilibrées, l’armée d’occupation ne
pourrait pas maintenir une minute de
plus son occupation du pays en question
et de son peuple…
Bien entendu, les
forces sont totalement déséquilibrées,
et nous sommes faibles. Mais faibles,
nous le sommes en raison de notre manque
d’armes, et certainement pas dans notre
détermination et notre volonté de tenir
face aux armes israéliennes
ultramodernes et sophistiquées. Nous
avons la volonté des montagnes. Nous
avons pour nous le droit, et nous sommes
prêts à tout sacrifier, je dis bien
tout, pour recouvrer notre droit usurpé
et violé.
Par conséquent, cet
équilibre des forces, il est
vraisemblable que nous parviendrons,
petit à petit, à le créer. De son début,
jusqu’à son terme, l’Intifada (le
soulèvement) a changé de tactique
militaire, passant d’un mode d’action à
un autre, jusqu’à être en mesure de
porter des coups à l’ennemi et à arrêter
son agression permanente contre notre
peuple.
S.C. - Quelle a
été la politique de Yasser Arafat
vis-à-vis du Hamas ? Et quelle est
aujourd’hui celle d’Abou Mazen ?
Moshir al-Masri : La politique
vis-à-vis du mouvement Hamas du
président disparu Abu Ammar [Yasser
Arafat] – que Dieu l’accepte dans Sa
miséricorde ! – était une politique
fluctuante, variant d’un instant à
l’autre.
Une chose est sûre :
en 1996, l’Autorité palestinienne a eu
une politique faite d’arrogance et
d’arbitraire à l’encontre du Hamas ;
elle a jeté en prison ses militants et
ses dirigeants, qu’elle a pourchassés
jusqu’à imposer l’assignation
domiciliaire au Shaïkh Ahmad Yassine.
Nous avons patienté, nous avons surmonté
nos blessures. Non pas par faiblesse,
mais par respect pour le sang
palestinien et afin de préserver l’union
nationale.
A l’inverse, il y a
eu des périodes où la relation entre le
Hamas et le président Abu Ammar était
une relation solide : il y avait alors
interaction. Cette relation, on le voit,
n’était pas monocolore : au contraire,
elle a pris de multiples colorations,
des plus variées…
En ce qui concerne,
cette fois, nos relations avec le
président Abu Mazen [Mahmud Abbas] :
jusqu’ici, le président Abu Mazen est un
homme faible. Nous sommes tombés
d’accord avec lui sur beaucoup de
points, mais les décisions prises n’ont
pas trouvé de traduction concrète sur le
terrain et, jusqu’à présent, il est
impossible de procéder à une véritable
évaluation de sa politique. D’une part
parce que l’expérience n’est pas assez
longue pour permettre cette évaluation,
mais surtout, d’autre part, parce qu’Abu
Mazen n’a mis en application réelle
aucun projet politique sur l’arène
palestinienne, à l’aune duquel nous
soyons en mesure de le juger.
S.C. - Plus de
650 000 Palestiniens sont passés par les
prisons israéliennes et beaucoup ont été
soumis à des tortures traumatisantes
depuis 1967 en Cisfordanie et à Gaza. Il
y a actuellement en Israël 9 200
prisonniers palestiniens. Comme vous le
savez, -cela est documenté par des ONG-
la police du Shabak se sert de
techniques sophistiquées pour les
dégrader, les humilier, les transformer
en collaborateurs. On peut s’étonner que
l’Autorité palestinienne n’ait pas exigé
avec plus d’insistance la libération des
prisonniers, comme préalable à toute
négociation ! Des centaines de militants
du Hamas et du Jihad ont été arrêtés, au
cours des derniers mois, en Cisjordanie.
Ces arrestations et ces assassinats
auraient-ils pu réussir de manière si
massive, sans la collaboration des
services de sécurité palestiniens de
Ramallah avec les services de sécurité
israéliens, notamment le Shin Beth ?
Moshir al-Masri : En ce qui
concerne les arrestations et les
assassinats « ciblés », il faut savoir
qu’ils n’auraient jamais pu se produire
sans la coopération des services de
sécurité palestiniens avec le Shin Bet.
Nous affirmons qu’il
y a eu un pacte, par lequel l’Autorité
palestinienne s’est liée les poings face
à l’ennemi israélien et qu’aux termes de
ce pacte, il y avait une coordination
sécuritaire qui a placé l’arène
palestinienne dans une terrible impasse
et dans des dissensions intestines. Les
arrestations, les chasses à l’homme, les
assignations domiciliaires n’ont pu être
imposées aux militants et aux dirigeants
du Hamas qu’en raison de cette
coopération sécuritaire entre
[responsables] palestiniens et
israéliens.
En ce qui concerne
les assassinats ciblés et les
arrestations, il est évident qu’il
existe tout un réseau de traîtres, qui
vont et viennent librement en Palestine.
