Fériel Berraies Guigny
Jacques
Huntzinger: « Le 5+5 peut être le noyau central du projet
d'Union Méditerranéenne » !
Son Excellence, l'Ambassadeur Jacques Huntzinger
Une
Union méditerranéenne ? On en parle beaucoup et on en rêve
aussi. Les initiatives pour cette Méditerranée proche de
l’Europe , il y en a eu et à profusion. Mais alors,
pourquoi tant d’essoufflement et de scepticisme?
En
faisant un bref retour dans le passé, on constate que bon nombre
de
projets
ont emprunté cette orientation si
florissante mais
sans jamais aboutir vraiment, en raison des inégalités et
des fossés qui
s’accroissent entre les peuples riverains et des relations
souvent conflictuelles,
entre la France et le Maghreb. Mais le cœur du
problème repose
aussi dans la problématique des aspirations migratoires et
du
choc des cultures
qui devient de plus en plus assourdissant.
Certains
détracteurs de ce projet, souligneraient un
manque d’audace et de volonté commune des Européens, qui
sont déjà écartelés entre eux. Un
constat qui
fait l’unanimité, ou presque avec l’échec du
"processus
de Barcelone", inauguré en 1995 par les quinze
pays membres de l'Union
européenne. Depuis cette date, on attend toujours ce
fameux rapprochement entre
les deux rives de la Méditerranée. Si l’heure n’a pas
encore sonné pour le rêve euromed,
il n’y a pas de miracle non plus, même si le sol
sarkoziste est pavé de bonnes intentions mais
aussi
certainement de moyens insuffisants.
Le
Président Sarkozy rêve pourtant et veut faire
jouer à
la France, avec et par l’Union européenne, le même
rôle qu’ont joué les Etats-Unis pour l’unification du
continent européen. La
nature de cet « espace
de solidarité et de coopération », tant
politique qu’économique, semble pourtant crucial. Et
le président français veut
en faire l’un des grands chantiers internationaux de
son mandat. Mais pour cela, il y a du pain sur la planche, car il
lui faudra d’abord inverser la logique du dialogue
Nord-Sud qui place les pays du sud de la Méditerranée dans une
position de dépendance vis-à-vis de leurs voisins plus prospères
du Nord. Une situation qui ne fera qu’aggraver les inégalités.
Une
série de visites d’Etat du Président français ont débuté la
fin 2007
au Maroc et en Algérie. Prochainement, la Tunisie, en début
2008. Un périple bien ciblé pour un Président convaincu de la
viabilité d’un projet en devenir, dont les appellations
multiples et les objectifs parfois flous, n’ont pas pour autant
entaché l’actualité.
L’Expression
a rencontré l’Ambassadeur en Mission, Son Excellence Jacques
Huntzinger
pour évoquer les divers points relatifs à ce projet.
Jacques Huntzinger a effectué un certain
nombre de missions en Tunisie, de 1988 à 1990, alors
qu’il lançait cinq ans avant le Processus de Barcelone, les
initiatives du Président Mitterrand, sur la création d’un
partenariat en Méditerranée orientale. Il a par ailleurs crée
le forum Méditerranéen, première instance de discussion et de
travail entre les pays de la Méditerranée orientale. Il a également
crée le 5+5. . Actuellement, il est Ambassadeur « At Large »
chargé de deux missions principales : la création de la
Fondation d’amitié France Israël
et le dialogue des cultures en Méditerranée et l’Union
Méditerranéenne.
Crédit
photo : La Documentation française 2007
Entretien
avec Son Excellence, l’Ambassadeur Jacques Huntzinger :
1/
Un
Plan Marshall européen est il applicable au projet d’union
euromed du Président Sarkozy ? Derrière le projet d'Union méditerranéenne,
que vont devenir le "partenariat euro-méditerranéen"
et les
"rencontres 5+5" ?
Je
ne crois pas que l’on puisse faire référence au Plan Marshall
à propos du projet d’Union Euro méditerranéenne.
