Silvia Cattori :
En 1999 les téléspectateurs francophones ont
pu voir, horrifiés, « Bentalha autopsie d’un
massacre » [1]
; ce reportage montrait que, dans la nuit
du 22 au 23 septembre 1997, l’armée algérienne avait
sauvagement tué quelque deux cents villageois. En vous
lisant on comprend que ces révélations n’avaient alors pas
réussi à lever le voile sur les crimes d’État. Notamment à
cause de « l’influence de Bernard-Henri Lévy et d’une
brochette d’intellectuels négatifs, André Glucksmann, Denis
Jeambar [2],
Daniel Leconte [3],
etc.), bien secondés par des hommes politiques influents »,
dont Jack Lang et Hubert Védrine. Pouvez-vous expliciter
comment cette « influence » s’est manifestée ?
Lounis Aggoun :
Il faut d’abord saluer la rédaction de France 2 qui a eu le
courage de présenter ce document ; il y avait à cette époque
Paul Nahon et Bernard Benyamin. Elle n’a plus osé reproduire
l’expérience, depuis notamment qu’Arlette Chabot en a été
nommée directrice et où la culture du mensonge a atteint une
apogée.
Concernant Bernard-Henri
Lévy (surnommé BHL), on connaît son rôle habituel dans la
galaxie médiatique et l’influence néfaste qu’il a exercée en
1998 en publiant dans Le Monde – à la suite d’une visite de
deux jours sous escorte militaire en Algérie – un texte où
il exonérait les généraux algériens de tous leurs crimes,
hormis peut-être, disait-il, celui d’incompétence.
Permettez que je cite un
extrait de la réponse donnée par Pierre Bourdieu à
Bernard-Henri Lévy, qu’aucun média n’a jugé opportun de
publier :
« Tous ceux qui ont été là, jour après jour,
pendant des années, pour recevoir les réfugiés algériens,
[…] qui se sont mobilisés, dès juin 1993, dès les premiers
assassinats, non seulement pour apporter secours et
protection autant que c’était possible, mais pour essayer de
s’informer et d’informer, de comprendre et de faire
comprendre une réalité complexe, et qui se sont battus,
inlassablement […] pour arracher la crise algérienne aux
visions unilatérales, tous ces intellectuels de tous les
pays qui se sont unis pour combattre l’indifférence ou la
xénophobie, pour rappeler au respect de la complexité du
monde en dénouant les confusions, délibérément entretenues
par certains, ont soudain découvert que tous leurs efforts
pouvaient être détruits, anéantis, en deux temps trois
mouvements. Deux articles écrits au terme d’un voyage sous
escorte, programmé, balisé, surveillé par les autorités ou
l’armée algérienne, qui seront publiés dans le plus grand
quotidien français, quoique bourrés de platitudes et
d’erreurs et tout orientés vers une conclusion simpliste,
bien faite pour donner satisfaction à l’apitoiement
superficiel et à la haine raciste, maquillée en indignation
humaniste. Un meeting unanimiste regroupant tout le gratin
de l’intelligentsia médiatique et des hommes politiques
allant du libéral intégriste à l’écologiste opportuniste en
passant par la passionaria des "éradicateurs" [4].
Une émission de télévision parfaitement unilatérale sous des
apparences de neutralité. Et le tour est joué. Le compteur
est remis à zéro. L’intellectuel négatif a rempli sa
mission : qui voudra se dire solidaire des égorgeurs, des
violeurs et des assassins, – surtout quand il s’agit de gens
que l’on désigne, sans autre attendu historique, comme des
"fous de l’islam", enveloppé sous le nom honni d’islamisme,
condensé de tous les fanatismes orientaux, bien fait pour
donner au mépris raciste l’alibi indiscutable de la
légitimité éthique et laïque ? […] » [5]
Bernard-Henri Lévy, ce
médiocre penseur présenté partout comme un intellectuel, cet
essayiste engagé aux côtés des puissants – en l’occurrence,
des criminels de masse – a réussi à mettre sous chape un
mouvement d’opinion naissant en France, favorable au peuple
algérien.
Cela se passait quelques
mois après le massacre de Bentalha où, rappelons-le, les
militaires qu’il exonérait ainsi de toute responsabilité,
avaient planifié et exécuté – en encadrant des escadrons de
la mort constitués de terroristes « islamistes »
à leur solde – le massacre indicible d’un millier de
personnes en quelques heures de la nuit, dans un secteur
soigneusement balisé par l’armée qui, pour toute
intervention, s’est bornée à empêcher les populations des
villages voisins de porter secours aux assiégés, et à barrer
la route aux victimes pour les forcer à regagner les lieux
du massacre.
Le jour où cette vérité –
que ne contestent que ces « agents » de
la désinformation – sera admise par les médias,
Bernard-Henri Lévy apparaîtra sous son vrai visage : celui
du complice de bien des crimes de masse, de bien des crimes
contre l’humanité, et le receleur des spoliations qui en
découlent. En attendant, il est considéré comme le
philosophe contemporain le plus talentueux du monde.
En vérité, les
élucubrations de Bernard-Henri Lévy ne font illusion que
dans le microcosme médiatique-politique français qui, contre
l’évidence, et de façon délibérée, tente d’imposer une
vision binaire du monde où il y a d’un côté les bons
démocrates, eux, le Bien, et de l’autre les « islamo-terroristes »
et leurs complices, c’est-à-dire tous ceux qui ne prennent
pas ce qu’ils professent pour argent comptant, le Mal. Et si
Bernard-Henri Lévy a cette influence, c’est qu’il peut
compter sur de solides soutiens dans les médias.
Sur Arte, une chaîne
télévisuelle qui ne manque pourtant pas de compétences, de
journalistes et d’historiens intègres, Daniel Leconte sévit
en potentat et semble détenir un pouvoir exorbitant. Qu’il y
officie comme journaliste à l’éthique problématique, passe
encore, étant donné que c’est le sport national. Mais il est
aussi copropriétaire – avec Bernard-Henri Lévy – d’une
maison de production, Docs en stock, où
il réalise des films très contestables du point de vue de la
déontologie et de la rigueur. Arte et France télévisions
sont devenus un terrain conquis où tous ses films sont
diffusés, sans restriction. Les trusts sont interdits dans
tous les domaines, sauf dans les médias, où Bernard-Henri
Lévy et Daniel Leconte jouent sur du velours.