Ce sont eux qui jouent un rôle essentiel
direct dans les opérations d’élimination
par les services israéliens. Il en va de
même des incursions et des rafles.
Malheureusement,
l’Autorité palestinienne n’a pas été à
la hauteur de ses responsabilités, dans
ce domaine, et nous n’avons pas voulu
nous charger de cette tâche d’ordre
public, afin de ne pas créer des
dissensions dans l’arène palestinienne,
et aussi afin qu’on ne puisse pas dire
de nous que nous aurions été un Etat
dans l’Etat.
Nous ne dirigeons nos
armes que contre ceux qui nous agressent
et il incombe à la justice palestinienne
de prendre ses responsabilités et de
régler tout problème interne. Il est
évident que l’Autorité palestinienne
s’est elle-même liée les mains, en
signant des accords qui nous interdisent
de pourchasser les traîtres, qui
pratiquent l’assassinat de nos
concitoyens en désignant aux forces
d’occupation les endroits où se trouvent
des Palestiniens [résistants]
pourchassés, qu’elles recherchent afin
de les arrêter, voire, plus fréquemment
encore, de les assassiner.
S.C. – Il est
apparu que l’Autorité palestinienne,
après avoir mis son peuple dans une
situation impossible - en l’appelant
notamment à la cessation de la lutte
avant même la libération nationale – et
après avoir signé avec Israël des
traités « entre deux parties », a fait
disparaître le terme « ennemi israélien
» de son vocabulaire. Récemment le «
droit au retour », a également été banni
du vocabulaire des dirigeants
palestiniens ; ils parlent maintenant «
d’une solution au problème des réfugiés
» mais pas de droit. Pendant ce temps,
l’argent se déverse à flot dans les
caisses d’Abou Mazen. Cet argent
n’est-il pas destiné à acheter toute une
élite politique et une classe moyenne
susceptibles de renoncer à la lutte
nationale de libération ? Quelle est
aujourd’hui la position du Hamas
vis-à-vis de l’Autorité palestinienne
sur ces questions ?
Moshir al-Masri : En ce qui
concerne la modification de la
terminologie et de l’utilisation, ou de
l’interdiction, de l’expression « ennemi
israélien », l’Autorité palestinienne a
œuvré, de conserve avec l’ennemi
israélien, -en vertu d’un accord
sécuritaire conclu entre eux- à faire
disparaître beaucoup de concepts et à
tenter de les effacer de l’esprit des
diverses générations de Palestiniens.
Mais l’Intifada bénie d’Al-Aqçâ a remis
ces définitions et ces concepts à
l’ordre du jour d’une manière encore
plus forte qu’auparavant et, cela,
surtout suite aux agissements de
l’occupant, faits de crimes et de
massacres des plus horribles perpétrés
contre les enfants de notre peuple.
Oui, il y a une
faiblesse insigne, dans l’action de
l’Autorité palestinienne, à bien des
égards. Et comme par hasard, ce sont ses
responsables qui veulent changer le
vocabulaire. Mais les définitions du
peuple ne sont pas celles des
représentants de l’autorité. Il en va de
même en ce qui concerne le droit au
retour des réfugiés palestiniens. Quand
un responsable palestinien parle de «
résoudre le « problème » des réfugiés »,
on peut voir là une concession
exorbitante, provenant de ce côté-là.
Nous parlons ici des millions d’enfants
de notre peuple (plus de cinq millions
de Palestiniens) qui sont exilés,
chassés, éparpillés dans la quasi
totalité des pays du monde et qui ont le
droit de revenir chez eux, sur leurs
terres, dans leur patrie dont on les a
chassés par la force.
Ce sont là les termes
qu’utilisent le peuple et les
combattants. Ce que disent certains
responsables de l’Autorité palestinienne
n’est pas représentatif de l’ensemble
des palestiniens.
S.C. - Le
Congrès pour le « droit au retour »
réuni à Nazareth en décembre 2005, a mis
en garde ceux qui veulent vous imposer
la reconnaissance de l’Etat d’Israël en
tant qu’ « Etat juif » et évacuer le
droit au retour. Ce droit demeure-t-il
pour vous la pierre d’achoppement, « un
droit inaliénable » sur lequel nul ne
peut revenir ?
Moshir al-Masri : En ce qui
concerne l’imposition d’une
reconnaissance arabe et palestinienne de
l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif et
la reconnaissance du fait accompli, je
pense que cette reconnaissance de l’Etat
d’Israël est extrêmement dangereuse, car
elle signifie l’abandon du droit
palestinien, et elle signifie que la
politique du fait accompli s’est imposée
définitivement au monde arabo-musulman.
Nous accueillons à
bras ouverts les juifs en tant que tels,
mais nous n’accueillons pas à bras
ouverts une occupation qui écrase notre
terre et notre peuple. Comme je l’ai
déjà dit, nous ne pouvons accepter
d’être chassés de chez nous, de nos
maisons, de nos terres, après quoi nous
reviendrions prendre possession d’une
portion congrue de ces terres et nous
reconnaîtrions au voleur la propriété de
tout le reste, en disant que cela lui
revient de droit et en consacrant ce
droit devant le monde entier.