S’agissant du Plan Marshall cela s’appliquait à un contexte
très particulier qui concernait la reconstruction des économies
européennes après une guerre dévastatrice, dans une relation
entre pays alliés riches et exsangues. Ce n’est pas du tout une
situation applicable à la méditerranée. Il ne s’agit pas de
reconstruire les économies du Maghreb, car des pays comme la
Tunisie sont des pays qui ont atteint
un certain seuil de développement, avec des secteurs forts
et d’autres qui gagneraient à être renforcés. Bien sûr les
taux de croissance actuels de ces pays ne suffiront pas dans les
vingt ans à venir pour permettre de créer les emplois nécessaires
pour les générations futures. L’enjeu, en vue de résorber le
taux de chômage actuel s’agissant de ces pays, est de permettre
d’atteindre un taux de croissance de 4 à 6 %.
Cela
n’est réalisable, que par des crédits et des dons
communautaires de la Banque Européenne d’investissement. Ce
qu’il faut, c’est une démultiplication de l’investissement
privé. Il faut aussi développer les tissus des PMI et des PME.
Parvenir à transformer le tissu de l’économie agricole de façon
à ce que cela soit suffisamment compétitif dans un contexte de
globalisation et d’ouverture. Si l’on fait référence à la
zone de libre échange telle que prévue par le processus de
Barcelone, il faut aussi parvenir à une économie qui soit créatrice
d’emploi. Cela passe donc par le ciblage d’instruments économiques
adaptés et qui n’existent pas encore à l’heure actuelle. Les
investissements lourds existent à l’instar du reste.
L’incitation à la création des moyennes et petites entreprises
sera un des objets essentiels de la relation européenne avec les
pays de la rive sud de la méditerranée.
Quant
au partenariat euromed et le dialogue 5+5, cela va continuer.
Concrètement, la zone de libre échange est en cours de réalisation.
Bien sûr le volet politique du processus euromed et le volet
culturel sont dans une situation d’impasse à l’heure
actuelle. Mais le volet économique de Barcelone sera parachevé,
même s’il y a un décalage avec le volet politique. Le 5+5 va
continuer, il y a une rencontre du 5+5 dans quelques semaines.
Cette relation privilégiée entre le Maghreb et L’Europe doit
continuer. Le 5+5 peut être le noyau central du projet d’Union
Méditerranéenne.
2/
On
sent qu’il n’y a pas de vraie
volonté de l’ Union Européenne pour cette méditerranée
de Sarkozy, qu'en pensez vous ?
L’Union
Méditerranéenne est un projet qui demande à être expliqué aux
partenaires de l’Union Européenne. Parce qu’il s’adresse en
premier lieu, à certains des pays de l’Union et donc pas à
tous. Il s’agit des pays riverains. C’est une coopération régionale
entre la rive sud de la Méditerranée
et la rive nord de l’Europe. Cette spécificité ne vient
pas en concurrence avec l’Union Européenne, elle vient en complémentarité.
L’Union Européenne sera présente, la Commission européenne
sera présente au sein du conseil supérieur de cette union Méditerranéenne.
Par ailleurs les pays de l’Union Européenne, désireux de
participer au projet tel que défini par l’Union, pourront le
faire en toute liberté. Ce projet est ouvert aussi à d’autres
partenaires, d’autres pays arabes aussi, comme ceux du Golfe.
3/
On s’attend à ce qu’il n’y ait pas d’effet de masse dans
les investissements européens sur la rive sud, le partenariat y
reste très limité, qu’en pensez vous ?
C’est
exact ! À l’heure actuelle, dans le domaine de la croissance
des IDE sur la région du Maghreb, qui voit on ? Les pays du Golfe
et l’Asie, dont la Chine notamment. On ne voit pas l’Europe.
C’est cela qui est au cœur de l’Union Méditerranéenne. Nous
voulons attirer vers le Sud, les investisseurs privés européens.
Les grands groupes européens doivent se délocaliser au Maghreb,
comme cela s’est fait entre les Etats-Unis et le Mexique, le
Japon et son environnement. Il faut créer une entité régionale
dans laquelle, les stratégies d’investissements directs des
grands groupes européens, s’appliquent en priorité à la rive
sud. Il faut arriver à une prise de conscience des avantages que
peuvent procurer en terme de coûts, les investissements dans la
Rive Sud, en terme de qualité de main d’œuvre, de logistique.
Il reste à faire en sorte que la logistique de l’infrastructure
portuaire, les moyens de communication soient au niveau. De façon
à faciliter ces investissements. C’est bien parce qu’on
constate cette absence de l’effet de masse des investissements
européens dans la zone Sud, qu’il faut créer une solidarité,
une union régionale par laquelle on puisse créer des conditions
pour que les investisseurs européens, se décident à investir.