C’est donc dans ce cadre
qu’Arte a organisé une soirée Thema où
Bernard-Henri Lévy et Leconte ont déversé leur fiel sur le
plateau et au travers de reportages où la partialité était
le moindre de leurs défauts. Le matraquage fait ensuite son
œuvre, le dogme défendu par cette cohorte malfaisante étant
le suivant : les tueurs à l’œuvre en Algérie étaient, de
manière évidente, uniquement les fanatiques islamistes comme
l’affirmaient les généraux au pouvoir ! Ainsi décrétés
innocents par essence, les vrais criminels, pour l’essentiel
des agents du DRS (Département du renseignement et de la
sécurité), des escadrons de la mort, des ninjas, des
milices, purent poursuivre leur œuvre en toute impunité. Et
si, ma foi, quelques dérapages étaient à déplorer, ils
étaient selon lui parfaitement excusables puisqu’ils avaient
pour mission pionnière de barrer la route à la « barbarie
islamiste » menaçant la France et l’Occident.
Faire passer des généraux
génocidaires pour les sauveurs du monde, voilà l’œuvre en
Algérie de Bernard-Henri Lévy, ce « Mickey
Mouse » – la comparaison est d’Emir Kusturica, à
l’occasion du conflit des Balkans où Tartarin-BHL avait
commis des engagements analogues – de la pensée
intellectuelle. On connaît aussi son engagement en faveur de
la politique israélienne et contre le peuple palestinien,
son acharnement contre l’Iran, le Venezuela de Chavez et
j’en passe.
L’effet immédiat a été de
stopper net le mouvement d’opinion naissant. Ce n’est pas
sans conséquence pour le peuple algérien, qui a continué à
subir les meurtres de masse sans qu’il soit possible à
quiconque, dans le monde entier, de protester, sous peine
d’être accusé de soutenir le fanatisme islamique.
Concrètement, le régime, qui était sur le point d’être
dénoncé à l’échelle mondiale, en est sorti blanchi,
renforcé, et légitimé à poursuivre son action meurtrière.
Bernard-Henri Lévy et
Daniel Leconte, en anges de la terreur, endossent une lourde
responsabilité dans la mort violente de dizaines de milliers
d’innocents massacrés après leur intervention, l’armée
jouissant d’une impunité acquise grâce à ce blanc-seing.
Si l’Algérie était
indépendante aujourd’hui, elle serait fondée à les traîner
devant les tribunaux internationaux pour complicité de
crimes contre l’humanité. Au lieu de cela, Bernard-Henri
Lévy est toujours l’ambassadeur de la position française
dans le monde ; et Daniel Leconte continue de déverser à la
télévision son venin sur les Maghrébins et les immigrés
musulmans, car il voit des barbares dans toutes les
banlieues défavorisées entourant Paris.
Silvia Cattori :
Tout cela est
ahurissant ! La « brochette » des personnalités que vous
incriminez dans votre livre s’allonge au fil des pages :
Jack Lang, Hubert Védrine, Jean-Louis Bianco, Jacques
Attali, Jean-Louis Bruguière [6],
Antoine Sfeir [7],
Daniel Leconte, Franz-Olivier Giesbert, Guillaume Durand,
Yves Calvi, Mohamed Sifaoui, Yasmina Khadra. Ces gens que
vous regroupez, qu’ont-ils en commun ? Ont-ils une égale
responsabilité dans la collaboration avec « ce simulacre
d’Etat » algérien, au cours de ces « années de sang », de
cette « sale guerre » qui a fait plus de 200’000 morts ?
Selon vous, quelle place occupent précisément Mohamed
Sifaoui et Yasmina Khadra ?
Lounis Aggoun :
Mohamed Sifaoui est un homme prêt à « éradiquer »
un peuple si cela peut lui apporter une minute de « gloire »
à la télévision. Il est une bénédiction pour ce milieu où il
fallait un « bougnoule de service ». Il
a un profil idéal pour professer la haine du musulman, la
haine du jeune de banlieue qui, dans sa dialectique,
rêverait de terroriser l’Europe ; la haine des Algériens
qui, de son point de vue, sont indignes de la démocratie et
ne sauraient rien en faire sinon élire des terroristes à
leur tête ; la haine des immigrés qui, prétend-il, n’auront
de cesse que lorsqu’ils auront islamisé la France. S’il se
conduit de la sorte, ce n’est nullement par conviction, mais
parce que c’est l’islamophobie qui paie en ce moment ; il
professerait la même haine contre le Français s’il était à
Alger, la haine du Satan judéo-américain s’il était en Iran,
qu’il prend soin de déverser devant des co-invités triés sur
le volet et aussi acharnés que lui.
Voici une anecdote.
Invité par I-Télé [8]
après un terrible attentat à Alger, je croise Mohamed
Sifaoui dans les couloirs, lui aussi convié à réagir à
l’événement. Après m’avoir serré la main pour jauger mes
intentions, et ayant estimé la consistance de ma poignée de
main par trop molle, présageant une attitude hostile à son
égard, il se laisse maquiller, fait quelques pas dans le
couloir, puis se jette sur son manteau et s’éclipse en
simulant une crise, accusant la rédaction d’insulter la
mémoire des victimes en donnant la parole à des individus
comme moi. Simulacre d’indignation pour éviter d’être
confronté à un contradicteur en direct, sans échappatoire
possible. En différé, il aurait pu exiger que soient coupées
les séquences dérangeantes pour lui, comme il le fit un jour
dans l’émission télévisée Arrêt sur images
où il avait exigé rien de moins que la censure d’Olivier
Roy, réduit à faire de la figuration sur le plateau.
Voilà pour la méthode du
« combattant de la démocratie » Sifaoui.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. On croirait que la
rédaction d’I-Télé trouverait intolérable qu’un simple
invité lui dicte sa conduite et s’interdise de le solliciter
à nouveau. Mais une rédaction n’est pas un corps uni et
l’inénarrable Robert Ménard – le plus grand pourvoyeur
d’agents du Département du renseignement et de la sécurité
algérien, dans les médias français du temps où il était
directeur de Reporters sans frontières – le reçoit en
octobre 2010 dans une parodie de débat musclé qui n’avait
d’autre but que la promotion du dernier ouvrage de Sifaoui.