C’est la raison pour
laquelle, nous, au mouvement Hamas, nous
mettons en garde toutes les parties
prenantes contre les conséquences
terribles qu’aurait le fait de tomber
dans le piège israélien consistant à
consacrer la politique israélienne des
faits accomplis.
S.C. -
L’autorité palestinienne a tout misé sur
la création d’un Etat palestinien
indépendant. Mais les Palestiniens
sont-ils prêts à accepter un Etat sur le
peu qui restera : quelques 8 % des
terres historiques pour tout règlement
des torts causés par Israël depuis 1948
? Un Etat unique où juifs et non juifs
vivent avec des droits égaux ne
serait-il pas une solution plus
équitable ?
Moshir al-Masri : Je tiens à
dire que le mouvement Hamas croit aux
solutions par étapes, mais pas aux
solutions basées sur des concessions.
C’est ce qu’avait affirmé le Shaïkh
Yassine, fondateur et dirigeant du
Hamas, il y a plus de quinze ans. Il
avait dit : « Nous pouvons accepter la
création d’un Etat en Cisjordanie, dans
la bande de Gaza et à Jérusalem Est,
avec le retour des réfugiés et la
libération de tous les prisonniers.
C’est alors que nous pourrons signer une
trêve sur le long terme, pour dix ans
s’il le faut, voire même plus ».
Mais il est évident
que l’ennemi sioniste veut perpétuer son
occupation. La preuve en est que Sharon,
après avoir vendu son retrait de Gaza,
en le présentant comme une « concession
douloureuse », revient à Gaza et y
assassine, y bombarde, y frappe, et
revient au nord de la bande de Gaza pour
y établir un no man’s land. On le voit :
Sharon ne connaît que le langage de
l’occupation. Il ne sait pas ce que veut
dire une trêve, comme le montre sa
violation de la trêve actuelle, et il ne
connaît pas le langage de la paix. Il ne
connaît que le langage du crime et de la
terreur contre notre peuple.
Par conséquent, nous
confirmons notre adhésion à des
solutions par étapes, mais, en
contrepartie, nous ne saurions
reconnaître l’occupation de notre
territoire. C’est pourquoi le reste du
monde doit se rassembler afin de se
tenir aux côtés de notre peuple
endeuillé et meurtri, dont le territoire
est occupé, dont les lieux saints sont
violés et dont les enfants sont les
victimes de la pire agression.
Quant à la création
d’un Etat qui réunirait les juifs et les
Palestiniens, nous n’avons cessé
d’affirmer – mais je veux bien le
réaffirmer encore une fois – que nous
avons vécu avec les juifs tout au long
de l’histoire islamique, qu’en tant que
Dhimmis, dans l’Etat musulman, ils
bénéficiaient des mêmes avantages et ils
étaient soumis aux mêmes obligations que
nous ; ils faisaient partie de notre
patrie.
Encore une fois : le
problème n’est pas avec les juifs. Le
seul problème que nous ayons c’est avec
l’occupation israélienne.
S.C. - Après le
retrait des colons de Gaza, la
communauté internationale a considéré ce
retrait comme une avancée vers la paix.
Or ; où est la paix ? Gaza n’est
toujours pas libérée. Ceux qui l’ont
visitée récemment ont rapporté que le
million et demi de Palestiniens qui
l’habitent, demeurent sous le contrôle
absolu d’Israël ; surveillance et
coercition qui vont encore s’accroître
par la construction par Israël de la
triple barrière munie de mitrailleuses
télécommandées, de détecteurs
électroniques et optiques. Plutôt que de
parler de libération, pourquoi n’avoir
pas rappelé que les habitants de Gaza
sont emmurés derrière des barrières,
dans un camp de concentration ?
Moshir al-Masri : Oui. Il est
clair que ce qu’a voulu vendre Sharon,
c’est un mensonge. En effet, le retrait
de la bande de Gaza n’est pas un
véritable retrait, ni un retrait total.
Israël continue à occuper l’espace
aérien de Gaza : ses avions ne cessent
de survoler Gaza, les bombardements
continuent et les simulacres d’attaques
aussi, ainsi que les assassinats ciblés
depuis les airs, par drones et missiles.
Il en va de même de l’encerclement
terrestre et maritime, y compris du
point de passage de Rafah, qui est
l’unique issue laissée au peuple
palestinien vivant dans la bande de Gaza
: il est truffé de caméras, il y a des
commissions sécuritaires mixtes, qui
interrogent toute personne qui entre
dans la bande de Gaza ou qui en sort,
même s’il n’y a plus de présence
militaire israélienne effective.