4/
Dans la tournée de Sarkozy au Maghreb on sent plus une stratégie
de l’homme pressé qui ne tient
pas compte des susceptibilités
maghrébines à ménager, de
Rabat à Alger . Par ailleurs, la visite du Président
Kaddafi en France a également crée toute une polémique, quel
est votre sentiment ?
La
politique arabe du Président Sarkozy, est identique à celle du
précédent Gouvernement. Il faut rappeler que le soir de son élection,
le Président Sarkozy a déclaré que l’une de ses priorités
serait la Méditerranée et la Rive Sud. Le fait qu’il ait réservé
ses toutes premières tournées aux trois pays du Maghreb et
qu’il s’agit de Visites d’Etat, sachant que pour la Tunisie
cela se passera en début d’année prochaine, est très
significatif. Quant aux susceptibilités maghrébines c’est
vraiment très peu de chose par rapport à l’impact de ces trois
voyages. Car l’Union Méditerranéenne sera d’abord créée
par rapport à eux et avec eux.
S’agissant
de la visite du Président Kadhafi, au-delà des péripéties qui
accompagnent tout voyage de Monsieur Moammar Kadhafi, je me
rappelle d’ailleurs de son tout premier voyage en France, vers
les années 70, c’est toujours haut et en couleurs ;
l’important c’est que la
Libye ait réintégré la Communauté internationale. Par
la décision qu’elle a prise d’abandonner la filière nucléaire
militaire et qu’elle est en train de renouer avec les grands
partenaires occidentaux qui sont les siens et pas seulement avec
la France. La relation franco-libyenne, a été revivifiée par
ailleurs, grâce à l’aboutissement du dossier des infirmières
bulgares.
5/
Ne pensez vous pas par ailleurs que le président Sarkozy doive
faire des efforts pour échapper à des procès d’arrière-pensées,
s’agissant notamment de la
question des flux migratoires ?
L’engagement
qu’a pris le Président Sarkozy durant sa campagne, est de
pratiquer une politique plus concertée et maîtrisée en matière
d’immigration. Cette politique ne peut fonctionner que si elle
est négociée avec les pays partenaires. Toute une action est en
cours, menée par le Ministère de l’intégration avec monsieur
Hortefeux. Des accords bilatéraux doivent venir pour établir les
bases d’un travail en commun, pour maîtriser les flux dans un
cadre de co-développement. Dans cette politique, il y a un point
important qui est cours de réflexion, la possibilité d’établissement
de garanties de circulations pour des catégories d’acteurs qui
ont besoin de circuler, comme les hommes d’affaires et toute une
série d’agents culturels entre autre. Le flux concerté
implique donc le nombre, mais cela signifie aussi la possibilité
d’avoir la garantie de pouvoir circuler pour certains acteurs.
6/
Cette « union méditerranéenne » n’est-elle pas une solution au « problème de l’entrée de la Turquie dans
l’Union» ?
C’est
un sentiment qu’avait donné accroire le discours de Coulon,
pendant la Campagne électorale. L’Union Méditerranéenne
aurait pu paraître comme une porte de sortie pour la Turquie.
Aujourd’hui, les choses sont clarifiées sur tous points :
l’acceptation par la France de la négociation entre la
Commission européenne et la Turquie sur vingt quatre chapitres
concernant la pré adhésion et croyez moi que cela va occuper les
vingt prochaines années. Le processus de négociation entre la
Turquie et l’Union Européenne, n’a pas été stoppé.
Cela a rassuré la Turquie qui a compris que l’Union
Méditerranéenne n’est pas un substitut à son adhésion.
7/
Ne va-t-il pas affaiblir l'Union
en ne faisant pas de la coopération euro-méditerranéenne une
affaire communautaire?
La
coopération euromed va continuer naturellement. On va
d’ailleurs désigner prochainement, un nouvel Ambassadeur qui va
être en charge de l’Union Méditerranéenne, dans le cadre de
Barcelone. Cette coopération régionale sera le fait des pays
riverains mais s’élargira aussi aux autres. Les deux processus
vont se conjuguer, l’un existe depuis dix ans et l’autre va naître.