Ce dernier préconisa qu’Eric Zemmour soit interdit de parole
à la télévision publique dans son propre pays, au prétexte
qu’il est raciste – en somme, un ultra-raciste devisant avec
un autre sur le sort à donner à quelqu’un qui l’est
nettement moins qu’eux deux –, Ménard, devenu de façon
instantanée, après une virée décevante dans les pays du
Golfe, où comme chacun sait, règne partout la plus grande
liberté de la presse,
l’intellectuel-scientifique-moralisateur-paternaliste, qui
trouve tout ce qui le dérange « ridicule »,
« stupide même », devenu l’âme en
quelque sorte de la chaîne quand son patrimoine intellectuel
repose sur deux idées simplistes, en concordance de vues
avec Sifaoui, qu’il ressasse à longueur d’interviews : « La
France, terre chrétienne » et les
« Arabes, réfractaires à la démocratie ».
Les médias français, et
des hommes comme Jean-François Kahn ou Paul Amar, promeuvent
un Mohamed Sifaoui qui, s’il parvenait au pouvoir, les
enverrait au bûcher sans la moindre hésitation.
Le cas de Yasmina Khadra
– pseudonyme de Mohammed Moulessehoul – se veut plus subtil.
Ayant anéanti l’opposition, les généraux algériens avaient
besoin de quelqu’un pour l’incarner dans les médias
français. D’où la pseudo-retraite de l’armée de cet homme
pour personnifier une opposition dans un univers où toute
entorse à la version officielle est interdite. Un prétendu
opposant qui a justement pour particularité d’être toujours
en phase avec les projets du DRS et qui colle parfaitement
avec le discours officiel. Son rôle : sous-estimer la menace
ou la nier lorsqu’elle existe et l’inventer quand elle
n’existe pas. Un agent parachuté derrière les lignes
ennemies pour faire son œuvre de sabotage de la démocratie,
en quelque sorte. Un « intellectuel »
qui se croit digne des meilleurs prix littéraires français
et qui serait bien en peine de produire une dissertation
digne d’un élève de terminale si elle ne lui était pas
soufflée par une brigade de rédacteurs du DRS. Un rôle qu’il
peut jouer d’autant plus facilement que, à l’instar de
Sifaoui, le terrain est balisé devant lui pour qu’il ait
rarement à faire face à un contradicteur qui l’affronte sur
le fond.
Mais l’ambition de
M. Moulessehoul (Khadra) bute contre une réalité
incontournable : il ne sait pas s’exprimer, ce qui l’oblige
à restreindre ses interventions à la télé aux opérations de
promotion de « ses » ouvrages où un
discours indigent vient systématiquement contredire
l’érudition supposée des textes qu’il signe. Un vrai débat
résoudrait la question en une seule fois et établirait de
façon irrévocable que Sifaoui et Khadra sont les ennemis du
peuple algérien, les ennemis de la démocratie, les alliés du
terrorisme international, les alliés des stratèges de la
tension, bref, tout ce qui constitue un bon agent du DRS.
Silvia Cattori :
Un passage de votre livre (page 535) me
semble également éclairer des manipulations qui ont entouré
la guerre contre le peuple d’Afghanistan [9]
et continuent d’alimenter la propagande contre l’Iran,
propagée en sous main, par Israël [10] :
« Ceux qui ont délibérément soutenu un programme qui
proclame ouvertement l’éradication d’une partie de la
population, ceux qui ont offert leur aide à une tyrannie sur
le point d’être démasquée, et ont assuré le relais de leur
propagande à un régime mafieux, ne sont pas de simples
spectateurs mais des complices. Le journaliste, l’expert
médiatique, l’homme politique, peuvent gripper cette
machine, or, ils n’ont contribué qu’à huiler ses mécanismes.
Il s’agit là du stade suprême de la complicité. (…) C’est
cette tâche ignoble qu’ont froidement accomplie
Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, bien secondés par
Daniel Leconte et quelques autres leaders d’opinion en 1998.
(…) Non contents de ne rien faire au bénéfice des victimes,
ils ont activement milité pour empêcher la mobilisation de
s’organiser pour freiner les bourreaux… »
Ce passage a de quoi
inquiéter sur les complicités qui contribuent à assurer une
audience à ces personnages machiavéliques. Avec ce que l’on
sait aujourd’hui de leur alignement [11]
sur Israël et les néoconservateurs, on en déduit qu’ils ne
sont pas arrivés sur ce terrain par hasard, par erreur !?
Sont-ils attachés à un appareil précis ?
Lounis Aggoun :
Je me garde d’énoncer des choses dont je ne sais rien et je
m’efforce de ne rien écrire que je ne serais capable de
défendre devant un jury d’assises. Je me contente de ce je
sais pour certain et cela est déjà suffisamment accablant
pour cette communauté parasite. Pour autant, les réseaux
financiers, industriels, médiatiques, intellectuels, etc.,
sont bien documentés par de nombreux ouvrages parus ces
dernières années. Et les méfaits avérés de Bernard-Henri
Lévy sur le peuple algérien sont suffisamment graves pour
qu’il soit inutile d’en rajouter. Chacune de ses
interventions a été une atteinte à la simple raison, une
atteinte à l’humanité.
Silvia Cattori :
« Entendre les
médias traiter de sujets concernant les Algériens est
pénible », écrivez-vous, à la fin de votre ouvrage. En quoi
les chaînes télévisées TF1 et France 2 [12],
que vous appelez à ne plus regarder, sont-elles plus
particulièrement blâmables ? Pensez-vous que leurs
rédactions savaient que les massacres attribués au Front
Islamique du Salut (FIS) ou au Groupe islamique armé (GIA),
faisaient partie d’une « stratégie de la tension » soutenue
par des grandes puissances, dont la France ? Est-ce pour
étouffer « l’inavouable » qu’elles continuent de solliciter
Alain Bauer et Xavier Raufer, que vous dites appartenir à
une « nouvelle classe d’experts, d’agents d’influence ayant
fait carrière dans les services » ?