Il en résulte que
nous vivons dans une immense prison,
dans la bande de Gaza, et que l’ennemi
israélien n’a fait aucune concession. Il
ne s’est retiré de Gaza que sous les
coups de la résistance : il a lui-même
reconnu ne plus pouvoir supporter le
fardeau sécuritaire qui pesait sur ses
épaules en raison de son occupation de
la bande de Gaza, en particulier dans
les colonies, en butte aux frappes de la
résistance palestinienne, en dépit des
moyens rudimentaires de celle-ci, qui a
néanmoins réussi à atteindre l’ennemi
israélien en lui infligeant une dure
leçon et en lui apprenant que la terre
palestinienne ne saurait tolérer la
perpétuation de son occupation par
Israël.
S.C. -
Contrairement à l’ANC en Afrique du Sud,
ni Arafat ni Abou Mazen n’ont jamais
appelé au boycott international, ni à la
lutte civile, ni à des sanctions
punitives contre Israël. Le président de
l’Université palestinienne Al Quds s’est
même élevé contre le boycott des
universités israéliennes lancé par des
Britanniques. Comment expliquez-vous une
telle soumission de la part des
dirigeants de l’OLP à Israël, alors que
les Palestiniens attendent de leurs
autorités qu’elles défendent leur cause
?
Moshir al-Masri : Il est clair
que l’Autorité palestinienne est en
train de connaître une dérive dangereuse
et que certains de ses dirigeants
s’accrochent à leur fauteuil. Ils sont
prêts à faire toutes les concessions
possibles et imaginables.
C’est ce dont nous
nous sommes rendu compte, avec le genre
d’accord qu’ils ont signés : il n’y
avait pas de position solide de
l’Autorité palestinienne qui fût en
mesure de mettre un terme à l’agression
sioniste contre le peuple palestinien.
Le discours dominant, c’était celui des
concessions : c’est cette langue des
concessions qui s’est imposée la plupart
du temps, à un point tel que le
président d’une université palestinienne
a osé protester, vous avez tout à fait
raison, contre le boycott des
universités israéliennes, comme si nous
vivions avec Israël dans un même cadre,
en oubliant totalement notre sang versé,
la confiscation de nos terres et la mise
sous occupation de toutes les
possibilités du peuple palestinien !
Oui, hélas, il y a
une soumission, de la part de
l’Autorité, à l’administration
israélienne, en échange de
non-concessions israéliennes vis-à-vis
de l’Autorité. Et cela, parce que
celle-ci s’est liée les mains avec des
accords dont elle est incapable de
s’extraire, au moment même où Sharon et
consorts nient les accords dont il est
question, en déclarant que les accords
d’Oslo n’ont plus d’existence pratique,
sur le terrain.
S.C. - Les
parlementaires de l’Union européenne-
gauche et droite - ont voté en 2004, à
une large majorité, une résolution dite
" Paix et Dignité au Proche-Orient" qui
exige de l’Autorité palestinienne de
mener une lutte contre les actes de
terrorisme. Cette résolution :
« réitère sa ferme condamnation ainsi
que le rejet de tout acte de terrorisme
commis par des organisations terroristes
palestiniennes contre le peuple
israélien, et exige que l’Autorité
nationale palestinienne mène une lutte
sans merci contre ces actes de
terrorisme jusqu’au démantèlement total
de ces organisations »
« déclare expressément que le terrorisme
palestinien, que ses victimes soient
civiles ou militaires, non seulement est
responsable de nombreuses victimes
innocentes, ce qui le rend des plus
condamnables, mais en plus nuit
gravement au processus de paix que l’on
veut reprendre ». Que
dites-vous à ces parlementaires de
l’Union européenne ?
Moshir al-Masri : En ce qui
concerne les « terroristes », et
l’affirmation selon laquelle la
résistance non seulement tuerait des
innocents, mais ferait obstacle au
processus de paix, nous disons : «
Observons attentivement et précisément
la scène palestinienne et les événements
qui s’y sont produits depuis la
signature de l’accord de paix entre
Palestiniens et Israéliens.
Qui a commencé à tuer
? Qui a perpétré des massacres le
premier ? Comment l’Intifada d’Al-Aqçâ,
que nous continuons à vivre aujourd’hui,
a-t-elle débuté ? Ne serait-ce pas, par
hasard, avec la visite provocatrice de
Sharon à la Mosquée Al-Aqçâ, bénie et
sainte pour les musulmans et pour le
peuple palestinien ?
Les fidèles
[musulmans] ayant protesté, les forces
de l’occupation ont abattu des dizaines
d’entre eux, en quelques instants. C’est
alors que les foules se sont levées,
partout, afin de défendre leurs lieux
saints, comme c’était leur droit et leur
devoir.
La première Intifada
(1987-1991), quant à elle, n’avait-elle
pas éclaté après qu’un colon eut écrasé
volontairement sept ouvriers
palestiniens à Jabalya ?
