Interview
«Les négociations au Proche-Orient
n'aboutiront pas»
Julien Salingue
George Mitchell
Samedi 19 septembre 2009
Alors que les négociations entre Palestiniens,
Israéliens et l'émissaire américain pour une reprise du dialogue
semblent patiner, Libération.fr a interrogé Julien Salingue,
enseignant à l'université Paris 8, sur l'état des discussions.
En visite depuis dimanche au Proche-Orient, l'émissaire
américain George Mitchell s'efforce d'arracher aux Israéliens et
aux Palestiniens un accord permettant une reprise du dialogue,
toujours bloqué par le contentieux de la colonisation.
Il bute jusqu'à présent sur le refus israélien d'un arrêt de
la colonisation en Cisjordanie occupée, alors que la partie
palestinienne maintient l'exigence d'un gel complet des
constructions. Ses efforts devraient se poursuivre à New York,
où Mahmoud Abbas et Benjamin Netanyahu doivent assister la
semaine prochaine à l'Assemblée générale de l'ONU.
Libération.fr a interrogé Julien Salingue, enseignant et
doctorant au département de sciences politiques de l'université
Paris 8 de Saint-Denis.
Dans ces négociations menées par
George Mitchell, quelle est l'attitude des Israéliens et des
Palestiniens?
Par rapport au précédent volet de négociations, le nouveau
gouvernement israélien a été élu sur un mandat de fermeté.
L'Autorité palestinienne, quant à elle, est
de plus en plus contestée et critiquée. On se rend compte
par exemple que ses forces de sécurité sont aux ordres du
général Dayton [le coordinateur américain chargé de la sécurité,
ndlr]. L'un des partenaires apparaît donc peu légitime. L'autre
est sur une ligne dure, et l'a démontré en multipliant les
annonces sur les colonies.
Quelle est la ligne américaine?
Barack Obama est
de plus en plus contesté pour des raisons de politique
intérieure, à propos de sa réforme du système de santé. Cela
l'affaiblit alors qu'il affichait des positions de fermeté
vis-à-vis de Netanyahu. Certains membres de son administration,
comme Dennis Ross ou Hillary Clinton, sont réputés être
pro-israélien. Il est donc peu probable qu'Obama aille au
conflit avec eux. Il n'est pas suffisamment solide dans sa
politique domestique pour prendre le risque d'être trop exigeant
vis-à-vis d'Israël.
Les Etats-Unis auraient-ils un moyen
de pression sur Israël?
L'arme financière, puisqu'ils prêtent près de trois milliards
de dollars par an. La dernière et seule fois que les Etats-Unis
ont menacé de suspendre les aides, cela avait débouché sur la
chute du gouvernement israélien et le début du processus d'Oslo.
A quoi peut donc parvenir George
Mitchell, l'émissaire américain dans la région?
Il doit obtenir à tout prix une rencontre tripartite sous
patronage américain lors de la prochaine Assemblée générale de
l'ONU. Néanmoins, le niveau d'exigence du plan Mitchell
aujourd'hui est relativement bas. C'est moins ambitieux que ce
qu'Obama avait annoncé après son élection. Face la
situation en Afghanistan et les faibles chances de retrait
en Irak, le président américain doit donner un signe sur le plan
de la politique extérieure pour se placer en conformité avec son
discours.
Benjamin Netanyahu, le premier
ministre israélien, est-il réellement prêt à des concessions?
La question des colonies est utilisée intelligemment par
Netanyahu. On a l'impression que la discussion ne porte que sur
ça, alors qu'il est en fait prêt à faire un geste, par exemple
un gel de la colonisation. Cela apparaîtrait même comme une
concession de sa part. Mais l'essentiel n'est pas là. Il ne
bougera pas sur Jérusalem, qui restera la capitale une et
indivisible d'Israël, de même sur le fait qu'Israël restera
l'Etat du peuple juif.
Cette ligne n'est pas contestée en
Israël?
Elle est quasiment uniquement discutée à l'intérieur du
Likoud, puisque la droite du parti dénonce les futurs compromis.
Par ailleurs, on remarque un relatif désintérêt de la population
israélienne quant à ces négociations. Tout est fait de mieux en
mieux pour qu'elle n'ait plus de contacts avec les Palestiniens.
Pour la population, ce statu quo sur le terrain n'est pas
désagréable. Il n'y a pas la pression de l'Intifada ou
d'attentats suicide tous les trois jours. En fait, les
Israéliens sont plus préoccupés par la crise économique.
Comment l'Autorité palestinienne
aborde-t-elle ces discussions?
Elle serait prête à aller discuter sur la base d'un gel
partiel de la colonisation. Il y a eu une rencontre secrète avec
Shimon Peres à ce sujet, et le plan du Premier ministre Fayyad
ne formule aucune exigence à ce propos.
Pourquoi cette stratégie?
Les dirigeants de l'Autorité ne sont plus élus depuis un an.
Ils ne devraient pas tarder à annoncer les prochaines élections,
sous la contrainte. Ils ont donc besoin de démontrer qu'il est
utile de voter pour Abbas, que son programme a un contenu. En
même temps, Mahmoud Abbas sait que s'il fait trop de
concessions, il sera affaibli par rapport au Hamas.
Pragmatiquement, les dirigeants palestiniens ont besoin
d'avancées économiques, comme un allègement sur le bouclage
économique sur la Cisjordanie.
Peut-on espérer de réelles avancées
durant ces négociations?
L'annonce de l'ouverture d'un processus menant à un Etat
palestinien d'ici deux ans, c'est juste de l'affichage. Sur le
terrain, un Etat politiquement viable exigerait un démantèlement
des principaux blocs de colonies. Un éventuel Etat palestinien
reste donc virtuel. Etant données le peu de pression des
Etats-Unis et la composition du gouvernement israélien, penser
qu'on peut arriver à un accord, c'est se faire des illusions.
Tout accord sera voué à être refusé par la population
palestinienne.
Pour moi, le Fatah est en phase de décomposition. Cela peut
être un bien car cela peut permettre à des acteurs exclus de la
scène politique d'être plus entendus sur la scène
internationale. Je pense aux militants associatifs, politiques,
d'ONG...
Mais le grand absent, c'est le Hamas. Tout le monde semble
considérer que c'est possible d'arriver à une solution négociée
en excluant le vainqueur des dernières élections. L'autre
absent, c'est la bande de Gaza. A aucun moment, la question de
son blocus n'est évoquée. Sur le moyen terme, cette situation
fait le jeu du Hamas.
Propos recueillis par Sylvain Mouillard pour
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