Lounis Aggoun :
Je dis simplement que, quand on a compris que TF1 fabrique
du mensonge, que son journal télévisé ne fait pas de
l’information mais du bourrage de crâne pour rendre le
cerveau de son auditoire « disponible »
pour Coca-Cola – selon les termes de son ancien président –,
il faut être logique avec soi-même et ne pas contribuer à
grossir les audiences qui légitiment ses agressions contre
la vérité. Cela étant, TF1 est une entreprise privée qui n’a
pas vocation à informer mais à aider son patron à gagner des
contrats pour bétonner le monde ; et elle le fait somme
toute bien. Le cas de France 2 est plus grave puisque son
ambition proclamée est d’informer et qu’elle a une mission
de service public qui devrait lui interdire de jouer avec la
vérité. Or, sa rédaction réalise le tour de force de faire
pire que TF1. Quand Monsieur Pujadas ment, il trahit la
confiance de ceux qui financent son salaire, c’est plus
pénible. La seule justification qu’il donne à ses trahisons
est que ses pourfendeurs sont populistes et jouent le jeu du
FN (Front National).
Il ne serait pas très
compliqué de démontrer que David Pujadas – tout comme Daniel
Bilalian avant lui – ont plus contribué au succès des thèses
du FN que Le Pen lui-même. Et depuis que Nicolas Sarkozy a
repris dans des termes encore plus crus les thèses du FN,
elles trouvent subitement grâce aux yeux de Pujadas.
En voyant les avions
percuter les Tours Jumelles, Pujadas a eu cette réaction
consternante : « Génial ! ». On devine
aisément ce que les propagandistes auraient fait de ce
moment « culte » de télévision s’il
s’était agi d’un « jeune de banlieue ».
Le passage aurait tourné en boucle dans tous les films,
comme preuve irréfutable de la barbarie terroriste qui
menace aux portes de Paris. S’agissant de Pujadas, tout le
monde s’est accordé pour lui trouver des circonstances
atténuantes ! Les loups n’ont pas la réputation de
s’entredévorer. Et dans cet univers de prosélytisme
islamophobe, un Xavier Raufer est une perle : « Il
n’y a que parmi les chercheurs du CNRS qu’on croit encore
que l’islam n’est pas un danger », affirmait-il devant
Yves Calvi il y a quelques années. Tandis que, évoquant les
tortures dans la prison d’Abou Ghraïb, Antoine Sfeir
disait : « On ne fait pas d’omelette sans
casser des œufs. » Pas davantage de protestations. On
est pourtant bien sur la télévision publique. On peut
multiplier à l’infini les citations d’interventions de
Jean-Louis Bruguière, Louis Caprioli, Roland Jacquard, Paul
Ammar, Daniel Leconte, Philippe Val, etc., qui sont des
hymnes racistes, islamophobes, des déclarations qui n’ont
rien à envier aux outrances du leader du FN.
Silvia Cattori :
Cette
« deuxième » guerre d’Algérie n’a-t-elle pas conduit au
climat de méfiance et de rejet que les Arabes musulmans
connaissent aujourd’hui, notamment en France ? Et au fait
que les Algériens, où qu’ils se trouvent, ont des raisons
d’être inquiets ? En somme tout s’est déroulé comme les
stratèges d’Etat le voulaient ?
Lounis Aggoun :
La stratégie de la peur n’est pas nouvelle. Les généraux
algériens voulaient garder le pouvoir, quitte à « éliminer
deux millions d’Algériens ». Voilà la chose faite.
Silvia Cattori :
En Algérie, la
vérité est dangereuse pour ces dirigeants qui n’ont pas la
conscience tranquille. Mais est-ce aussi le cas en France ?
Lounis Aggoun :
Le fait que la vérité soit dangereuse n’empêche pas les
Algériens de la réclamer, au péril de leur vie. Le courage
des familles de victimes du terrorisme et de leurs comités
de défense – qui ont préféré l’honneur dans le dénuement aux
millions que les généraux étaient prêt à leur verser pour
obtenir leur démission et leur silence – est infiniment plus
méritoire que tous les livres que l’on peut publier à l’abri
de la répression immédiate. Et ils sont nombreux à écrire
des vérités accablantes en Algérie même. Le seul journal qui
ait annoncé la sortie de mon livre ne se trouve pas en
France ; c’est le Quotidien d’Algérie, et c’est pour en dire
du bien. Les médias français occultent systématiquement les
efforts incessants des Algériens pour recouvrer un peu de
dignité et la souveraineté sur leur propre terre. Une grande
partie du drame algérien se vit hélas en France de même que
s’y situe le nœud gordien de sa résolution. Mais les médias
français ont atteint un tel stade de compromission qu’ils
pratiquent l’omerta dans une mesure plus importante encore
qu’en Algérie, où certaines révélations parviennent à
filtrer, à la faveur de luttes de clans qui se traduisent
par des règlements de comptes dans les médias.
Silvia Cattori :
Il existe des
gens qui ont une exigence de vérité, mais le grand public
n’y a quasiment jamais accès. Ce ne sont pas eux qui sont
généralement invités à s’exprimer. Vous leur faites honneur
dans votre livre du reste. Je pense à ce témoin important de
la collusion franco-algérienne : Lucile Schmid [13]
Y a-t-il une autorité qui leur fait barrage ?
Lounis Aggoun :
C’est même une règle que les seuls qui soient admis dans le
débat en France se situent aux extrêmes et que ceux qui
peuvent contribuer à la concorde entre les peuples algérien
et français sont systématiquement bannis des médias.
L’ambassadeur des Nations Unies à Alger, Paolo Lombo, fut
invité à quitter le territoire après les inondations de
Bab-el-Oued, en 2001, quand il déclara que les Algériens
avaient besoin de liberté et de démocratie et non qu’on leur
donne du pain. Un téléthon organisé en grande pompe –
couronné par un match de football Algérie-OM – a réuni 2
milliards de dinars dont les habitants de Bab-el-Oued n’ont
jamais vu la couleur.
Tout le monde peut
constater au quotidien – au point que ça en devient
caricatural – que chaque fois que quelqu’un est disposé à
dénigrer le peuple algérien et à vanter les mérites du
pouvoir militaire, il est accueilli avec force compliments
sur tous les plateaux de télévision. A
contrario, quiconque prend la défense du peuple et
critique le régime en est aussitôt banni : Bourdieu y était
un paria, François Burgat y est inexistant, et Olivier Roy
en a complètement disparu. On peut multiplier les exemples à
l’infini, de spécialistes de l’Algérie, d’anciens
journalistes du Monde et de
Libération – qui ont vécu dans le pays
et l’ont aimé – qui ne sont jamais invités à s’exprimer.