Par conséquent, nous
défendons notre peuple, et ceux qui nous
qualifient de « terroristes » se
trompent ; ils doivent reconsidérer leur
appréciation. Nous ne sommes pas des «
terroristes ». Nous prônons la vie, nous
prônons un projet de libération, nous
défendons la dignité et la légitime
fierté. Il faut que le monde européen
cesse d’être le complice de l’Amérique,
dans son alignement patent sur l’ennemi
israélien. Si vous étudiez et examinez
précisément les problèmes en jeu sur
l’arène palestinienne, vous comprendrez
que, dans la quasi totalité des cas,
c’est l’occupation qui provoque les
problèmes.
S.C. - Le
récent succès électoral du Hamas a jeté
un vent de panique au sein de l’Autorité
palestinienne. Pensez-vous qu’après
avoir régné durant douze ans en maître
absolu, s’être enlisée dans des
négociations « de paix » -les Accord
d’Oslo- qui ne menaient qu’à plus de
souffrances pour les Palestiniens,
sera-t-elle capable de renoncer aux
privilèges acquis aux dépens de son
peuple et d’accepter le message que ce
dernier lui envoie ?
Moshir al-Masri : Nous pensons
qu’un des principes de la démocratie,
c’est l’acceptation des résultats des
élections. La nation n’est le monopole
de personne, elle appartient à tout le
monde.
Le mouvement Hamas
tient à rassurer tout le monde,
l’Europe, l’Amérique et le monde entier,
ainsi que l’Autorité palestinienne :
nous n’avons nullement l’intention de
prendre la place de qui que ce soit dans
ces élections, ni de contester
quiconque.
Nous voulons
consacrer une nouvelle étape, celle de
la participation politique, afin d’en
finir avec l’exclusive dans la prise de
décision politique palestinienne. Cette
étape sera aussi celle de l’union
nationale face aux défis propres à cette
étape : ce peuple qui a fait les plus
grands sacrifices pour contraindre
l’occupant à se retirer d’une partie de
son territoire doit aujourd’hui pouvoir
vivre une vie tranquille et décente,
loin des manifestations d’anarchie et
d’insécurité, provoquées la plupart du
temps par les services dits « de
sécurité » eux-mêmes, loin du système du
piston et des pots-de-vin, loin de la
perte des repères, du vide devant
l’inconnu, qui dominent actuellement la
scène palestinienne.
C’est la raison pour
laquelle le Hamas a voulu participer
sans plus tarder aux élections
législatives, afin de tenter de sauver
la scène palestinienne de cette
situation délétère.
S.C. - C’est
pour le peuple palestinien une situation
on ne peut plus déprimante. Rien de ce
que l’Autorité palestinienne lui a
promis n’a été réalisé. Or, si les
Palestiniens lui ont tourné le dos, cela
ne veut pas dire, pour autant, qu’ils
adhèrent à votre programme ?
Moshir al-Masri : Il est clair
qu’en raison de la monopolisation du
pouvoir par l’Autorité palestinienne,
qui prend seule toutes les décisions
concernant l’avenir du peuple
palestinien depuis dix ans, et d’autre
part du succès du mouvement Hamas et de
son programme en matière de résistance
légitimement reconnue par le droit
international et du fait que ce
mouvement a été le porteur des
préoccupations du peuple palestinien et
de la bannière du changement et de la
réforme, on a assisté à un rassemblement
populaire autour du Hamas.
De plus, le peuple
palestinien est un peuple musulman en
majorité. Or, le Hamas est un mouvement
musulman, qui veut que notre peuple vive
l’Islam comme une réalité concrète
autant que cela nous est possible.
Il est clair que
l’Autorité palestinienne n’a pas tiré
les leçons de ses erreurs, et que sa
situation est déplorable. Elle est même
incapable de tenir tête à ceux de ses
membres qui pratiquent des enlèvements
d’étrangers, qui nuisent à l’image
honorable de notre peuple, ou qui
pratiquent les occupations de diverses
institutions, le racket et
l’intimidation.
Tout ceci fait que
l’Autorité palestinienne traverse une
période de grande faiblesse et de
décomposition. C’est la raison pour
laquelle nous avons tenu à participer
aux élections, afin que l’Autorité
recouvre son prestige et que le droit
retrouve sa primauté. Nous voulons créer
une Autorité palestinienne respectable,
afin que le peuple palestinien puisse la
respecter.
S.C. - Sauf à
Ramallah, durant l’année écoulée, lors
des élections locales, le Hamas a
récolté plus de 50 % des voix. Le FPLP,
parti de gauche, a dans certaines villes
fait alliance avec vous. Cela tend-il à
démontrer qu’il ne s’agit pas de voter
pour une religion mais pour des hommes
et des femmes qui, contrairement aux
cadres du Fatah, n’ont jamais abandonné
la lutte de libération ?