8/
On a l’impression également que ce projet sert des préoccupations
d’ordre économiques ? le co-développement est ce un début de
réponse ? On parle de retour au
néocolonialisme avec ces transferts de technologie
occidentale ?
Le
Projet est né de deux réflexions : l’une économique et
l’autre politique. La réflexion économique nous en avons parlé
en début d’interview et cela concerne la nécessité d’agir
en dehors des mécanismes existant, pour créer un tissu économique
au Sud dans le domaine de la micro économie, des petites
entreprises. Il faut adapter les économies du Sud à la compétition
mondiale et il faut faire en sorte qu’elles soient créatrices
d’emploi. Cela passe par des modes de financement qui
n’existent pas, ce sera donc à l’Union Méditerranéenne de
le faire. D’autre part, la réflexion politique, exprimée par
Jean Louis Guigou et d’autres personnalités, à savoir que les
pays de cette région ont des intérêts communs qui doivent se
faire valoir par une expression commune. Entre eux, il faut
affirmer leur identité. Il y a une identité Méditerranéenne
qu’il faut affirmer. Le projet répondra tant aux attentes
politiques, qu’économiques. Il faut un partenariat à
base égale, entre Etat du Nord et Etat du Sud.
S’agissant du transfert des technologies, chacun est libre de
penser ce qu’il veut. Le transfert des technologies est une voie
importante pour assurer la mise à niveau. Il faut par ailleurs
que le transfert s’accompagne des règles de fonctionnement de
cette technologie. Et du milieu dans lequel il va opérer. Il faut
un statut égal, il ne s’agit pas pour le Nord, d’exporter des
technologies imposées mais de faire en sorte que ce transfert
soit porteur d’emploi. Il ne s’agira pas uniquement de vendre
des centrales nucléaires au Sud, mais de développer des tranches
de technologies dans des secteurs créateurs d’emplois.
9/
Ce projet ne risque t-il pas
aussi de creuser les différences entre l’Afrique du Nord et le
continent sub-saharien ?
Lorsque
le Président Sarkozy a parlé de cette Union, le soir de son élection,
dans la même phrase il a parlé de l’Afrique et a ajouté que
l’Union Méditerranéenne serait le pont entre l’Europe et
l’Afrique. Et ce lien aujourd’hui, est plus que concret si
l’on se penchait sur la question des migrations. Les pays du
Maghreb sont confrontés aux mêmes problèmes que l’Afrique,
s’agissant de la migration. Cet intérêt commun à agir, dans
les domaines qui concernent les pays africains, va être un élément
fort de l’Union Méditerranéenne.
10/
Vous êtes Ambassadeur en mission chargé de la Fondation
d’amitié France Israël, et du dialogue culturel euro-méditerranéen
, vous avez été également, Ambassadeur en Israël, quel est
votre sentiment par rapport à ce qui s’est passé à Annapolis
?
Je
crois qu’ il faut parier sur Annapolis,
elle constitue des pas en avant qu’il faudra soutenir.
Car il y aura des hauts et des bas. Mais pour la première fois
depuis Oslo, on est parvenu à une relation de confiance
personnelle entre dirigeants palestiniens et israéliens. Je
connais personnellement Olmert et Abbas de longue date, et je sais
ce qui s’est établi entre eux deux. Il y a une volonté
politique commune entre eux, c’est d’ailleurs dans leur intérêt.
Les négociations sur le statut global ont d’ailleurs commencé
ces jours ci. Lundi 17 décembre va s’ouvrir la réunion sur
l’aide à la Palestine. Il va y avoir, ce mois de janvier un
Annapolis II à Moscou. Je crois qu’il y a une volonté des
principales puissances, de la communauté internationale et des
deux acteurs locaux, d’avancer. Je suis optimiste, car Annapolis
signifie la conjonction d’accords des dirigeants palestiniens et
israéliens, de l’implication de toute le Communauté
internationale et de la présence du Monde Arabe. L’Arabie
Saoudite, la Syrie étaient là. Ces trois facteurs constituent
une première. On saura très vite fin janvier début février,
l’état d’avancement du statut final. L’encadrement
Annapolis est un bon point de départ.
Crédits
Presse : Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr
Entretien réalisé
exclusivement pour
l’Expression
Tunisie.
Publiée le 8 février 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel
Berraies Guigny
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