Anne Dissez était présente dans les bureaux du FIS en
décembre 1991, et a été témoin direct, lors de l’annonce des
résultats de l’élection, du blêmissement du dirigeant du FIS
de l’époque, Abdelkader Hachani (un intellectuel, attaché à
la démocratie et à l’intérêt de son pays, et non moins
islamiste), qui ne souhaitait nullement la victoire. Hachani
a été assassiné depuis par le DRS parce que ne cadrant pas
bien avec l’image de l’islamiste égorgeur de bébés que les
généraux voulaient présenter ; Anne Dissez a été quant à
elle invitée à quitter le pays, manu
militari. Jean de la Guérivière, Georges Marion, José
Garçon, Florence Aubenas, Joëlle Stoltz, je pourrais vous
citer une longue liste de journalistes capables de parler
intelligemment de l’Algérie et qu’on ne peut accuser d’être
des fanatiques de l’islam. Outre d’interdire l’accès à ces
« intellectuels positifs », on dissuade
les journalistes encore attachés à quelque probité
intellectuelle en mettant au placard quiconque s’aventure à
inviter ces empêcheurs de désinformer en rond.
Je ne parle évidemment
pas des Algériens, suspects par postulat. Personne ne trouve
sidérant que, depuis la décennie 1990, tout ce que l’Algérie
a engendré comme grands esprits se soit totalement
volatilisé. Ne reste à offrir au public français que le
discours indigent de Mohamed Sifaoui et Yasmina Khadra. Au
génocide physique succède l’extermination médiatique de tous
les intellectuels algériens dans le paysage audiovisuel
français.
Le pouvoir français, les
médias français, sont sous influence directe des services
algériens ; ce n’est un secret pour personne. En fait, en
l’état actuel des choses, il n’y a rien que le pouvoir
algérien ne puisse se permettre en France. Il peut faire
exploser des bombes, assassiner des hommes, semer la
terreur, et ce sont les médias et les hommes politiques
français qui viendront à son secours pour proclamer qu’il
est insoupçonnable. Le pouvoir qu’exerce Alger sur Paris est
exorbitant. Quiconque détient un pouvoir ou une influence a
été acheté par les généraux durant l’année 2003, joliment
baptisée « année de l’Algérie en France » ;
les réfractaires sont quant à eux graduellement écartés. Des
milliards ont été déversés pendant toute une année sur tous
ceux qui se déclaraient disposés à faire la promotion du
régime, à « collaborer » avec l’Algérie
comme le répétait alors le VRP de Bouteflika, Cheb Mami. Le
scandale Khalifa, et ses 7 milliards d’euros de fonds
dilapidés (qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg de
la spoliation), n’est pas une affaire algéro-algérienne,
c’est presque une affaire franco-française ; l’Algérie n’a
fait, comme toujours, que fournir le fric.
Silvia Cattori :
J’aimerais
revenir sur les relations entre le régime de Bouteflika et
l’Elysée et sur des actions que l’on attribue à Al-Qaida au
Maghreb islamique (AQMI) évoquées lors du précédent
entretien. En effet celui-ci a suscité un abondant courrier
de lecteurs qui , à ma surprise, paraissent convaincus que
les actes attribués par les divers pouvoirs à l’AQMI sont
manipulés par l’État algérien avec la complicité de services
français notamment !
Lounis Aggoun :
Je vous le disais précédemment : AQMI, c’est le DRS.
Rendez-vous compte qu’au moment où le monde occidental
proclame dans une belle unanimité que le terrorisme est le
fléau primordial à combattre, les intéressés se donnent
comme préalable de leurs investigations d’exclure de la
liste des suspects le principal coupable. Le DRS a beau
signer ses actes terroristes, les juges, les politiques, les
médias et les policiers français concernés, organisent des
mascarades pour le disculper et pour tenter d’identifier un
coupable par essence impossible à confondre puisqu’il est,
par décret, insoupçonnable. Restent les lampistes, ceux qui
se sont pris les pieds dans le filet, Khaled Kelkal, Boualem
Bensaïd, Rachid Ramda et consorts, qui endossent une bien
lourde responsabilité au regard de leurs capacités réelles,
et que les divers protagonistes (policiers, chroniqueurs
judiciaires, jusqu’aux associations de victimes) acceptent
comme les parfaits boucs émissaires pour évacuer le problème
en se donnant bonne conscience – les personne arrêtées sont,
à un degré ou un autre, coupables – pendant que les
commanditaires des actes en cause sont reçus avec faste à
l’Elysée pour organiser le pillage des ressources de
l’Algérie.
Tout cela conduit à dire
que l’AQMI a de beaux jours devant elle. Mais le nom de
cette organisation est en soi un chef d’œuvre de
manipulation. En quatre mots, on met au ban de l’humanité,
sans autre justification que celle de voir ces mots ainsi
accolés, l’Islam et tous les peuples du Maghreb, en les
liants à Al-Qaïda et Oussama Ben Laden. On prétend, dans une
déclaration, que l’organisation est soutenue par Al-Qaïda et
financée par des pays et des organisations très riches et,
dans la même phrase, qu’elle a besoin d’enlever des
Européens pour se financer. On affirme un moment qu’elle est
suréquipée - sans que jamais, au grand jamais, les intérêts
du régime algérien contre qui elle est censée se battre
soient mis en danger - et l’instant d’après que c’est une
armée de gueux. On prête à l’organisation le dessein de
mener une guerre totale aux envahisseurs et aux Occidentaux,
et tout le monde trouve normal qu’elle n’ait jamais attenté
à leurs intérêts - et surtout pas aux étasuniens qui
pullulent dans la zone - quand le désert, où elle est censée
vivre « comme un poisson dans l’eau », recèle des milliers
de kilomètres de pipelines qu’il serait très aisé de faire
exploser.
On affirme l’organisation
décimée et, sans transition, que le demi-millier de ses
soldats contrôle un territoire grand comme l’Europe de
l’Ouest, dans un terrain parmi les plus hostiles de la
planète, où se concentrent pourtant les forces armées de
quatre pays qui, officiellement, les traquent, avec l’appui
des forces spéciales de la France, de l’OTAN, des USA, etc.
On proclame que ces terroristes sont capables de frapper où
ils veulent, quand ils veulent, et chaque fois qu’ils
frappent, c’est dans un dessein trouble mais dont on
découvre tôt ou tard qu’il sert des objectifs purement
crapuleux, qui n’ont en tout cas strictement rien à voir
avec un quelconque mobile religieux. On prétend ces hommes
irréductibles et on diffuse régulièrement leurs sommations
contre tel ou tel pays s’il ne se conforme pas à leurs
exigences, abroger la loi sur la burqa en France par
exemple. Est-ce à dire que si la France se plie à cette
exigence, AQMI accepterait de la laisser piller les pays du
Sahel de ses ressources ?