Moshir al-Masri : Le fait que
le Hamas conclut des alliances avec le
Front Populaire de Libération de la
Palestine ou d’autres organisations,
confirme qu’il n’est pas un mouvement
sectaire, ni sclérosé, ni replié sur
lui-même.
Le Hamas est un
mouvement qui s’affirme comme une page
ouverte à tous, comme un mouvement prêt
à s’allier avec tous les enfants de
notre peuple palestinien, afin de
défendre les intérêts supérieurs de
notre peuple, dans le cadre d’un
changement et d’une réforme réels dans
l’arène palestinienne. C’est de là que
découle le soutien apporté par le Hamas
à une candidate de gauche à la mairie de
Ramallah, soutien qui n’est pas un cas
unique, loin de là.
Nous disons à tous
que nous ne voulons prendre la place de
personne, nous ne voulons évincer
personne. Nous voulons vivre une
existence digne et tranquille, à l’abri
de tous les phénomènes que connaît la
scène palestinienne depuis dix ans. Nous
voulons convenir d’une stratégie bien
définie qui protège les droits du peuple
palestinien et préserve ses avancées,
sans considération sur les appartenances
de ces alliés : il suffit qu’ils soient
Palestiniens et qu’ils veuillent servir
la cause du peuple palestinien.
S.C. - Pourquoi
avez-vous pris le parti de participer à
ces élections alors que le Jihad
islamique, lui, s’est abstenu ? Des
élections sous occupation ne
détournent-elles pas les Palestiniens de
l’essentiel ? La priorité n’est-elle pas
de nouer le dialogue inter-palestinien
pour relancer la lutte nationale ?
Moshir al-Masri : Quelles sont
les priorités du Hamas, dans la période
actuelle ? Mettons les points sur les «
i » : le Hamas a trois priorités, dont
aucune n’est caduque, ni moins
importante que les autres.
La première priorité,
c’est le renforcement de l’unité
interne, étant donné que c’est cette
unité qui est à même de protéger l’arène
palestinienne contre tout développement
dangereux.
La seconde, c’est le
renforcement de la participation
politique, qui représente une option
susceptible de sauver la scène
palestinienne du marasme actuel.
Le troisième point,
c’est le renforcement du programme de la
résistance en tant que choix stratégique
de notre peuple, tant qu’une occupation
continuera à peser sur notre terre et
tant que se poursuivra l’agression
continue contre notre peuple. Ce choix a
été celui de toutes les révolutions de
par le monde, y compris en Europe et en
Amérique. Il s’agit d’un choix reconnu
par le droit international.
S.C. - La
participation du Hamas aux élections
législatives palestiniennes, dans les
territoires sous contrôle de l’Autorité
Palestinienne, a été mise en cause par
M. Javier Solana. Celui-ci, reprenant la
menace des Etats-Unis, a fait pression
sur les Palestiniens en affirmant que si
le Hamas remportait les élections,
l’aide financière de l’Europe serait
suspendue. Ce qui indique que l’Europe
ne reconnaît pas aux Palestiniens le
droit de choisir leurs propres
représentants ni celui de résister. Ce
chantage, qui menace les Palestiniens
d’un étranglement financier, donc de les
rendre encore plus faibles face à
l’occupant, empêchera-t-il les
Palestiniens de voter pour les candidats
du Hamas ou du FPLP ?
Moshir al-Masri : En ce qui
concerne la question de savoir si les
menaces européennes et les menaces
américaines de couper les aides sont
susceptibles de dissuader notre peuple
de soutenir le Hamas, je répondrai que
je pense que les déclarations tant
européennes qu’américaines à cet effet
ont coïncidé avec la quatrième étape des
élections municipales palestiniennes, en
particulier dans les plus grandes
villes.
Or, quel en a été
l’effet ? Le Hamas a remporté les
élections dans les plus grandes villes
palestiniennes, comme Naplouse, El-Biréh,
Ramallah ou Jénine. Par conséquent,
notre peuple palestinien est un peuple
qui compte essentiellement sur Dieu –
Qu’Il soit exalté ! – et qui connaît ce
verset coranique « C’est dans le ciel
que se trouve la véritable vie qui vous
a été promise ». Le peuple sait très
bien qu’il y a un complot international
ourdi contre lui. Par conséquent, il
veut choisir ceux qui seront capables de
porter sa préoccupation et ceux dont il
sait, de confiance, qu’ils seront dignes
de la mission qu’il leur aura confiée,
par la grâce de Dieu !
Nous, au Hamas, nous
avons fait nos preuves, au fil des
années, dans de nombreuses institutions,
syndicats, coopératives, ou autres, et
nous avons donné un exemple à suivre.
C’est en connaissance de cause que le
peuple palestinien nous a élus, c’est en
raison de sa confiance.
Par conséquent, la
provocation de l’administration
américaine qui, aux dires des
responsables de l’Autorité
palestinienne, n’accorde au peuple
palestinien que des miettes qui ne
représentent pratiquement rien dans le
budget palestinien et la position
européenne, voire même les déclarations
de Javier Solana dont je ne pense pas
qu’elles reflètent une position
européenne bien étudiée qui représente
vraiment tous les Etats membres de
l’Union européenne, vous savez…
Disons que je ne
considère pas que la dernière position
adoptée par le Quartette soit une
position d’une grande fermeté. Il s’agit
plutôt de l’expression d’un recul :
après avoir refusé la participation du
Hamas aux élections, certains
partenaires internationaux ont dépassé
ce blocage, après avoir constaté la
détermination et la volonté des
Palestiniens, ainsi que l’unanimité sur
la nécessité de la participation de tous
à ces élections.
Les puissances
étrangères opposées à notre
participation ont commencé à brandir la
menace de la suspension des aides
économiques, puis elles ont cessé de le
faire après avoir constaté que cela ne
dissuaderait en rien les Palestiniens de
voter pour le Hamas. Elles se sont alors
contentées de formuler des mises en
garde contre la participation du Hamas à
tout gouvernement palestinien à venir.
Je suis persuadé que
les partenaires internationaux se
verront contraints de composer avec une
réalité nouvelle pour eux : le mouvement
Hamas est une composante authentique du
peuple palestinien, il fait partie de
ceux qui déterminent la décision
politique palestinienne.
S.C. - La
position du Quai d’Orsay, était plus
nuancée que celle de M. Solana : « Nous
pensons qu’il est important que le
processus électoral qui a été engagé
dans les territoires palestiniens puisse
se dérouler normalement. Le Hamas
demeure inscrit sur la liste « des
organisations terroristes de l’Union
européenne, tant qu’il n’aura pas
renoncé à la violence et reconnu l’Etat
d’Israël. Pour notre part, nous suivons
avec intérêt ce qui se passe et cette
évolution du Hamas sur le plan politique
». Vous paraît-il possible de renoncer à
la lutte armée et de reconnaître
l’existence de l’Etat juif d’Israël ?
Moshir al-Masri : En ce qui
concerne la reconnaissance de l’Etat
d’Israël et le renoncement à la lutte
armée, je réponds : comment le Liban
s’est-il libéré ; comment beaucoup de
pays européens se sont-ils libérés, et
comment l’Amérique du Nord s’est-elle
libérée ? N’est-ce pas en chassant les
puissances qui les occupaient ?
Cela fait dix ans que
nous essayons de négocier : pour quel
résultat ? Le résultat, n’est-ce pas
l’inconnu ? Le résultat, n’est-ce pas le
vide ? Qu’est-ce que l’Autorité
palestinienne a récolté ? Qu’est-ce que
le peuple palestinien a récolté ? Rien,
sinon des malheurs, la destruction, le
recul de la cause palestinienne pour des
lustres.
On ne peut pas
continuer à faire ce genre d’expérience
vouée à l’échec ni accepter une
occupation qui s’incruste, qui continue
à tuer, à massacrer, à perpétrer la
terreur contre le peuple palestinien.
Nous disons que le Hamas est un
mouvement ouvert, prêt au dialogue avec
qui le souhaite à la lumière des
intérêts supérieurs du peuple
palestinien.
Mais un dialogue avec
l’occupation sioniste, c’est un dialogue
qui a échoué, bien qu’il ait été tenté
sur la base des plus grandes concessions
de notre part, en échange de rien du
tout, du côté israélien.
S.C. - De
savoir que les dirigeants des pays
démocratiques ont systématiquement
refusé de sanctionner Israël qui viole
les Conventions de Genève - démolitions
de maisons, exécutions sommaires,
arrestations arbitraires, assassinats
d’enfants - et aussi de savoir que les
associations, qui disent défendre les
droits du peuple Palestinien, ont
toujours collaboré avec l’Autorité
palestinienne qui est considéré par vous
un système corrompu et répressif, vous
choque-t-il ? Ne pensez-vous pas que
votre meilleure arme est de mieux
expliquer à l’opinion internationale
quel type de soutien les Palestiniens
sous occupation militaire attendent ?
Moshir al-Masri : Oui, cela me
choque. Effectivement, nous avons besoin
d’une vaste campagne médiatique. Mais il
est évident que les sionistes, leurs
séides et leurs amis possèdent des
moyens d’information extrêmement
puissants qui écrasent les nôtres.
Israël a violé la
quasi totalité des résolutions du
Conseil de sécurité de l’Onu, ainsi que
toutes les Conventions de Genève, en
perpétrant les pires crimes terroristes
contre notre peuple : destruction de
maisons, de terres agricoles, assassinat
délibéré d’enfants innocents et, cela,
sans qu’il ne juge le moindre soldat
responsable de ces assassinats,
notamment d’enfants, comme celui du
jeune Muhammad Al-Dura, auquel le monde
entier a assisté : on l’a vu crier,
supplier. En vain. Le résultat ? Le
soldat responsable d’avoir tué
délibérément a été emprisonné pendant un
mois à peine. Cela équivalait purement
et simplement à se gausser du sang
palestinien répandu.