Comment concilier cela
avec le dessein initial d’Al-Qaïda, qui est de mener une
guerre totale contre les Occidentaux ? Jamais AQMI - et,
avant elle le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et
le combat) ou encore le GIA - n’a commis un acte, en 20 ans
d’existence à maintenant, qui ait contribué à affaiblir le
régime et à servir le peuple. On peut aisément prouver que
chacune de ses actions d’envergure est intervenue à un
moment clé qui a eu pour conséquence de desservir le peuple
algérien et de renforcer le régime.
Dans la littérature
foisonnante sur AQMI, qui rappelle que Amara Saïfi [14],
alias Abderazak El-Para, alias « le Ben Laden du Sahara »,
vit paisiblement au club des Pins à Alger, après avoir été
présenté comme celui qui a conduit au ralliement du GSPC à
Al-Qaïda ? Tout ça pourrait être loufoque, mais des « experts »,
des « spécialistes », des « directeurs
d’instituts », de « centres de recherche »,
d’« observatoires », se relaient sur
tous les plateaux télévisés pour nous conter, sans rire, une
fable qui ne tient que parce qu’elle est énoncée sans
contradicteur, par des individus qui peinent à masquer leur
filiation avec les services secrets, les centrales mêmes qui
gagnent à diffuser toutes ces intoxications. Tous ces
pouvoirs illimités, de police, de justice, de médias réunis,
ne parviennent pas à produire une version des faits qui
puisse résister à la moindre contradiction. C’est pour cela
que s’impose le bannissement de toute parole se démarquant
de l’histoire officielle.
La lutte antiterroriste à
l’échelle mondiale telle que la conduisent les décideurs
actuels et leurs propagandistes est un échec patent. Elle
n’a pas pour conséquence de diffuser la démocratie là où
elle est inexistante, elle l’anéantit là où elle existait.
C’est exactement l’objectif des terroristes. La seule
réponse concrète des pouvoirs occidentaux consiste à
proposer des mesures de fichage de la population, la
multiplication des systèmes de surveillance, de biométrie,
et donc à anéantir tout ce que les démocraties ont de
démocratique. Et pour quel résultat « pragmatique » ?
La présence de Français
dans le Sahel risque à la longue d’être intenable. L’intérêt
stratégique - si l’on aborde la question du point de vue
purement cynique de l’intérêt français - est pourtant vital.
Roland Jacquard, Xavier Raufer, Antoine Sfeir, Louis
Caprioli, Jean-Louis Bruguière, Mohamed Sifaoui, voilà les
ennemis de la France, car ils sont les complices directs du
terrorisme international, leur discours étant axé de sorte à
disculper les vrais commanditaires et à tout mettre sur le
compte de lampistes.
Alors, AQMI, c’est le
DRS. Tous ceux qui prétendent le contraire sont de dangereux
contrefacteurs. Leur discours n’est que de l’incantation,
doublée d’artifices qui ne doivent rien à la déontologie :
feindre d’ignorer l’existence d’ouvrages qui attestent de la
réalité de certains faits, pour ne pas avoir à donner écho à
des vérités dérangeantes ; imposer la charge de la preuve à
la victime, quand elle devrait incomber à celui qui accuse.
Je mets au défi
quiconque, parmi tous ceux qui détiennent ces pouvoirs - de
médias, de police, de justice, de politique et
d’investigation de tous ordres -, d’apporter le moindre
élément qui ne soit pas du ragot invérifiable, de prétendus
attentats déjoués, de confidences d’agents secrets qui n’ont
de vocation qu’à épater la galerie sans que leurs auteurs
soient tenus d’apporter la moindre esquisse de preuve ; tout
cela doublé d’un soupçon insidieux qui pèse contre quiconque
apporte la contradiction de vouloir favoriser le terrorisme
d’être un « conspirationniste », ce qui
permet de l’écarter à moindre frais, de la manière dont on
procède dans les dictatures.
Je mets au défi tous ces
« experts » réunis, de présenter un seul
élément tangible de ce qu’ils avancent sur AQMI, sinon des
messages virtuels, envoyés par des terroristes virtuels, via
des émissaires virtuels, qui attestent de thèses grotesques,
qui se sont déroulés selon des scénarios rocambolesques, et
énoncées devant des journalistes qui semblent n’avoir pour
tout cahier des charges que de gober d’autant plus
volontiers le mensonge que celui-ci est gros. Jacquard,
Bruguière, Sifaoui, Sfeir, Raufer et autres Guidère – la
nouvelle version BCBG (Bon chic bon genre) de l’expert qui
se fout de vous – n’ont pas ambition de mettre fin au
terrorisme ; ils favorisent sa dissémination et légitiment
l’instauration de la dictature dans les sociétés
occidentales.
Fin novembre 2010,
Nicolas Sarkozy participera à une réunion de l’Union pour la
Méditerranée. Lorsque l’on verra à la télévision les chefs
d’Etats ainsi réunis, nous pouvons être certains d’avoir
face à nous quelques-uns des plus sûrs commanditaires et
organisateurs du terrorisme international et leurs complices
ainsi que les receleurs de leurs actions. C’est ainsi qu’une
poignée de prédateurs exercent leur férule sur la
quasi-totalité de l’humanité, en lui attribuant les méfaits
dont ils sont les instigateurs, puis en lui imposant
d’apporter la preuve de son innocence après lui avoir ôté
tous les moyens qui leur permettrait de la réunir.
Il est temps que cela
s’arrête. Cela peut se faire en ne laissant plus passer le
mensonge. En mettant les propagandistes, où qu’ils
s’expriment, sur un plateau de télé ou dans un bar, face à
l’évidence : ils sont les complices indiscutables du
terrorisme. Ils seraient bien en peine de vous prouver le
contraire ; malgré les pouvoirs et les moyens infinis dont
ils disposent. Mettre fin au plus grand fléau de l’humanité,
le terrorisme, mérite bien un débat entre gens sérieux, tout
de même ! Or, Mohamed Sifaoui, la flétrissure suprême de la
pensée, est considéré par les médias français comme le
summum de l’intellectuel arabe. C’est criminel.