Oui ; il nous faut
dénoncer toutes ces exactions
israéliennes, toutes les violations
israéliennes des résolutions du Conseil
de sécurité, et aussi celles des
Conventions de Genève.
Nous avons besoin des
efforts des journalistes européennes et
européens, des juristes, de toutes les
personnes et instances porteuses du sens
du mot « humanité », qui comprennent ce
que l’occupation signifie et qui
connaissent l’horreur du crime et du
terrorisme sionistes à l’encontre de
notre peuple, afin qu’ils fassent
comprendre au monde, autant qu’il leur
est possible, quelle est la véritable
situation.
Nous savons qu’il
existe une connivence entre les régimes
politiques européens et l’ennemi
israélien, mais nous savons aussi qu’il
y a chez vous, en Europe, des gens qui
défendent les valeurs humaines, et nous
leur serrons fraternellement la main, en
les priant de multiplier les contacts
avec nous.
S.C. -
Autrement dit, Israël aura le beau rôle
aussi longtemps que l’opinion n’aura pas
compris que la racine de ce conflit ce
n’est pas la religion mais la lutte d’un
peuple pour garder sa terre, et aussi
pour le retour des trois quarts des
Palestiniens expulsés en 1948 par la
force, pour y installer, à leur place,
des gens de confession juive venus de
partout. Tant que ce déni de l’histoire
perdure il est facile à Israël de
renverser les responsabilités et
d’accuser de terrorisme ceux qui
relèvent la tête. Si vous obtenez une
majorité aux élections législatives,
êtes-vous prêts à rencontrer les
responsables politiques européens pour
leur rappeler que le point central du
conflit est l’expropriation et
l’épuration ethnique des Palestiniens
par Israël ? Et de façon plus générale,
que pensez-vous faire ?
Moshir al-Masri : Si nous
remportons la majorité lors des
élections législatives, nous aviserons.
Mais, sur le plan du
dialogue avec l’Europe et les
États-Unis, le Hamas n’a d’hostilité
envers personne, et nous sommes prêts à
dialoguer avec qui voudra dialoguer avec
nous. Nous avons dialogué avec l’Europe,
notamment avec des parlementaires
européens, et nous avons instauré un
dialogue avec des universitaires
américains, à Beyrouth (mais il ne
s’agit pas de personnes détentrices d’un
quelconque pouvoir exécutif aux
États-Unis).
Le Hamas est un
mouvement ouvert à tous, et certainement
pas un mouvement rigoriste, ni un
mouvement complexé. Bien entendu, le
Hamas est un mouvement porteur d’un
projet islamique, qui veut que tout le
monde vive en liberté et dans la
dignité, et donc que notre peuple vive
libre et dans la dignité.
Ce que nous demandons
au monde, c’est de ne pas s’aligner, de
ne pas persister dans son alignement
patent, meurtrier et provocateur sur
l’ennemi sioniste, au prix des intérêts
nationaux du peuple palestinien. Nous
sommes prêts à dialoguer avec tout
partenaire, mis à part Israël, qui
perpétue l’occupation et l’agression
contre notre peuple palestinien, afin
d’expliciter ce qui doit et peut l’être
et de mettre tout un chacun au courant
de ce qui se passe sur la scène
palestinienne, et aussi afin de rappeler
à nos partenaires que le problème, c’est
l’occupation et l’agression, et en aucun
cas notre peuple ni sa résistance
légitime. Le problème est du côté de
ceux qui sont venus chasser notre peuple
de chez lui et en occuper les terres.
Par conséquent, nous
sommes persuadés que le monde libre doit
s’efforcer de faire en sorte que le
peuple palestinien vive libre,
dignement, comme il vit lui-même.
Nous vous remercions
tous.
Interview publiée le 20 janvier 2006,
remise à jour le 13 janvier 2012
Cette interview a
également été publiée :
en
arabe
en
anglais
en
espagnol
en
italien
en
russe
Silvia Cattori
[1]
Voir :
http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/Pierre-Weiss-denonce-la-venue-dun-membre-du-Hamas-a-lUniversite-de-Geneve/story/22871159
[2]
Lire ce que dit à ce propos le
chirurgien français Christophe Oberlin :
http://www.silviacattori.net/article1582.html
[3]
Voir la version en ligne :
http://www.lematin.ch/suisse/standard/Le-porteparole-du-Hamas-invite-a-luniversite-de-Geneve/story/23953067
[4]
Abdel Aziz Rantissi, dirigeant politique
du Hamas, a été sommairement exécuté,
ainsi que deux de ses gardes du corps,
quelque mois plus tard, le 16 avril
2004, par deux roquettes tirées à partir
d’un hélicoptère israélien.
Le
dossier Hamas
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