Silvia Cattori :
Votre précédent
livre, qui a rencontré un large public, a été occulté par
les grands médias. Pensez-vous que celui-ci ait des chances
de connaître un meilleur accueil médiatique ?
Lounis Aggoun :
Lorsqu’on prétend aligner la chronique insoutenable de 200
ans de faits inavouables, on ne peut pas espérer voir les
relais du mensonge permanent faire la promotion d’un ouvrage
qui dépeint leur propre faillite. Quand bien même chacun
verrait 99 raisons d’en parler - notamment parmi ceux qui
prétendent militer pour la vérité, contre les médias
conventionnels -, l’ouvrage recèle une centième vérité
dérangeante pour lui. Il préférera donc occulter les 99
qu’il voudrait promouvoir pour ne pas donner crédit à cette
centième qui l’accable. La difficulté est alors de concilier
cette entorse avec la promesse de déontologie qu’il a placée
sur le frontispice de son site, mais l’art du mensonge
n’est-il pas de savoir se mentir à soi-même ? Recensez
toutes les personnes qui auraient une petite raison de
participer à l’omerta et vous aurez une idée du drame
algérien. Les généraux ne sont que le couronnement d’une
faillite qui dépasse hélas largement les frontières du Club
des pins [15].
Pour espérer un soutien
médiatique, il faut être poli. Le hasard a voulu que mon
livre paraisse un mois avant un autre, tout entier consacré
à l’inavouable histoire de François
Mitterrand et la guerre d’Algérie [16]
qui est un chapitre parmi une vingtaine du mien. L’excellent
ouvrage de François Malye et Benjamin Stora a bénéficié d’un
accueil enthousiaste tandis que le mien est salué par
l’omerta. Pourquoi ? Au-delà de la bienveillance tout à fait
légitime des médias pour l’historien respectable qu’est
Benjamin Stora, il y a une autre dimension plus contestable.
Leur livre est un peu de l’histoire au passé simple quand le
mien est à l’imparfait. Mon livre a une projection dans le
présent quand le leur est presque un solde de tout compte
contre un homme qui ne peut plus nuire.
Or, et c’est une
dimension dérangeante de mon livre, les démêlés de
Mitterrand avec l’Algérie ne se sont pas arrêtés en 1982 en
votant l’amnistie des généraux français putschistes et en
redonnant aux généraux algériens – non moins putschistes –
une partie des archives qu’ils ont aussitôt mises sous
scellés, et interdites d’accès. Ils se sont poursuivi
par-delà sa mort même. Le mien ne s’arrête pas là où c’est
commode, il démontre qu’à partir de 1982, Mitterrand n’a eu
de cesse de reprendre les événements là où ils étaient quand
de Gaulle l’a « spolié » du pouvoir en
1958. Et que la « sale guerre »
commencée en 1990, avec ses éclaboussures en France même, et
encore à l’œuvre aujourd’hui, malgré les apparences, est la
conséquence directe de cette obsession algérienne de
François Mitterrand. L’histoire est bien accueillie tant
qu’elle est inoffensive, tant qu’elle n’est pas dérangeante
au présent pour « l’establishment ».
À la sortie de
Françalgérie, crimes et mensonges d’Etats [17],
dans une interview accordée au Quotidien d’Oran, avec
Mohammed Harbi – et sans que la question du journaliste ne
s’y prête vraiment – Gilbert Meynier évoque, sans le citer,
« un ouvrage paru récemment » qui
expliquerait tout « par la manipulation ».
Le DRS a dû apprécier. Si ce qu’il proclamait, qu’on ne peut
pas tout expliquer par la manipulation, est une vérité
générale indigne d’un grand esprit comme lui, telle n’a
jamais été notre intention. Nous avons simplement démontré
par A+B que, à propos d’un certain nombre d’affaires sur
lesquelles circulent des thèses mensongères, la main du DRS
est patente. Pour contester notre ouvrage, il aurait été
intellectuellement honnête de recenser explicitement les
points de notre démonstration sur lesquels il n’était pas
d’accord. Nous attendons toujours. Il n’y a jamais eu le
moindre démenti sur aucune des accusations très graves, avec
le nom des coupables, qui se trouvent dans le livre ;
l’histoire nous a donné raison sur de nombreux dossiers -
celui du meurtre barbare des moines de Tibhérine, par
exemple. Pourtant, le mensonge et la vérité officielle
perdurent, qui font des Algériens un peuple de terroristes
en puissance et une nuisance pour leurs voisins, et des
généraux meurtriers les gardiens de la liberté et les
parangons de la démocratie.
En tout état de cause,
quand le moindre fait divers aux antipodes donne lieu à des
dépêches et à des brèves sur les chaines d’info en continu,
les médias français oscillent entre le silence total sur
l’Algérie et le mensonge avéré des « intellectuels
négatifs ». Et quand cela s’impose, entre le meilleur,
qu’incarnent ces historiens qui ont produit une part
importante de la connaissance sur l’Algérie, et le pire,
incarné par Mohamed Sifaoui et Mohamed Moulessehoul /
Yasmina Khadra, il y a un vide inexplicable sinon par la
volonté de plaire au régime des généraux. Où est passée la
« masse manquante », des centaines de
milliers d’intellectuels, de journalistes, de scientifiques,
de chercheurs, de cadres de haut vol, que chacun n’aurait
aucun problème à trouver dans son environnement immédiat ?
Il suffit de ne pas poser la question pour qu’elle n’appelle
aucune réponse dérangeante.
Bref, quand la vérité
historique n’est pas mensonge, elle doit être calibrée pour
être « commercialisable ». L’histoire
est devenue un fonds de commerce que ses « légitimes »
propriétaires – ils se partagent l’espace avec des
charlatans de tous ordres, de faux prophètes, des
imposteurs, des apprentis-sorciers, pour tout dire des
terroristes – gèrent avec science. Et, épisodiquement, au
compte-goutte, ils concèdent une vérité dérangeante, à
raison d’un succès de libraire par an. À ce rythme, il
faudrait un siècle de succès de librairie pour espérer voir
émerger enfin, par reconstitution de bribes, une vérité
entière. Pendant ce temps, un peuple se meurt. C’est un peu
lourd comme sacrifice à consentir pour ne pas commettre de
crime de lèse-autorité médiatique.
Silvia Cattori :
En conclusion,
quelles perspectives pour l’Algérie ?
Lounis Aggoun :
Le problème de l’Algérie ne se résoudra pas tant que la
France est sous influence algérienne. Et vice versa. Le
principal problème est d’ordre médiatique, lié directement à
l’information. Ce n’est pas un hasard si celui qui a aidé
Larbi Belkheir et son cabinet noir à s’approprier l’Algérie
dans les années 1980, l’architecte de la décomposition du
pays, le concepteur du libéralisme sauvage (la forme moderne
de la tyrannie) et barbare qui a ruiné l’Algérie, est
celui-là même à qui Nicolas Sarkozy confie le soin de
dresser la liste des « réformes »,
l’arsenal de la spoliation du peuple par les puissants, à
mener en France : Jacques Attali. Un homme omniprésent dans
les médias français.
Nous somme à un carrefour
de l’humanité. Ou les peuples parviennent à renverser la
vapeur en reprenant les rênes de leur destin, ou ils
s’engagent dans un monde de terribles féodalités. Ayant
compris cela, la question est de savoir si nous, le peuple,
allons les laisser nous mener docilement à l’abattoir. J’ai
répondu qu’il fallait une révolution et que la révolution
consiste non pas à sombrer dans le piège de la violence -
dont les seuls bénéficiaires sont les puissants, les
dictateurs, les forces occultes, les apprentis-sorciers, les
vendeurs d’armes, les prédateurs de tous poils, les
manipulateurs, les garants du mensonge officiel, les
terroristes - mais tout simplement à exiger la vérité. La
révolution, ce peut être aussi simple qu’une carte postale
envoyée assidument, une fois par mois – au coût d’un
timbre-poste, et jusqu’à ce que l’équité soit rétablie – à
la rédaction de France 2, à David Pujadas, à Arlette Chabot,
pour les rappeler à leur mission d’informer ; à un député, à
un président, à tous ceux qui ont trahi, pour leur signifier
que l’on ne votera pas pour eux la prochaine fois. Et de
tenir parole !
Silvia Cattori :
Je vous
remercie.
[1]
« Bentalha :
Autopsie d’un massacre » de
Jean-Baptiste Rivoire et Jean-Paul Billault. Diffusé par la
télévision suisse romande en 8 avril 1999, il a été
rediffusé le 23 septembre 1999 dans le cadre de l’émission,
Envoyé Spécial.
[2]
Denis Jeambar est un journaliste considéré comme proche des
idées atlantistes de Nicolas Sarkozy et des
néoconservateurs.
[3]
Daniel Leconte, directeur adjoint de l’information sur Arte
depuis 1991. Il réalise régulièrement des émissions qui
stigmatisent les Arabes et les musulmans, avec des invités
généralement triés en fonction de leurs positions
atlantistes et islamophobes. Lire :
Le « système » Leconte
[4]
M. Bourdieu évoquait la soirée Thema du
22 janvier 1998, intitulée « La nuit algérienne ». Parmi les
invités, il y avait Khalida Messaoudi, que Bourdieu a
qualifié de « passionaria des "éradicateurs" »,
Saïd Sadi, (président du RCD) Véronique Taveau (journaliste
France 2), Denis Jeambar (directeur de l’Express), Werner
Herzog (journaliste suisse) et Soheib Bencheikh (mufti de
Marseille). Nous ne savons pas qui Bourdieu désignait en
parlant « du libéral intégriste et de
l’écologiste opportuniste ».
[5]
Le passage cité de Pierre Bourdieu a été publié dans
l’ouvrage : Contre-feux, Editions
Raisons d’agir, 1998.
[6]
Voir : « Jean-Louis
Bruguière, un juge d’exception »,
par Paul Labarique, Réseau Voltaire, 29
avril 2004.
[7]
Journaliste libanais établi à Paris, sollicité par les
médias quant il s’agit de donner une vision négative des
Arabes et des musulmans. Pour répondre à ce que les
journalistes islamophobes attendent de lui, Antoine Sfeir
n’hésite jamais à surenchérir ; voir par exemple sa charge
contre l’intellectuel suisse Tariq Ramadan :
http://www.youtube.com/watch ?v=xJlcnJqoYXo
[8]
I-Télé est une chaîne de télévision d’information en
continu.
[9]
Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, fervents soutiens de
la guerre lancée par George Bush en 2001 contre le peuple
afghan, qui devait selon leurs dires « libérer
les femmes de la Burka » et de « l’islamo
fascisme ». Ces personnages n’ont que faire en vérité de
la souffrance des femmes musulmanes. Invité d’Alain
Finkielkraut, en septembre 2010 sur France
Culture, au sujet du désengagement US en Irak et du
bilan de la guerre, André Glucksmann a eu le cynisme de
déclarer : « Pour les Irakiens, le résultat
de cette guerre est positif… les Irakiens y ont gagné à
cette guerre » !
[10]
Voir : « Le
scandale Sakineh », par Thierry
Meyssan, Réseau Voltaire, 16 septembre
2010.
[11]
Ils ont été dénoncés en 2004 dans un article de Tariq
Ramadan intitulé : « Critique
des (nouveaux) intellectuels communautaires ».
[12]
Deux chaînes télévisées françaises grand public.
[13]
Elle a écrit sous le nom de plume Lucile Provost,
La Seconde Guerre d’Algérie. Le quiproquo
franco algérien. (Flammarion, Paris, 1996).
Voir la biographie de Lucile Schmid sous le lien :
http://lucileschmid.wordpress.com/en-savoir-un-peu-plus/
[14]
Voir :
http://www.algeria-watch.org/fr/article/mil/groupes_armes/elpara_condamne.htm
[15]
Une station balnéaire, à l’ouest d’Alger, à l’usage de la
« haute société », des dirigeants de l’État et du
gouvernement
[16]
François Mitterrand et la guerre d’Algérie.
Calmann-Lévy, 2010.
[17]
Françalgérie, Crimes et mensonges d’États,
La Découverte, 2004.
(*) Lounis Aggoun,La
colonie française en Algérie. 200 ans d’inavouable.
Editions Demi Lune, 2010. En vente sur la
librairie du Réseau Voltaire.
Lounis Aggoun, journaliste algérien
résidant à Paris, a coécrit avec Jean-Baptiste Rivoire
Françalgérie, Crimes et mensonges d’États. La
Découverte, 2004.